Elles n’ont pas empêché les programmes nucléaires iranien et nord-coréen, mais ont contribué à faire tomber l’apartheid: quelle portée peuvent avoir des sanctions économiques?

A l’heure des débats sur les sanctions économiques prises par l’Occident contre la Russie, sur leur efficacité, leur pertinence, leur cible, leurs aléas (par exemple : toucher davantage la population que les personnes initialement visées), il est intéressant de faire le tour des sanctions qui ont déjà été prononcés dans le monde. Toutes n’ont pas fonctionné.

Les sanctions qui visent la Russie ont cependant déjà des effets : le rouble dégringole, les investisseurs fuient le pays, les avoirs des oligarques et des politiques sont gelés à l’étranger, la population se rue sur les banques, le taux d’intérêt a augmenté à 20%, les réserves importantes de la Banque centrale sont en partie gelées – l’économie souffre. Pour l’heure, cela ne semble pas encourager Poutine a arrêter la guerre.

Est-ce que les sanctions vont ruiner le pays et mettre fin à la guerre car il n’y aura plus d’argent pour la mener ? Est-ce que la population, appauvrie, va se retourner contre le régime? Comment les sanctions ont-elles agi dans d’autres pays?

Corée du Nord

La Corée du Nord est le pays le plus sanctionné du monde, rapporte BFM Business. Le pays est isolé du système financier depuis plus de 70 ans, et depuis 2006 les personnes qui sont impliquées dans les programmes nucléaires n’ont pas le droit de se déplacer en dehors du pays, les armes sont sous embargo et de nombreux avoirs sont gelés. Depuis 2017, il est même interdit d’importer du textile depuis la Corée du Nord, et d’y livrer du gaz ou du pétrole raffiné.

Toujours est-il que le pays dit avoir développé sa bombe nucléaire, et fait de nombreux tests de missiles balistiques. Les sanctions (certains pays africains et la Chine en imposent moins) seraient en partie efficaces, car elles ont pu freiner le programme nucléaire, et celui-ci ne semble pas avoir abouti. Le pays n’a pas de capacité de seconde frappe, explique Benjamin Hautecouverture, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique.

Mais aucun changement de régime à l’horizon malgré une économie aux abois.

Iran

Pour l’Iran, le bilan est également mitigé. L’économie du pays a souffert des sanctions, notamment du retrait de SWIFT et de l’embargo américain sur les produits pétroliers, entre autres. Selon le Carnegie Moscow Center, l’Iran aurait perdu la moitié des revenus que lui octroyait l’exportation de pétrole, et 30% de tout son commerce extérieur. Mais d’un autre côté, le pays a continué l’enrichissement de l’uranium, désormais à 60% (plus très loin des 85% nécessaires pour fabriquer une bombe nucléaire).

Selon les Iraniens, Trump s’est unilatéralement retiré du pacte de Vienne en 2018 pour réimposer des sanctions, et ils se sont alors dit « à quoi bon respecter les conventions, vu que de toute manière on nous en demande toujours plus ». Trump prétend s’être retiré car les Iraniens produisaient de l’uranium enrichi.

Cuba

Cuba est un cas particulier. Fidel Castro, après la révolution de 1959, plaidait le non-alignement. Après un temps, il a tout de même fini par se rapprocher de l’Union Soviétique. Le 3 février 1962, il y a presque 60 ans, le président américain Kennedy impose un embargo à l’île, sur l’ensemble de son commerce. Cet embargo est ainsi le plus long de l’Histoire, et il est d’ailleurs toujours en cours.

Avoir un régime collectiviste, à 250 kilomètres de l’antre du capitalisme que sont les États-Unis, a également été une de motivations de l’embargo – les États-Unis sont intervenus contre quasi toutes régimes socialistes de l’Amérique centrale et latine. Le but ultime était de faire tomber le régime de Fidel puis de Raoul Castro, mais l’objectif a échoué, tout comme les nombreuses tentatives d’assassinat de la part de la CIA. L’embargo, et plus largement l’opposition entre l’île et les États-Unis, a plus uni la population et forgé une cohésion nationale que fait monter l’opposition au régime – ce qui fait partie de la stratégie des sanctions normalement, expliquent les chercheuses Fanny Coulomb et Sylvie Matelly dans un article de la Revue internationale et stratégique.

Cet échec est aussi un exemple qu’une unité internationale est importante pour donner de la portée aux sanctions. Or, la majorité des pays condamnent, tous les ans, ces sanctions américaines devant l’ONU, et une demande des États-Unis d’adopter les sanctions à échelle internationale, en 1996, a échoué. Depuis 2000, certains échanges commerciaux ont été repris, mais Trump a à nouveau durci l’embargo.

Afrique du Sud

L’Afrique du Sud était visée par des sanctions à cause de son régime d’apartheid, et des émeutes de Soweto réprimées dans le sang. L’ONU a d’abord prononcé un embargo sur les ventes d’armes vers le pays, puis les États-Unis ont suivi en arrêtant les exportations d’ordinateurs et de technologie nucléaire, puis d’uranium. De nombreuses entreprises étrangères ont également quitté le pays, et le revenu des habitants a chuté. Le pays a également été exclus des compétitions sportives.

Le cas de l’Afrique du Sud est particulier, car il s’agit d’un pays allié des grandes puissances économiques qui ont prononcé ces sanctions. La diplomatie était donc également plus facile à opérer qu’en face d’un pays hostile.

Synthèse

A travers ces éléments, on peut noter quelques éléments communs : les sanctions ne sont efficaces si que si elles sont prises par un ensemble de pays. Les sanctions peuvent avoir des effets secondaires non désirés comme la cohésion nationale de l’oppressé. Les sanctions ont également tendance à démotiver le pays visé: l’histoire de la carotte et du bâton.

Une étude de 2012 du centre de recherches Watson Institute et citée par BFM Business a analysé 56 séries de sanctions économiques et financières prises par l’ONU entre 1992 et 2012. 31% des pays qui avaient planifié une activité proscrite par le droit international ne sont pas passés à l’acte grâce aux sanctions. Seuls 13% des pays qui avaient déjà commencé une activité illégale l’ont arrêtée suite aux sanctions.

A quoi s’attendre pour la Russie?

Concernant la Russie, l’avenir semble incertain. D’un côté, il s’agit des plus importantes sanctions prises contre un pays jouant un tel rôle géopolitique, mais de l’autre, la Russie n’a pas de fortes dettes, comparé à d’autres pays, et peut compter sur ses importants revenus du pétrole et du gaz. Ses réserves en monnaies étrangères sont gelées, mais une cohésion internationale est nécessaire pour isoler le pays économiquement. La Chine, deuxième puissance économique mondiale, même si elle appelle au cessez-le-feu, a déjà indiqué vouloir continuer le commerce et les échanges financiers avec la Russie.

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