Alors que l’Europe craint vivement de manquer de gaz pour l’hiver à venir et que les prix ont quadruplé en un an, les Pays-Bas doivent normalement considérablement réduire la production du plus grand gisement du continent, avant de le fermer complètement. Mais au vu de la situation, certains se demandent si c’est une bonne idée.
Ce gisement se situe à Groningue, tout au nord du pays. Depuis plusieurs dizaines d’années, son exploitation y a causé des centaines de (le plus souvent légers) tremblements de terre. De quoi endommager des maisons, écoles et bâtiments, et pousser l’exploitant local, NAM (une coentreprise entre Exxon et Shell), à verser des milliards d’euros de compensations.
Face aux pressions des citoyens et des politiciens locaux, le gouvernement néerlandais avait annoncé en 2018 qu’il mettrait fin à l’exploitation du gisement. Toutefois, entre-temps, de l’eau a coulé sous les ponts. Avec la guerre en Ukraine, Gazprom diminue progressivement ses exportations vers l’Europe, tandis que cette dernière multiplie les efforts pour s’approvisionner autrement.
Fermeture souhaitée pour 2023
Le mois dernier, une enquête parlementaire sur la question a commencé ses auditions publiques. Actuellement en pause, elle reprendra fin août pour s’achever à la mi-octobre. Un rapport sera publié quelques mois plus tard.
Initialement, les intentions des autorités néerlandaises étaient de nettement réduire la production à partir du 30 septembre de cette année, avant de mettre fin à l’exploitation du champ en 2023.
En juin dernier, le secrétaire d’État aux Mines Hans Vijlbrief a confirmé que la production annuelle allait diminuer, passant de 4,5 à 2,8 milliards de m³ à partir du 30 septembre. Mais, contrairement à ce qui était prévu, cela ne se traduira pas par une fermeture de certains puits: ils resteront ouverts et seront mis en veilleuse. En outre, Hans Vijlbrief s’est abstenu de tenir un engagement formel envers une fermeture totale du champ gazier pour 2023. Il a simplement déclaré que l’intention était de le fermer pour 2023 ou 2024, « si la situation géopolitique le permet ». Un brusque coup de frein, donc.
« Les Pays-Bas pourraient ne pas avoir le choix »
On l’a dit, ce qui pourrait faire changer le gouvernement néerlandais d’avis, c’est la conjoncture. Et la solidarité qui est attendue de sa part envers ses voisins, et particulièrement envers l’Allemagne. Le pays, qui dépendait très fortement du gaz russe avant le début de la guerre en Ukraine, tente vaille-que-vaille de trouver d’autres sources d’approvisionnement.
Interrogée par le Financial Times, la ministre néerlandaise des Affaires économiques et de la Politique climatique a souligné l’importance de cette solidarité européenne. « Chaque pays de l’UE réfléchit à la manière de réduire sa consommation de gaz et de se préparer à ce qui pourrait arriver », a-t-elle déclaré. Alors que les Pays-Bas « n’auraient pas à » aider l’Allemagne, a-t-elle expliqué, ils pourraient ne pas avoir le choix.
« Nous examinons pour l’instant les interdépendances parce que nous sommes tellement connectés en Europe. Ce ne serait donc pas une bonne chose pour eux si nous fermions quelque chose d’essentiel, et l’inverse n’est pas bon non plus. Nous discutons donc de l’impact que cela pourrait avoir », a-t-elle ajouté.
Un dossier suivi de près par les Pays-Bas est celui du nucléaire allemand. Si Berlin décidait de reporter la fermeture de ses centrales, prévue pour la fin de l’année, l’Allemagne pourrait ne plus avoir autant besoin du gaz néerlandais. Ce qui enlèverait une sacrée épine du pied du gouvernement néerlandais.
Les USA attentifs
En outre, en ce début de semaine, le Financieele Dagblaad a révélé que les Etats-Unis s’étaient immiscés dans le dossier. Si pas récemment, en tout cas au début de l’année. Ainsi, dès le mois de janvier, avant le début de la guerre en Ukraine, Washington a envoyé des courriers à La Haye. Sa demande: ne pas fermer le gisement de Groningue et même… y augmenter la production.
En outre, les Etats-Unis ont aussi demandé des informations concernant la quantité exacte de gaz extraite à Groningue ainsi que sur les exportations des Pays-Bas en provenance de Russie. Les Américains, au courant des intentions des Russes en Ukraine, voulaient s’assurer que Groningue puisse être un élément garantissant une production de gaz suffisante en Europe.
Finalement, les États-Unis n’ont pas fourni aux Pays-Bas une demande officielle d’augmentation de la production à Groningue. Et que les réponses que leur ont fournies le gouvernement néerlandais sont restées conformes à ce qui a été énoncé publiquement: l’objectif est de réduire la production puis d’y mettre un terme… si les conditions le permettent.
Et les Néerlandais dans tout ça ?
Jusqu’à présent, la question du gisement de Groningue, le plus grand d’Europe, n’a été abordée que sous le prisme international. Mais qu’en est-il des Pays-Bas ? Est-ce un problème pour eux de fermer le champ ?
La réponse n’est pas claire. Initialement, lorsque la décision a été prise de fermer le gisement, La Haye estimait que cela ne poserait pas de problème d’approvisionnement. Mais, à nouveau, la donne a changé. La construction d’une usine censée adapter le gaz importé aux chaudières du pays – en y ajoutant de l’azote – a pris du retard. Or, cette installation est nécessaire pour remplacer le gaz de Groningue.
En parallèle, les Pays-Bas s’activent pour développer et construire de nouveaux terminaux et des installations de stockage destinés au gaz naturel liquéfié. Sans oublier la (controversée) reprise d’un projet de forage gazier en collaboration avec… l’Allemagne. Rappelons aussi que le gouvernement a récemment levé le plafond imposé aux centrales électriques au charbon, qui étaient limitées à 35% de leur capacité de production.
Gasunie Transport Services, propriétaire des infrastructures gazières du pays, a assuré en juillet que même si la Russie fermait complètement les robinets, « il n’y aura pas de pénurie de gaz aux Pays-Bas l’hiver prochain » tant que les nouvelles infrastructures seront construites. Un discours qui ne rassure toutefois pas tout le monde, d’autant plus qu’il est assorti de multiples conditions. Le gouvernement n’exclut d’ailleurs pas de demander aux clients industriels de réduire leur consommation. Mais certaines entreprises craignent que cela ne suffise pas.
« Lorsque ces mesures ne sembleront pas suffisantes et qu’il n’y aura pas d’autre option, nous devrons nous pencher à nouveau sur le champ de Groningue », a prévenu Cees Oudshoorn, directeur général de l’organisation patronale VNO-NCW.
Si la pression nationale commence à s’ajouter à celle internationale, le gouvernement néerlandais pourrait véritablement être amené à changer son fusil d’épaule.