« Chers ministres, que vous ne compreniez pas les cryptos nous empêchera de garder la Belgique compétitive »

Notre pays risque de créer son propre handicap industriel en loupant un phénoménal virage technologique: celui de la blockchain et des cryptomonnaies. Ne pas en cerner le fonctionnement nous interdit d’en saisir les opportunités, affirme la plateforme belge Bit4You.

Entre le boycott imposé par Pékin et les tergiversations à Washington, la régulation des cryptomonnaies progresse de façon désordonnée à l’échelle internationale. En Belgique, le gouvernement De Croo avait décidé d’avancer quelque dernier en suivant les propositions de son ministre des Finances. En juin dernier, l’exécutif fédéral affichait sa volonté de structurer le contrôle l’industrie du bitcoin. Mais depuis, on attend les arrêtés royaux d’exécution…

Si les acteurs étrangers de la crypto s’interrogent sur les délais d’attente et la nature des nouvelles mesures, les entreprises belges ne s’impatientent pas. La plateforme bruxelloise d’échange d’actifs numériques, Bit4You, avait pris les devants avant de se lancer en 2018 et avait présenté son projet à l’autorité des marchés, la FSMA. Démarche bien intentionnée, d’autant plus que le gendarme financier ne pouvait pas reprocher grand-chose à la première cryptobourse belge en l’absence de cadre légal pour cette nouvelle activité.

Sans compter que Bit4You est bien connue des différents services de police, de la Federal Computer Crime Unit (FCCU) à la Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF), en passant par Interpol et Europol.

« Nous transmettons des informations spontanément. Nous jouons le jeu et travaillons dans les mêmes conditions réglementaires que le système financier classique », tient à souligner Marc Toledo, cofondateur et managing director de Bit4You.

Cette entreprise pionnière du commerce de cryptos en Belgique ne cesse de piquer la curiosité, car les clients la rejoignent désormais par milliers et son chiffre d’affaires flirte avec les 2 milliards d’euros. Mais sa direction comprend la position des décideurs politiques, pour ne pas dire leur grande frilosité.

Mécompréhension politique

« Je m’aperçois que les responsables ne possèdent pas les bonnes informations. Ils ont trop d’infos et ne comprennent pas globalement ce qui se passe », regrette Marc Toledo qui est récemment intervenu au parlement face au Comité d’avis sur les questions technologiques dédiées aux cryptomonnaies et n’a pu que constater ce manque de compréhension..

Le directeur de Bit4You est par ailleurs en contact avec Mathieu Michel et espère qu’il va davantage se tourner vers la blockchain. Car, selon lui, le secrétaire d’État à la Digitalisation semble avoir cerné les enjeux. Le « Monsieur numérique » du gouvernement fédéral a déjà eu l’occasion de se montrer bien documenté et modéré à propos des cryptos. Dès lors, Marc Toledo souhaiterait vivement évangéliser d’autres décideurs politiques.

« La priorité, ce serait de rencontrer des membres du gouvernement, qui ont la capacité de peser favorablement sur un secteur, afin de leur expliquer pourquoi nous ne devons pas rater le train de la blockchain. On doit absolument penser à cette technologie parce qu’aujourd’hui le simple fait Messieurs et Mesdames les ministres que vous ne compreniez pas la blockchain ne nous permet pas d’avancer dans la bonne direction qui nous permettra de garder la Belgique compétitive demain », considère l’entrepreneur crypto.

Une vision qui a récemment amené la Wallonie à s’essayer au marché des actifs numériques. Cela étant dit, face aux évolutions sociétales fondées technologiquement, comme celles portées par les cryptomonnaies, les parlements et les gouvernements ont tendance à subir le changement. « Il s’agit d’un réflexe tribal politique que nous avons régulièrement qui est de cadenasser, réfréner, quelque chose qu’on ne comprend pas et qu’on catégorise mal », avait concédé le président du cdH, Maxime Prévot. « L’ignorance des politiques face à la blockchain pousse au conservatisme. »

Le responsable de Bit4You aime souvent prendre l’exemple de l’époque où l’on croyait encore que la terre était plate : impossible alors d’imaginer qu’on pouvait faire un tour du monde. Il applique ainsi le même raisonnement à nos dirigeants qui n’ont pas conscience de la portée de ces technologies et ne peuvent donc pas envisager tout ce qu’il est possible de réaliser.

Retard technologique, risque économique

La position attentiste du gouvernement belge à l’égard des cryptomonnaies en particulier et de la blockchain en général pourrait se montrer dommageable pour nos entreprises, nos talents, en ne colmatant pas par exemple la fuite des cerveaux vers des pays voisins. Et la pression va croissante, ne serait-ce qu’avec les directives européennes que la Belgique devra transposer.

« Je reste pourtant persuadé qu’une séance, une seule séance d’information, avoir leur attention pendant une heure où on leur explique la blockchain dans des termes simples et illustrés, leur ouvrira les yeux sur tout ce qu’on pourrait faire », estime Marc Toledo. « Il y a des millions de projets et d’emplois qui vont naître de ces technologies. Alors tous les mois où l’on retarde la compréhension de nos dirigeants, cela cause un retard exponentiel sur l’innovation. Et par rapport aux Etats-Unis, à la Chine, la Suisse. »

Le managing director prêche certainement pour sa chapelle mais il n’est pas seul à penser que la blockchain et les cryptomonnaies, les fintechs (DeFi) et regtechs (smart contracts) qui en découlent, constituent une nouvelle révolution industrielle qu’il est vital de ne pas manquer. Encore faut-il décrypter tout ce potentiel.

« La Belgique a les atouts pour mener la révolution crypto, mais pas l’ambition », a encore récemment déploré le patron de Keyrock, étoile montante belge de la crypto. Sur le terrain entrepreneurial, les investissements, les start-up et les innovations ne manquent. Mais la bureaucratie et l’attentisme politique minimisent l’impact de l’écosystème belge.

Si par un heureux hasard nos dirigeants venaient à nous lire, Marc Toledo lance une invitation au Premier ministre, au ministre des Finances, ses homologues de la Justice, de la simplification administrative, des pensions… Tous ces décideurs politiques qui ont une lourde administration et qui pourraient, grâce à la crypto et aux technologies décentralisées, faciliter la vie du citoyen, des entreprises, des fonctionnaires.

Et in fine faciliter le fonctionnement de l’État.

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