Une guerre froide 2.0 est en préparation: cette fois, l’adversaire est chinois

Les baby-boomers ont grandi avec l’image d’une URSS marxiste comme ennemie. La génération Y est maintenant confrontée à une nouvelle réalité: l’Occident a déclaré une guerre virtuelle à la Chine. Dans une récente interview, même Henry Kissinger a admis que nous nous dirigeons vers une nouvelle guerre froide. Pas avec la Russie cette fois-ci, mais avec la Chine. L’historien réputé Niall Ferguson avertit également l’Occident de commencer à réfléchir à la réaction idéale.

La première Guerre froide

C’est le journaliste britannique George Orwell qui a introduit le terme ‘guerre froide’ pour la première fois dans un article d’opinion en 1945. Il faisait référence à l’équilibre très fragile entre deux superpuissances qui possèdent toutes deux la bombe atomique. Les États-Unis et l’URSS de l’époque ont tous deux fait grimper cette menace nucléaire.

Sporadiquement, cette guerre a connu des poussées de fièvre durant lesquelles les pays en sont venus réellement aux armes. La Corée, le Vietnam et l’Afghanistan ont été les trois conflits les plus importants. Lorsque le mur de Berlin est tombé en 1989, le libéralisme, avec sa liberté d’expression et son économie de marché libre, est la seule idéologie à avoir survécu. Et les États-Unis sont donc devenus la seule superpuissance encore debout.

La domination américaine après la chute du mur de Berlin

(crédit: BundesArchiv)

Pour parler de superpuissance, il faut dominer dans 3 domaines : le pouvoir politique et économique, le pouvoir militaire et le pouvoir culturel.

Les États-Unis sont la référence dans ces 3 domaines. Ils ont toujours pu tirer profit de leur leadership politique grâce aux institutions qu’ils ont fondées après la Seconde Guerre mondiale. L’ONU, la Banque mondiale et l’OTAN étaient des outils pour consolider la puissance américaine. Sa supériorité économique n’a jamais été remise en cause depuis 1945. L’économie américaine a également réussi à plusieurs reprises à se réinventer. La domination des Big Tech de la Silicon Valley en est une preuve supplémentaire.

Les États-Unis doivent leur leadership à leur investissement dans l’appareil militaire qui reste sans précédent pour un pays en temps de paix. Encore aujourd’hui, en chiffres absolus, le gouvernement américain a investi plus dans son armée que le reste du G7 réuni.

Les dépenses pour l’armée américaine sont tellement élevées qu’il faut 10 pays pour presque atteindre le même niveau (Peterson Foundation)

Grâce à l’anglais et à la domination des divertissements au cinéma et à la télévision, les États-Unis ont réussi à diffuser dans le monde entier leur idéologie. C’est ce qu’on appelle le ‘soft power’.

Pour parler d’une nouvelle guerre froide, il faut deux superpuissances. La Russie de Poutine est sur le chemin pour retrouver un semblant de grandeur passée. Le pays n’hésite d’ailleurs pas à montrer les crocs de temps en temps, notamment lors de l’annexion de la Crimée. Mais les Russes ont perdu beaucoup de pouvoir culturel en raison de la disparition du modèle marxiste. Et les Chinois ont repris la place vacante des Russes.

La superpuissance culturelle de la Chine depuis 1554 av. J-C.

La Chine renferme depuis des siècles et des siècles une certaine domination culturelle sur le monde, qu’il partage aujourd’hui avec les États-Unis. Une condition préalable pour devenir une superpuissance.

Il est également indispensable de comprendre que la Chine n’a jamais pensé qu’elle n’était plus une superpuissance. C’est ce qu’explique Michael Schuman dans son excellent livre sur l’histoire chinoise Superpower Interrupted.

Depuis la fondation de la première dynastie impériale en 1554 av. J.-C., les Chinois ont toujours imposé leur propre vision du monde. Ils sont à la pointe de la technologie et dominent la culture depuis plus de 3.000 ans, tandis que leur influence politique s’étend au-delà de ses frontières.

La croyance passionnée en une seule Chine, comprenant entre autres Taïwan et Hong Kong, est l’un des piliers du nationalisme ethnique du président actuel Xi Jinping. Les bureaucrates et militaires chinois n’hésitent pas un instant à opprimer d’autres peuples ethniques en Chine. L’oppression des Tibétains et des musulmans ouïghours à Xinjang – qui a récemment provoqué une grande agitation internationale – ne sont que quelques exemples.

La montée du libéralisme occidental aux XIXe et XXe siècles et les humiliations subies sous le régime britannique et japonais n’ont été que des obstacles temporaires à l’ambition de la Chine de gouverner le monde, explique Michael Schuman.

La Chine : unique superpuissance dès 2049

Xi-Jinping n’a laissé aucun doute, dans une déclaration au Parti communiste chinois en 2017, sur le fait que la Chine revendiquera cette place. ‘D’ici 2049, la sagesse et l’approche chinoise devraient être le moyen dominant de résoudre les problèmes mondiaux’, avait-il affirmé. Cette approche garantira la stabilité mondiale. C’était un signal clair envers l’ordre mondial existant et les organisations internationales. Les Chinois en ont toutefois bien profité, notamment avec leur entrée dans l’OMC, l’organisation mondiale du commerce. De toute évidence, les Chinois ne pouvaient qu’apprécier l’impact de la politique de Trump dans ses attaques contre ces institutions qui avaient consolidé le pouvoir américain pendant plus de 70 ans.

7 millions de soldats chinois

Il existe de nombreux récits et de multiples chiffres sur la puissance militaire de l’armée chinoise. Mais un fait est certain. Les investissements dans l’armée augmentent de près 10% chaque année. Si vous comptez les coûts des salaires de soldats occidentaux, la différence avec l’armée américaine serait d’ailleurs très mince. La Chine recenserait 7 millions de soldats, ce qui lui donne un gros avantage sur le reste du monde.

Enfin, il n’y a plus de doute sur sa puissance économique. Tout d’abord, le déséquilibre commercial entre les États-Unis et la Chine crée une dépendance très fragile entre les 2 pays.

La balance commerciale entre les États-Unis et la Chine (The balance)

Les Chinois se concentrent donc également sur leur propre économie. Ils veulent être plus indépendants de l’Occident. Ils n’hésitent pas non plus à menacer également de nombreuses entreprises occidentales présentes sur leur territoire en cas de critique contre le régime. H&M en a récemment fait l’expérience. La marque a été bannie de toutes les plateformes de vente en ligne chinoise parce qu’elle s’interrogeait sur la politique des droits de l’homme de l’État chinois. Mais le Parti communiste ne se prive pas non plus d’influer sur les marques chinoises. Le fondateur d’Alibaba, Jack Ma en a fait les frais. Le gouvernement veut en effet utiliser ses technologies pour construire un régime basé sur le techno-totalitarisme.

Cette puissance économique lui permet également de renforcer son pouvoir politique. Les pays en développement en particulier en sont les premiers conscients.

(Yekaterina Shtukina/POOL/TASS /ABACAPRESS.COM)

Les aides d’État américaines l’emportent sur celles des Chinois

Cette tentative de domination mondiale pose des défis majeurs à l’Occident. Dans son récent livre Doom, Neill Ferguson – journaliste renommé et professeur d’histoire – identifie deux dangers majeurs auxquels s’expose l’Occident dans son commerce avec la Chine.

Premièrement, il y a la possibilité de ne pas suivre son propre chemin. Cela concerne la croyance en la libre entreprise, la liberté d’expression, le libéralisme économique et une démocratie participative.

Ferguson explique comment les hautes sphères du gouvernement s’intéressent à l’Occident. Ils pensent que les pays d’Europe et d’Amérique commencent à décliner, dans les trois domaines décisifs pour atteindre le statut de super-puissance.

Le pouvoir économique s’évapore petit à petit à mesure que la part du PIB occidental perd en importance sur le marché mondial. En outre, l’Occident n’est plus le paradis du libre-marché, de nombreuses règles le limite. On pourrait même affirmer qu’à certains égards, les États-Unis adoptent aujourd’hui une économie plus dirigée par le pouvoir central, que la Chine elle-même.

joe Biden Donald Trump
Joe Biden et Donald Trump (Isopix)

Trump et Biden ont présenté conjointement plus de 6.000 milliards de dollars de plans pour injecter de l’argent du gouvernement dans l’économie au cours de la dernière année. Il y a d’abord eu The American Rescue Plan: il a coûté 1.900 milliards de dollars. Ensuite, il y a eu le plan pour l’emploi américain visant à améliorer l’infrastructure pour 2.200 milliards de dollars. Pour couronner le tout, Biden a récemment lancé le plan d’aide aux familles américaines. Coût: 1.900 milliards de dollars.

Ensemble, ces 3 plans représentent plus de 25% du PIB américain, un montant colossal contre lequel l’interventionnisme de l’État chinois est un jeu d’enfant. Pour mettre ce montant en perspective: c’est 12 fois le PIB belge sur une base annuelle.

Les confinements ont pris notre raison en otage

La plupart des États européens ont imposé un confinement strict pour limiter la virulence du coronavirus. Mais ce fut une erreur. C’était une copie de l’approche chinoise, alors que l’Occident aurait dû se concentrer sur une autre vision, celle de Taïwan. L’île a surtout travaillé sur base de testing de masse, de tracing des contacts et de distanciation sociale. Les Taïwanais n’ont jamais franchi le pas drastique du confinement. Quelque chose que les pays occidentaux n’ont pas facilement compris, un déni de nos idéaux de liberté.

C’est de cette manière que petit à petit nous ne protégeons plus nos valeurs de liberté et de libéralisme économique. Nous sommes tombés dans les pratiques chinoises, ce qui prouve que la Chine a raison, explique Ferguson.

Isopix

La Chine connaît un déclin occidental imparable

En outre, Ferguson note que la Chine se sent aujourd’hui culturellement supérieure à l’Occident. La Chine est consciente de la bataille entre les deux superpuissances. Mais pour elle, la politique occidentale est défaillante. Et le modèle occidental est en déclin dans les 3 domaines qui déterminent ce statut.

Le professeur Jiang Shi-Giong, professeur à l’Université de droit de Pékin, voit plusieurs raisons à cela :

  • Les inégalités croissantes en Occident rendent impossible une croissance économique équilibrée.
  • Les démocraties sont devenues des systèmes très inefficaces pour diriger un pays, surtout en ces temps où les choses changent très vite.
  • La décadence et le nihilisme occidentaux dans de nombreux pays sont le signe que l’Occident ne représente plus un ensemble de valeurs partagé par le plus grand nombre.

Dans son récent livre La Chine a-t-elle encore gagné?, Kishori Mahbubani, diplomate de l’ONU et professeur de Singapour, a déclaré que l’Occident avait déjà perdu la bataille.

La Chine surjoue

Toutefois, la Chine ne s’en sort pas aussi bien qu’elle le dit. Il est clair que la Chine a récemment perdu beaucoup de crédit. Sa diplomatie agressive – dite du guerrier loup – qui punit les plus petits pays qui osent la critiquer est revenue en force et cela tombe très mal.

C’est pourquoi de nombreux pays occidentaux se réveillent maintenant. Ils se rendent compte que la Chine n’est pas seulement un grand marché où les multinationales occidentales peuvent vendre leurs produits. La Chine est également un acteur mondial qui veut s’asseoir à la table et est convaincu que l’Occident doit l’écouter.

La stratégie occidentale

Aujourd’hui, l’Occident questionne deux stratégies. La première – plutôt originaire du monde anglo-saxon – est convaincue qu’il faut isoler la Chine. Joe Biden est également convaincu de cette stratégie. La récente déclaration du G7 sur les Ouïghours a provoqué une réaction furieuse de la part des Chinois. Les réponses de la Chine sont de plus en plus agressives, audacieuses et imaginatives.

L’autre voie, privilégiée notamment par l’Allemagne, est la ‘coopétition’. La Chine reste un ennemi, mais les États occidentaux essayent de coopérer. Après tout, il y a des intérêts économiques majeurs en jeu qui n’existaient pas pendant la première Guerre froide. En outre, les problèmes mondiaux majeurs, dont le plus important est certainement le changement climatique, doivent être solutionnés tous ensemble, la Chine y comprise.

La stratégie finale pourrait aller dans les deux directions. Ce qui est certain, c’est qu’il n’en faudra pas beaucoup pour allumer les feux d’une nouvelle guerre. Bien qu’elle reste froide pour le moment.

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