Après 10 ans de règne, Xi Jinping va-t-il se maintenir au pouvoir ?

Le président chinois semble être en campagne. Une campagne tardive qui vise à réduire les inégalités fracassantes de son pays en s’attaquant tour à tour au Big Tech, aux ultra-riches, à l’enseignement privé ou encore aux cryptomonnaies, et en imposant son concept de « prospérité commune ». Que cherche à faire celui qui est en place depuis 2013 et qui était censé faire un pas de côté à 68 ans, comme le veut la tradition ?

Les spécialistes de grands médias comme Le Monde et le Financial Times s’interrogent. Xi Jinping va-t-il se maintenir à la tête de la Chine ? Légalement, il en a désormais le droit. En effet, il a obtenu en 2018 une modification de la Constitution qui lui permet de se maintenir à vie. Abolie, la règle des deux mandats maximums de 5 ans. Pourtant, l’ordre des choses aurait voulu que Xi Jinping passe la main lors du XXe Congrès du parti communiste qui se tiendra à l’automne 2022.

Le président chinois est-il en campagne, se demande Le Monde, non sans souligner une pointe d’ironie ? Il faut dire que la Chine et le Parti communiste ne riment pas vraiment avec élections démocratiques aux oreilles des Occidentaux. Pour devenir président de la Chine, secrétaire général du Parti communiste et chef des armées – les trois titres de Xi Jinping – il faut surtout passer par une lutte de pouvoir parfois brutale en s’accaparant des soutiens de poids et en réduisant au silence ses opposants.

Un successeur pour la forme

Xi Jinping n’annoncera certainement pas publiquement qu’il brigue un 3e mandat. Le président sortant pourrait même pousser pour se trouver un successeur désigné en vue d’assoir son influence mais surtout de faire diversion, estime Steve Tsang, directeur du China Institute de Londres. Si Xi Jinping annonçait dès maintenant qu’il allait jouer les prolongations, cela ferait certainement monter la méfiance à son égard au sein du Parti. Il doit se trouver un successeur, ce qu’il n’est pas arrivé à faire jusqu’ici. Deux figures sont souvent évoquées: Yuan Jiajun, 58 ans, qui est passé d’un rôle de premier plan dans le projet spatial Shenzhou à celui de secrétaire du parti dans la province du Zhejiang, et Yin Yong, 63 ans, ancien cadre supérieur de la banque centrale chinoise, aujourd’hui vice-maire de Pékin.

Xi Jinping doit la jouer fine: mettre en avant un successeur qui ne doit pas lui faire d’ombre. Au bout du compte, le président chinois doit, s’il veut se maintenir au pouvoir, montrer qu’il est le plus légitime, et coiffer tout le monde au poteau.

Tournant maoïste

Un des grands éléments qui permet aux spécialistes d’affirmer que Xi Jinping va jouer les prolongations est certainement ses récentes attaques fontrales contre tout un tas de secteurs. Un tournant maoïste selon certains. Une prise de contrôle totalitaire: sur les big tech, les ultra-riches qui en découlent, l’industrie des jeux vidéos et la limitation du temps de jeu à 3 heures par semaine pour les jeunes, les cryptos, l’enseignement privé et désormais le marché des voitures électriques.

Xi Jinping veut réglementer les « richesses excessives ». (Xinhua/Ju Peng)

Récemment, le président Chinois a mis en avant le concept « de prospérité commune« , un nouveau programme qui entend lutter contre les inégalités et qui vise à répartir la richesse du pays. Une soudaine nouvelle doctrine qui va être testée grandeur nature dans la riche province du Zhejiang, fief d’Alibaba.

Une régulation tout terrain pour le profit de tous. Xi Jinping joue les Robin des bois bien tardivement alors que durant ses deux mandats, il n’a eu de cesse de pousser son pays vers le capitalisme pur et dur pour rattraper les États-Unis et l’Europe. Toutes ces régulations, en moins d’un an, à l’approche de la fin de son mandat, cela peut être considéré comme suspect.

Une Chine old-school

Il y a toutefois une chose qu’il n’envie pas à ses voisins occidentaux: « L’une des choses qu’il n’admire pas particulièrement aux États-Unis est le degré auquel il croit que les groupes d’intérêts particuliers dominent la politique et renforcent les inégalités sociales », explique Tom Mitchell, responsable de l’antenne du Financial Times en Chine.

La Chine reste la Chine. Elle sent, comme dans le cas des cryptomonnaies, que le pouvoir lui échappe. Elle veut donc reprendre le contrôle et ne pas laisser une classe moyenne s’enrichir du jour au lendemain via des devises numériques décentralisées. Un véritable cauchemar.

Mais cette hyper-régulation inquiète aussi bien les hommes d’affaires et que les fonctionnaires. À tel point que Liu He, vice-Premier ministre et conseiller économique et financier à long terme de Xi Jinping, a dû faire une sortie publique il y a quelques jours, lors d’un forum économique, histoire de rassurer : « Oui le gouvernement soutient le secteur privé, et il y a toujours moyen de faire des affaires en Chine », pourrait-on paraphraser. Un signe qui ne trompe pas selon Tom Mitchell. « Quand quelqu’un comme Liu He doit sortir et dire, hé, ‘il n’y a pas de problème ici, nous vous soutenons toujours’, vous savez qu’il y a un problème. »

Qu’il s’agisse d’une campagne politique ou non, le résultat est identique: la Chine a clairement opéré un tournant en 2021. Après avoir géré la crise du Covid-19, Xi Jinping a ressorti les bonnes vieilles recettes: un contrôle massif. Jusqu’où ? Un 3e mandat pourrait le déterminer.

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