Masques, vêtements, smartphones, voitures… La Chine exporte discrètement le travail forcé des Ouïghours, y compris en Belgique

Deux enquêtes publiées cette semaine, l’une sur la récolte du coton et l’autre sur la production de masques buccaux, mettent une nouvelle fois en lumière l’organisation et le recours par le pouvoir chinois au travail forcé de centaines de milliers de Ouïghours, une minorité musulmane de la province du Xinjiang.

Depuis plusieurs années maintenant, et malgré la chape de plomb mise en place par Pékin, les rapports dénonçant le sort réservé par le pouvoir chinois aux Ouïghours se multiplient. Cette ethnie turcophone musulmane, majoritaire dans la province du Xinjiang (nord-ouest de la Chine), fait l’objet d’une ultra-surveillance de la part du régime communiste sous prétexte de vouloir lutter contre le terrorisme islamiste. Selon différentes sources, plus d’un million de Ouïghours seraient actuellement, ou auraient transité, dans des camps de rééducation géants érigés par Pékin.

‘Encadrement de style militaire’

Un nouveau rapport réalisé par le chercheur allemand Adrian Zenz pour la fondation américaine Victims of Communism, et publié mardi par la BBC, Libération et le Süddeutsche Zeitung, vient jeter une nouvelle lumière crue sur le sort des Ouïghours, et d’autres ethnies minoritaires, en Chine: ‘au moins un demi-million d’habitants du Xinjiang issus des minorités ethniques (sont) envoyés dans les champs de coton pour y travailler de force’.

Jusqu’à il y a quelques années, ce travail était accompli par des travailleurs migrants originaires d’autres provinces. Mais désormais, en parallèle, Pékin ‘fournit aux planteurs une main-d’œuvre locale « disponible », « docile », « obéissante », « travaillant dur », « avec un encadrement de style militaire », affirme Adrian Zenz dans son rapport.

Coton made in China? ‘La probabilité d’être bénéficiaire du travail forcé de Ouïghours est forte’

‘La hausse des salaires en Chine, le prix du transport des travailleurs saisonniers, conjugués à une diminution des aides publiques au secteur depuis 2013, avaient rendu le coton chinois cueilli à la main plus cher que le coton mécanisé américain’, explique le rapport. La Chine souhaite donc logiquement accélérer la mécanisation, ‘notamment en subventionnant l’achat de machine. Mais la mécanisation ne dépasse pas 20% dans le sud de la région (du Xinjiang). De plus, les surfaces agricoles dédiées au coton ne cessent d’augmenter. Ce qui fait que, en 2019, 70% du coton produit au Xinjiang était encore cueilli à la main.’

Le rapport conclut que ‘chaque personne qui porte un vêtement ou un accessoire qui comprend, à un moment ou à un autre de la chaîne de production, une fibre de coton produite en Chine, doit envisager la forte probabilité d’être bénéficiaire du travail forcé de Ouïghours.’

Pour cette raison, les États-Unis ont annoncé au début du mois de nouvelles mesures contre les importations de coton en provenance du Xinjiang.

La pandémie invite le travail forcé jusque dans les pharmacies belge

Mais la problématique du travail forcé des Ouïghours ne se limite pas à la culture du coton. Une enquête du Tijd et de L’Echo, menée avec des médias d’autres pays européens et l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), dévoile ce mercredi que des masques chirurgicaux produits sous la contrainte par des Ouïghours en Chine sont vendus dans des milliers de pharmacies belges.

Au centre de l’enquête, le fabricant chinois Hubei Haixin, qui aurait approvisionné les officines belges par l’intermédiaire des distributeurs du groupe pharmaceutique américain McKesson.

‘Programme d’emploi’ et grandes marques mondiales

L’Echo écrit que des rapports inquiétants sur l’usine de Hubei Haixin Protective Products circulent depuis le mois de mars. Notamment un rapport de l’Institut australien de stratégie politique (ASPI) qui dénonçait au début de l’année le transfert, entre 2017 et 2019, de dizaines de milliers de Ouïghours vers des usines fournissant ‘83 marques connues mondialement dans la technologie, le textile et l’automobile’, dans le cadre du controversé ‘programme d’emploi’ chinois concernant la minorité musulmane.

Parmi les grandes marques épinglées par l’ONG: Apple, Sony, Samsung, Microsoft, Nokia, Adidas, Lacoste, Gap, Nike, Puma, Uniqlo, H&M, BMW, Volkswagen, Mercedes-Benz, Land Rover, Jaguar, etc.

‘Ces dernières années, au moins 80.000 Ouïghours ont été transférés de la province chinoise du Xinjiang (…) pour travailler ailleurs dans le pays dans des usines telles que celle de Hubei Haixin Protective Products’, écrit L’Echo.

‘Menaces, lavage de cerveau, surveillance…’

Le quotidien ajoute que ‘dans et autour de l’usine, les travailleurs ouïghours vivent dans des dortoirs séparés, ne peuvent se déplacer librement, sont constamment contrôlés (…), sont menacés, subissent un lavage de cerveau, sont exploités, ont des horaires de travail excessifs et travaillent sous la surveillance d’un management de style « militaire ».’

Des accusations que les diplomates chinois nient, les qualifiant de ‘mensonges d’extrémistes anti-chinois’, cite L’Echo.

Selon un document consulté par le quotidien économique, un distributeur suédois a demandé en janvier dernier à Hubei Haixin de cesser de faire travailler des Ouïghours. La firme a promis de le faire à l’expiration de leur contrat en mars. Toutefois, en raison de la pandémie de coronavirus, quelque 130 femmes ouïghoures ont encore été contraintes de continuer à y travailler jusqu’au mois de septembre.

Les masques de Hubei Haixin ont été distribués en Belgique, mais également en Suède ou encore en Italie, entre autres.

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