L’inflation, la guerre en Ukraine ou encore la crise de la chaîne d’approvisionnement. Les inquiétudes qui entourent l’économie mondiale sont connues. Mais on ne parle sans doute pas assez de ce qui fonctionne encore très bien. Alors qu’un nombre croissant d’économistes crient au loup, d’autres préfèrent se montrer rassurants. En l’état, ils ne voient pas de récession mondiale pointer à l’horizon.
Pour le président de la Banque mondiale, la récession mondiale semble inévitable. David Malpass craint que la guerre en Ukraine ne rende si cher le pétrole, le gaz et les denrées alimentaires que le consommateur dépense moins, ce qui provoquerait un ralentissement de l’activité économique, et par conséquent de la croissance.
Matières premières
Le raisonnement se tient et est connu. Mais il ne prend pas en compte certaines réalités. La clé, c’est la prévisibilité. Or, que la guerre en Ukraine s’achève rapidement ou pas, le tournant historique opéré par l’Europe à l’encontre des hydrocarbures russes est là pour durer. À moins d’un très hypothétique changement de régime en Russie, les chancelleries européennes sont en passe de se détourner des énergies fossiles de Moscou. Après le pétrole, dont l’embargo ne semble être qu’une question de temps, le gaz devrait logiquement suivre. De nombreux pays européens ont déjà baissé leur consommation d’hydrocarbures russes ou cherchent activement des approvisionnements alternatifs. C’est une réalité déjà intégrée par les marchés. Ce qui veut dire que les prix resteront hauts pour un moment, mais qu’ils pourraient échapper à une nouvelle explosion.
Au niveau des autres matières premières, on semble aussi connaitre un certain plafond. « La plupart des prix des matières premières devraient culminer au deuxième trimestre de 2022 », selon Simon Baptist, économiste en chef à l’Economist Intelligence Unit. L’approvisionnement se réorganise, et de premiers signes encourageants nous arrivent de Chine, qui a assoupli ses mesures sanitaires à Pékin et surtout à Shanghai, son poumon économique.
Une réalité qu’observe également Goldman Sachs au niveau des trois principaux métaux nécessaires à la construction de batteries électriques. Les prix du cobalt, du lithium et du nickel ont atteint leur sommet et s’apprêtent de ce fait à chuter au cours des deux prochaines années, prédit la banque.
Consommation
Si la consommation intérieure a baissé en Chine ou encore en France ce dernier trimestre, à l’échelle du globe, le manque de confiance n’est pas criant. La croissance continue de tourner dans de nombreuses régions du monde. « Pour presque toutes les économies d’Asie, une récession est assez peu probable », estime Baptist.
En outre, de nombreux pays connaissent un taux de chômage au plus bas. C’est certainement vrai aux États-Unis où le ralentissement de la croissance n’a pas refroidi un marché de l’emploi en surchauffe, mais également en Europe, où le taux de chômage à 6,8% de la population active, a atteint son plus bas niveau historique.
Suite à l’épargne constituée durant la pandémie et suite aux plans de relance, la consommation reste bonne et la perte de confiance ne se matérialise pas encore. Un indicateur est par exemple le volume de transaction par carte de crédit. Fin avril, Americain Express indiquait une hausse des volumes de transaction de 30%. JP Morgan et Bank of America ont également enregistré des dépenses toujours importantes, via carte bancaire. Globalement, aux États-Unis, la consommation a progressé de 0,9% le mois dernier, ce qui a rassuré les marchés la semaine dernière.
Réponse des banques centrales
Certains signes montrent aussi que l’inflation est en train de s’inverser. Aux États-Unis, l’inflation a ralenti de 6,6% à 6,3% le mois dernier. En Europe aussi, l’inflation semble se stabiliser, même si ses effets doivent encore se faire ressentir au niveau des entreprises, de par l’augmentation des coûts salariaux. Tout cela reste bien sûr très élevé, mais c’est peut-être le début d’une descente progressive vers les 2%. Ce retour à la normale n’est toutefois pas attendu avant au moins un an, dans le meilleur des scénarios.
Tout dépendra en fait de la capacité des banques centrales à juguler l’inflation. On le sait, la Fed a augmenté ses taux d’un demi-point de pourcentage plus tôt ce mois-ci, et s’apprête à faire de même cet été. C’est attendu. Il n’y aura pas d’effet de surprise pour les marchés. La BCE devrait faire de même, après avoir longuement hésité. L’incertitude serait d’observer que ces hausses des taux d’intérêt n’ont pas d’effet sur l’inflation, ce qui pourrait pousser les banques centrales à agir davantage, jusqu’à créer une récession.
« Plus l’inflation reste élevée longtemps, plus les marchés craignent que les banques centrales ne soient pas en mesure de l’apprivoiser sans provoquer de récession. Comme l’a indiqué le président de la Fed, Powell, faire passer l’inflation à 2% inclura une certaine douleur », a expliqué à la CNBC, Shane Oliver, économiste en chef d’AMP Capital. Mais dans tous les cas de figure, l’économiste ne voit pas de récession avant 18 mois. Pourquoi ? Parce que c’est le temps qu’il faudra pour que « les courbes de rendement ou l’écart entre les rendements obligataires à long terme et les taux à court terme s’inversent de manière décisive ». Si cet indicateur encore plus décisif que l’inflation devait s’inverser aujourd’hui, il est attendu, en moyenne, qu’une récession suive au bout de 18 mois.
Stagflation
En attendant, de nombreuses économies dans le monde se trouveront dans un scénario de stagflation, avec une croissance faible et une inflation importante. C’est le scénario envisagé par la majorité des économistes, de Mohamed El-Erian à Otmar Issing, qui a été économiste en chef à la BCE et l’un des architectes de la monnaie unique.
Il ne faut toutefois pas exclure l’une ou l’autre récession, localement, en France ou au Royaume-Uni, met en garde Saxo Bank. Rappelons qu’une récession se définit comme une période de deux trimestres consécutifs en perte de croissance. Mais pour l’heure, rien n’indique une récession inévitable.