Comment les drones bon marché perturbent l’équilibre militaire mondial

Des pays comme Israël, la Turquie ou l’Iran ont développé des engins sans pilote bons marchés, difficiles à détecter, et très efficaces. Quitte à les utiliser comme des « objets kamikazes ». Et les grandes puissances s’inquiètent.

Pourquoi est-ce important ?

En 2020, l'Azerbaïdjan a fait le premier usage massif de drones dans une guerre entre états. Avec succès: les nouveaux drones low cost offrent une meilleure visibilité aux vieux canons soviétiques, voire peuvent être sacrifiés comme missiles. Et l'armée française envisage de s'en équiper aussi.

En France, les députés de la commission de la Défense vont se pencher cette semaine sur la question de l’usage des drones dans les conflits modernes, tandis que le Sénat va publier un rapport intitulé « Les drones dans les forces armées« . Celui-ci aborde tant la lutte anti-drones que des recommandations pour équiper l’armée française de ses propres engins sans pilote. Et il conseille d’opter en priorité pour des drones bons marchés, voire « potentiellement sacrifiables sur le champ de bataille ».

Il y a quelques années encore, les reportages de guerre montraient avec complaisance les drones de l’armée américaine, de véritables petits avions sans pilote capables de faire pleuvoir la mort avec une froide détermination. Des images terrifiantes d’une guerre presque robotisée contre laquelle les ennemis de l’Oncle Sam ne pouvaient faire grand-chose et qui rappelaient des films de science-fiction comme Terminator.

Plus nombreux, moins chers

Sauf que cette ère est déjà révolue: les « oiseaux d’argent » américains sont en passe d’être remplacés par leurs petits frères, plus pratiques, plus polyvalents, et surtout beaucoup moins chers. Car un drone comme le MQ-1 Predator est certes terrifiant avec son rayon d’action de 1200 km et ses missiles Hellfire capables de détruire un blindé ou un bunker. Mais l’engin coûte cher : le programme a englouti 2,4 milliards de dollars, et chaque drone coûte 4,5 millions. Sans compter munitions, carburant et maintenance. Le Predator a été retiré du service en 2018, mais son cousin, le grand drone de surveillance à haute altitude Global Hawk, est toujours utilisé. Il faut dire qu’il représente 13,9 milliards d’investissement !

Pourquoi tenter de concurrencer ces engins impayables si on peut faire plus polyvalent pour beaucoup moins cher ? C’est la philosophie derrière une nouvelle génération de drones de combat. Comme le Bayraktar turc. Peu importe que son autonomie ne soit que de 150 km si on peut le déployer en masse. Et la Turquie ne s’en est pas privée en Syrie, contre les Kurdes, ou en Lybie, pour détruire les colonnes du maréchal Khalifa Haftar. Ce sont maintenant des puissances régionales qui développent les nouvelles générations de drones : Iran et Israël ne sont pas en reste. Israel Aerospace Industries a même créé un drone-suicide, le Harop, conçu pour voler à haute altitude jusqu’à ce qu’une cible se présente, et s’écraser dessus.

Des engins sacrifiables

Des « drones du pauvre » qui effraient les grandes puissances, car ils ont été récemment utilisés en masse, et avec un succès inattendu: c’est en partie à ces engins que l’Azerbaïdjan doit sa victoire éclair sur l’Arménie, entre le 27 septembre et le 10 novembre 2020. Les Azéris ont utilisé ces machines peu détectables pour la reconnaissance comme pour l’attaque directe. Et si un drone est repéré puis abattu par l’ennemi, ce n’est pas plus mal : car en tirant, il dévoile les positions de ses défenses anti-aériennes, qui peuvent ainsi être ciblées. L’usage des drones d’observation a permis aux Azéris de donner une seconde jeunesse aux canons hérités de l’URSS, peu précis par rapport à des engins modernes. Mais ils ont aussi surpris leur adversaire avec de véritables bricolages: de vieux avions biplans Antonov, un modèle de 1948, conduits depuis le sol et utilisés comme bombes volantes ou pour servir d’appâts pour les canons arméniens !

On pensait que les drones allaient limiter le recours aux avions militaires, devenus trop précieux, mais qu’un pays disposant de bons pilotes pourrait éliminer tout gros drone ennemi avant qu’il ne puisse faire du dégât. Sauf que les engins autonomes modernes sont très difficiles à détecter, et assez bon marché pour être utilisés en masse, voire sacrifiés comme des missiles ! Les Turcs auraient même mis au point un mini-drone pas beaucoup plus gros qu’un engin civil, et l’auraient doté d’une bombe. Une technologie qui se démocratise tellement que les grandes puissances ne sont pas certaines de pouvoir faire face à cette menace low-cost. Qui pourrait bien vite se retrouver dans les mains de terroristes.

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