‘Nous ne sommes pas là pour juger les cryptomonnaies mais pour veiller sur leur utilisation’

L’INTERVIEW DU WEEKEND – La nécessité de comprendre et réguler l’écosystème des cryptomonnaies s’impose de plus en plus, estime Gilles Vanden Burre. Le député fédéral préside le comité d’avis sur les technologies qui vient d’entamer un chantier sur l’industrie du bitcoin. Il se félicite de cette initiative pour ‘distinguer ce qui relève du fantasme et de la réalité, cerner les progrès techniques, identifier les enjeux pertinents en termes de gouvernance et de législation’.

Au sein d’un comité d’avis de la Chambre, on n’est pas dans l’immédiateté du travail parlementaire. Pas de ministre bombardé de questions d’actualité, de mêlées de députés sur tel ou tel projet de lois à défendre ou désapprouver dans l’urgence. Non. Ici, les législateurs belges prennent le temps. L’occasion de creuser des thèmes de société. Pour ce faire, plusieurs acteurs du secteur abordé prennent part à des auditions devant la petite assemblée. L’objectif restant toujours le même: terminer par une résolution, un texte de loi qui est voté pour demander au gouvernement fédéral de prendre des mesures. Après brainstorming entre représentants de partis, le comité sur les technologies s’attaque désormais aux cryptomonnaies. Et ce, de manière globale, pour explorer les différentes facettes des cryptos et de la blockchain, en tant qu’outil technologique, en tant qu’instrument financier, en tant que moyen de fraude et, évidemment, en tant qu’industrie énergivore. Deux auteurs spécialisés ont inauguré le cycle des auditions la semaine dernière. ‘Nous voulons voter d’ici la fin de l’année une nouvelle résolution parlementaire qui demande au gouvernement De Croo de mener toute une série d’actions au niveau de la régulation fiscale, financière, énergétique’, nous explique le député fédéral Gilles Vanden Burre (Ecolo), président du comité d’avis sur les questions scientifiques et technologiques. Entretien.

Business AM : Comment aborder objectivement en tant que décideurs politiques des technologies subversives telles que le bitcoin et les autres cryptomonnaies ?

Gilles Vanden Burre : C’est justement une des caractéristiques importantes pour notre groupe politique. Pour nous écologistes, il y a deux enjeux principaux posés par les cryptomonnaies en général qu’on ressent fort auprès de nos personnes-ressources et nos militants.

Premier point, cette possibilité de s’extraire du système financier international géré par toute une série d’institutions très lourdes, centralisées, contrôlantes. Ce que nous voyons positivement. Que des groupes de citoyens puissent s’organiser pour créer leur propre blockchain et potentiellement leur propre devise numérique, c’est intéressant. Pour gérer une coopérative d’énergie, un circuit court entre l’épicier et ses fournisseurs, on peut imaginer toute une série d’applications.

Le deuxième point, cela ne vous étonnera pas, c’est un véritable élément d’attention dans le développement de ces technologies, c’est l’impact énergétique et l’impact environnemental. Là, nous partageons certaines craintes. Les chiffres qui circulent inquiètent, même si leur catastrophisme a déjà été déconstruit en partie lors des premières auditions. Mais personne ne peut nier que cela consomme beaucoup d’énergie.

Ce chantier parlementaire, c’est plus qu’une séance de rattrapage pour conforter les a priori politiques ? Avez-vous l’ambition d’offrir une analyse rigoureuse à cette thématique polémique des cryptos ?

Précisément. La mission du comité d’avis est d’aller le plus loin possible dans l’objectivation. On n’est pas en plénière où en deux heures, on reste coincé dans les clivages politiques. Je pense que quelle que soit la conclusion que nous en tirerons, nous aurons déjà balisé la thématique avec des auditions très larges. Qu’on soit d’accord ou pas avec notre résolution, nous aurons débattu avec des cryptographes, des représentants des consommateurs, des gestionnaires de fournisseur d’énergie qui ont l’expérience de cette industrie comme Hydro-Québec.

En tant que président du comité, je veux que notre travail soit le plus utile pour le gouvernement mais rien que nous pencher sur la question, c’est fondamental et le Parlement doit se saisir de ce sujet. On reproche assez souvent aux politiques d’être en retard sur les évolutions. La technologie crypto ne date pas d’hier mais les enjeux en lien avec la gouvernance et la régulation se font très pressants. Le scandale One Coin, la volatilité du bitcoin, l’e-gouvernance décentralisée, il est temps d’objectiver.

Objectiver pour mieux réguler ?

Oui mais réguler, ça ne veut pas dire interdire ou rejeter. Il s’agit de prendre des dispositions pour que chaque citoyen qui se lance là-dedans soit d’abord conscient de ce qu’il fait. On nous dira sans doute que c’est trop tard. Mais si on ne le faisait pas, ce serait encore pire. Je me réjouis de cette initiative.

Je ne vais pas vous dire qu’on a un coup d’avance, mais il est plus que temps que les parlements, et pas seulement le fédéral, s’en saisissent. Les citoyens, les start-up, les acteurs technologiques progressent très rapidement sur ces questions. Je vois de plus en plus d’entreprises qui permettent même de payer en bitcoin. Il y a donc un impact pour les consommateurs belges, ce qui est plutôt récent. C’est normal que le politique s’empare de la question.

D’avis d’experts en réseautique et informatique, Bitcoin, qui a rassemblé des décennies de recherches en une solution fonctionnelle de transfert de valeur numérique, et les innovations en découlant constituent une rare prouesse. Alors, par rapport aux autres débats technologiques, ressentez-vous une complexité supplémentaire ?

La dimension technologique des cryptomonnaies peut effectivement créer une barrière. Surtout par rapport à l’appropriation par un parlement. En tant que parlementaires, nous n’avons pas tous d’expérience personnelle avec ces technologies comme nous l’avons avec les réseaux sociaux. Certains collègues découvrent le sujet.

Moi, je n’avais pas d’affinité avec les cryptos en tant qu’utilisateur ou créateur mais je reste sensible à l’innovation et je m’y suis intéressé au travers de lectures. Attaché à la lutte contre la fraude fiscale, je perçois certains aspects fondamentaux tels que la différence entre les blockchains pseudonymes comme Bitcoin ou celles totalement anonymes. Comprendre ce genre d’éléments aidera pour la régulation à venir.

Mais la barrière technique est assez importante, ce qui explique certainement pourquoi les échanges parlementaires et les interpellations de ministres sont plus rares sur le sujet.

Justement, un arrêté royal est annoncé cette année par le ministre des Finances pour mieux encadrer chez nous les plateformes qui permettent d’acheter, vendre ou échanger des cryptomonnaies. Alors que les fraudes pullulent depuis des années. Le gouvernement semble devoir parer au plus pressé. Est-ce à cause de cette barrière technique, selon vous, que l’exécutif n’a pas accordé davantage d’attention à l’industrie du bitcoin ?

Je pense que les arrêtés royaux qui seront pris répondront à une pression de l’Europe. Ou la nécessité de lutter contre le blanchiment et les arnaques, de trop nombreuses victimes belges ayant perdu de gros montants. C’est normal qu’il réagisse à très court terme. À plus long terme, ce serait intéressant que le gouvernement s’inscrive dans la démarche que nous lançons au parlement.

En synthèse, il semble régner un certain consensus politique: les cryptos ne peuvent plus être ignorée en Belgique ?

Les groupes politiques semblent dans cette démarche de vouloir décoder le secteur crypto. L’idée ici n’est pas de juger la technologie. En tout cas, moi, ce n’est pas ma motivation. Il est important de se dire que la technologie des cryptomonnaies reste un outil. En tant que politique, notre rôle est de veiller sur son utilisation et son impact sur la société.

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