Grande absente de la guerre en Ukraine, l’aviation russe va-t-elle entrer massivement en action ?

La Russie fait bouger ses avions selon certaines agences de renseignement, mais les Américains estiment peu probable qu’une grande campagne aérienne soit en préparation. Pourtant, l’aviation est sans doute la dernière carte conventionnelle dans l’arsenal du Kremlin encore à peu près intacte.

Pourquoi est-ce important ?

L'armée russe a énormément souffert en un an de guerre, tant du point de vue humain que matériel. Les Russes auraient atteint les 100.000 pertes, morts, blessés ou disparus - un chiffre à prendre avec des pincettes -, voire 140.000 selon les Ukrainiens. La moitié du parc de chars de combat russe serait hors de combat, soit plus de 3.200 machines. Mais l'aviation, elle, n'est qu'à peine entamée.

La Russie a perdu au moins 65 avions de tout type depuis le début de l’invasion, selon l’observateur Oryx. C’est énorme pour un conflit moderne où l’aviation engagée se résume en général à quelques dizaines d’appareils. Mais cela reste très peu par rapport aux autres matériels engagés. Et la Russie a encore des ailes en stock.

  • Un fait qui pourrait s’avérer capital alors que l’ensemble du front semble s’agiter de nouveau. Les rumeurs bruissent de tentatives russes de relancer une offensive, peut-être avec l’objectif de prendre de vitesse les Ukrainiens, dont les forces montent en puissance avec les nouvelles livraisons occidentales. De nouvelles armes sont en route, mais pas d’avion, malgré que Zelensky en réclame.
  • Pourtant, le secrétaire américain à la Défense, Lloyd J. Austin III, a voulu dissiper ce genre de craintes le 14 février dernier à Bruxelles : « Pour ce qui est de savoir si la Russie rassemble ou non ses avions en vue d’une attaque aérienne massive, nous ne le voyons pas actuellement. « Nous savons que la Russie dispose d’un nombre substantiel d’avions dans son inventaire et qu’il lui reste beaucoup de capacités. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour doter l’Ukraine d’une capacité de défense aérienne aussi importante que possible. »
  • On peut supposer qu’un secrétaire américain à la Défense est parmi les personnes les mieux informées sur le sujet, mais il n’empêche que les inquiétudes se multiplient. Selon les renseignements britanniques, la Russie semble masser des aéronefs à relative proximité de la frontière ukrainienne.
  • Parmi eux, une photo semble prouver la présence de 5 Soukhoï SU-57, « Felon » en code OTAN, sur une base située à 500 km de la frontière. Des engins ultramodernes qui n’ont rejoint l’ordre de bataille russe qu’en 2019 et dont les caractéristiques sont encore inconnues à l’ouest. La Russie ne possèderait pas plus d’une dizaine de ces appareils, et en voici donc 5 qui seraient prêts à intervenir en Ukraine.

Un grand « All in » aérien ?

Le Kremlin voudrait-il peser de tout le poids de ses forces aériennes pour faire plier les Ukrainiens ? C’est possible, mais fort incertain, et surtout très risqué.

  • Jusqu’à présent, les avions russes ont surtout tiré de loin des missiles à longue portée sur les villes ukrainiennes. Mais la Russie a probablement très largement entamé ses stocks de munitions autopropulsées, et peut-être même celui des drones low cost iraniens.
  • Elle pourrait passer à la vitesse supérieure en sortant ses bombardiers, ce qui serait de fait une terrible escalade dans une guerre déjà particulièrement destructrice.
  • Mais cela équivaudrait à envoyer des pilotes au casse-pipe. Car la Russie n’a jamais obtenu de supériorité aérienne au-dessus de l’Ukraine, qui possède toujours des avions de combat, bien cachés et qui ne sortent que pour des missions-éclairs.

« L’incapacité de la Russie à obtenir la supériorité aérienne a contraint ses forces à engager des cibles en Ukraine à longue distance, en faisant un usage intensif de missiles de croisière et d’autres armes. Les forces aériennes des deux camps ont subi des pertes. En 2022, la Russie a perdu environ 6 à 8 % de son inventaire d’avions de combat tactiques actifs, mais la taille globale de la flotte masque quelque peu la perte de certains types individuels, y compris des réductions atteignant 10 à 15 % pour certaines flottes d’avions multirôles actifs et d’avions d’attaque au sol d’avant-guerre. »

Institut international d’études stratégiques (IISS) dans son rapport annuel sur l’équilibre militaire, publié le 15 février.
  • En outre, si les Occidentaux ne cèdent pas d’avions, ils sont largement d’accord pour fournir à Kiev des missiles intercepteurs tels que les Patriot, et des armes antiaériennes, comme le fameux Gepard. Un mur d’acier dans le ciel auxquels les avions russes ne se frotteraient pas sans pertes.
  • Or, perdre des appareils et des pilotes, c’est médiatiquement très dur, même pour la Russie. En outre, si des appareils modernes se faisaient abattre, nul doute que tous leurs secrets de fabrication seraient bien vite aux mains des Occidentaux. Un risque que les Russes prennent déjà avec leurs chars les plus modernes, les T-14 Armata, qui jusqu’ici n’ont servi que sur le front de la propagande.

Un dernier atout, mais défensif

Une autre possibilité, plus prosaïque, et que l’aviation russe est gardée en réserve pour faire peser la balance en cas de reprise des contre-offensives ukrainiennes. Difficile d’avancer sous une pluie de bombes. Un rôle un peu moins dangereux, et qui correspond d’ailleurs mieux à ses doctrines d’emplois – le soutien des troupes au sol – qu’une vaste campagne aérienne. Mais attention que rien n’est jamais prévisible dans une guerre, et que les doctrines peuvent changer. Mais rarement sans casse.

« Les capacités des Ukrainiens augmentent avec le temps. Nous leur envoyons une capacité de défense aérienne, mais nous ne leur envoyons pas la densité de capacité de manière à nier complètement la Russie. »

Philip M. Breedlove, ancien commandant suprême des forces alliées de l’OTAN, auprès de Air&Space Forces Magazine
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