« La relation entre Ursula von der Leyen et Charles Michel n’a jamais été si mauvaise »

Ils sont les deux têtes de pont de l’Union européenne. La première est présidente de la Commission européenne, qui guide l’UE par des propositions de loi concrètes. Le second, à la tête du Conseil, tranche en compagnie des chefs d’État et de gouvernement. Politico fait état d’une relation détestable qui nuit forcément à l’efficacité de nos institutions européennes.

Pourquoi est-ce important ?

"Who do you call when you want to call Europe?" est la phrase généralement attribuée à l'ancien secrétaire d'État américain, Henry Kissinger, en pleine guerre froide. Plus de 50 ans plus tard, il n'est toujours pas évident de répondre à cette question. L'Union européenne est divisée entre le Conseil européen (les États membres), la Commission (exécutif) et le Parlement européen (législatif). Depuis l'introduction du Conseil qui visait à combler le manque de représentation, c'est un conflit de tous les instants avec la Commission. C'est particulièrement vrai à l'heure d'une Europe menée par Ursula von der Leyen et Charles Michel.

Dans l’actu : Politico, souvent très bien informé sur la machinerie européenne, parle d’une relation qui s’est dégradée vers un point de non-retour, entre Ursula von der Leyen et Charles Michel.

  • « La relation entre la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président du Conseil européen, Charles Michel, n’a jamais été si mauvaise ».
  • Alors qu’au départ de leur mandat, une réunion en tête-à-tête était prévue chaque lundi, les deux dirigeants ne se parlent plus, et ne se voient que lors de réunion de groupe ou lors de conférences de presse.
  • Les deux services travaillent en autarcie et ont toutes les difficultés à s’échanger des informations. C’est ainsi que lorsque la Commission fait des propositions, le Conseil n’est mis au courant qu’au dernier moment, alors que c’est le Conseil qui est censé trancher les propositions en compagnie des États membres, Charles Michel jouant le rôle de négociateur entre les chancelleries.

Le détail : de l’aveu de plusieurs fonctionnaires européens, la responsabilité de cette mauvaise relation est partagée.

  • La Commission (supranationale) et le Conseil (intergouvernemental), de par leur raison d’être, se font concurrence. Mais Jean-Claude Juncker et Donald Tusk – le duo précédent – avaient compris que se tirer la bourre n’apporterait rien de bon à l’Europe, et ils ont décidé de travailler dans une entente cordiale, se voyant régulièrement.
  • La situation est complètement différente avec le duo actuel. Les réunions du lundi en tête-à-tête se sont rapidement raréfiées. Une lutte d’égos et de pouvoir a pris place, pour savoir qui de la présidente de la Commission ou du président du Conseil représentait l’UE en dehors de l’Europe.
  • En juin dernier, lors du G7 en Allemagne, Charles Michel s’est vu refuser de participer à une réunion entre von der Leyen et le Premier ministre indien, Narendra Modi. En réponse, lors du prochain G20 à Bali, Charles Michel rencontrera Xi Jinping au nom de l’Europe, et la présidente de la Commission ne sera évidemment pas la bienvenue.
  • L’épisode dit du sofagate a été, si pas le déclencheur, au moins la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : en visite en Turquie, Charles Michel s’est assis à côté de Recep Tayyip Erdoğan, sur la seule chaise disponible, laissant von der Leyen, décontenancée, s’assoir dans le canapé, en face du ministre des Affaires étrangères turc. Cet épisode, au moins maladroit, poursuivra l’ancien Premier ministre belge pendant de longs mois. Désormais, en Europe, tout le monde connaissait son nom. Sans doute aurait-il souhaité que cela se passe dans d’autres circonstances.
  • C’est aussi une question de personnalité. Von der Leyen, médecin de formation, est une procédurière, mère de 7 enfants, qui a le sens du détail et de l’organisation. Charles Michel est beaucoup plus dans le relationnel et le contact. Habitué du contexte international, son sens politique l’a placé au premier étage des institutions européennes, car il a su bien s’entourer, construisant notamment une relation privilégiée avec Emmanuel Macron.
  • « Honnêtement, ils sont tous deux responsables », a déclaré un fonctionnaire européen à Politico. « Vous avez eu des tensions par le passé également, mais au final, cela s’est toujours résumé à des questions de personnalités. Leurs prédécesseurs ont compris qu’il était dans leur intérêt à tous deux de trouver une relation de travail stable. »

L’essentiel : forcément, c’est l’Europe qui perd.

  • L’Europe est la perdante d’une mauvaise relation entre les deux dirigeants. En termes d’unité, mais aussi d’efficacité. Les services du Conseil sont parfois contraints de jouer « les journalistes » pour découvrir les intentions de la Commission. Ce qui ne facilite pas le travail préparatoire nécessaire avant les Sommets européens.
  • Tout récemment, Michel s’est interrogé sur l’absence de propositions sur le plafonnement des prix du gaz, alors que les dirigeants nationaux l’avaient demandé lors de leur sommet d’octobre. Il est souvent reproché à von der Leyen de prêter une oreille trop attentive à son pays natal, l’Allemagne, qui a été le plus farouche opposant à un tel bouclier énergétique au niveau européen.
  • En tout cas, au niveau de la presse, la présidente de la Commission répond presque uniquement aux médias allemands. Politico a d’ailleurs lancé un compteur : cela fait plus de 380 jours que von der Leyen n’a pas répondu à une demande d’interview.
  • « En cas de crise, l’UE est censée se rassembler », a ajouté le fonctionnaire. « Oui, structurellement, les deux institutions sont en conflit. Parfois, la répartition des tâches n’est pas claire. Mais nous avons besoin d’adultes dans la pièce ».
Plus