Un mur frontalier entre la Pologne et le Belarus n’est pas seulement une tragédie pour les migrants, mais aussi pour le plus grand mammifère d’Europe

La crise migratoire actuelle a conduit la Pologne à vouloir construire un mur de cinq mètres de haut à sa frontière avec le Belarus. Le pays y voit le moyen de mettre un terme à l’immigration clandestine vers l’UE. Cependant, l’impact d’un tel mur sera énorme, notamment pour la faune et la flore de la région.

La crise migratoire a commencé lorsque le président biélorusse Aleksander Lukashenko a fait venir dans son pays des réfugiés du Moyen-Orient, pour ensuite les pousser à traverser la frontière vers la Pologne et la Lituanie (dans l’UE). Cette action faisait suite aux sanctions imposées par l’Europe au régime, qui elles-mêmes faisaient suite au détournement d’un vol Ryanair reliant Athènes à Vilnius.

La Pologne et la Lituanie, avec le soutien d’autres pays de l’UE, ont eu fort à faire avec les migrants qui tentaient de franchir la frontière. Les murs étaient construits avec du fil barbelé et les soldats derrière étaient équipés de boucliers. Aujourd’hui encore, des réfugiés campent à la frontière, du côté biélorusse. Ils vivent dans les conditions les plus misérables, et l’aide leur est refusée des deux côtés. Médecins sans frontières a même annoncé au début de l’année que l’association ne se dérangerait plus : elle est tout simplement bloquée par les troupes polonaises et biélorusses et ne peut pas faire son travail.

Le mur

Afin de mettre un terme au transit illégal de réfugiés en provenance du Belarus, la Lituanie a installé des barbelés le long de la frontière quelques jours seulement après le premier passage de migrants. Son installation le long des 550 km de frontière a déjà coûté 4,1 millions d’euros. Au même moment, le projet d’installer un mur solide de deux mètres de haut a été annoncé. Le coût du total ? 45,9 millions d’euros.

En Pologne aussi cette idée a germé. En octobre, le Conseil des ministres polonais a finalement approuvé un projet de loi prévoyant la construction d’une « clôture haute et solide dotée d’un système de surveillance et de détecteurs de mouvement ». Le 25 janvier, les travaux ont commencé sur ce mur de 5 mètres de haut, qui coûtera environ 350 millions d’euros au pays. Bien que le mur soit beaucoup plus court que celui de la Lituanie (186 kilomètres seulement) et qu’il puisse être construit relativement rapidement, la route sera semée d’embûches. Le mur se heurte à une forte opposition de la part des universitaires, des scientifiques, des environnementalistes et de l’opposition politique. A cause de la forêt de Bialowieza.

La plus ancienne forêt d’Europe

La forêt de Bialowieza n’est pas n’importe quelle forêt. Il s’agit de la plus ancienne d’Europe, et donc aussi de la seule forêt vierge restante du continent. Elle couvre une superficie de 1 500 kilomètres carrés et est située à la frontière entre la Pologne et le Belarus. Autrefois, il servait de domaine de chasse aux rois polonais, puis aux tsars russes. Le 6 décembre 1991, l’accord de Bielowieza entre la Russie, l’Ukraine et le Belarus a été signé dans cette forêt, marquant la fin de l’Union soviétique.

Grâce à ce statut, la forêt est protégée, et elle figure également sur la liste des sites Natura 2000, qui sont des zones naturelles protégées déterminées par l’UE. En termes de flore, la forêt offre quelque chose de vraiment unique : c’est un véritable mélange d’arbres à feuilles caduques et de conifères, d’arbres d’été et d’hiver, et une foule d’espèces de plantes et d’arbres assez rares. La réserve naturelle est traversée par plusieurs petites rivières qui, à certains endroits, donnent naissance à des roselières et des landes.

Au total, la forêt compte (selon les estimations) environ 1 200 espèces végétales uniques et 3 000 champignons. Cependant, la flore est soumise à des pressions depuis des temps immémoriaux : dès le XVIIIe siècle, les tsars russes ont tracé un réseau routier en forme de losange dans la forêt pour faciliter la coupe et le transport du bois. Pendant l’occupation allemande de la Première Guerre mondiale, ils y ont même construit une ligne de chemin de fer ; de plus en plus de bois a disparu de la forêt.

Responsabilité de la Pologne

Le 13 juillet 2017, il a été décidé au niveau européen que la Pologne devait répondre devant la Cour européenne de justice. La Cour a imposé une interdiction immédiate et urgente de l’abattage : une telle mesure n’a été prise que trois fois auparavant.

Tout ce qui précède montre l’importance de la forêt, et combien il est important qu’elle ne soit pas restreinte davantage. Cependant, la construction du mur frontalier n’aurait pas beaucoup d’impact sur la flore de la forêt vierge. Mais cela en a un sur la faune.

Habitants particuliers

La forêt n’abrite pas seulement des plantes et des arbres, mais aussi des habitants très particuliers : diverses espèces de hiboux, des aigles royaux, des cerfs rouges, des loups, des élans, des lynx et… des bisons vivent dans la forêt.

09 February 2021, Brandenburg, Dallgow-Döberitz: For the past 10 years, bison have been living largely undisturbed by humans in a specially established wilderness core zone of the Döberitzer Heide natural landscape. Photo: Ingolf König-Jablonski/dpa-Zentralbild/ZB

Les bisons

C’est vrai : il y a des bisons en Europe. Il s’agit de l’un des plus grands mammifères du continent, qui peut atteindre trois mètres de long de la tête à la queue. Avec une hauteur d’épaule maximale de 188 centimètres, ils dépassent même de nombreuses personnes.

En 2013, environ 70 % des animaux vivant en liberté se trouvaient en Pologne et en Biélorussie, la plupart dans la région frontalière. La forêt de Bialowieza est non seulement leur refuge, mais aussi le terrain où se recoupent les migrations de nombre de bisons, de loups, de lynx et de cerfs rouges.

En entrant en contact avec d’autres congénères, ils régénèrent leur espèce, et leur statut d’espèce en voie de disparition pourra peut-être être supprimé à terme. La construction d’un mur de cinq mètres mettrait encore plus à l’épreuve la survie à l’état sauvage de cette espèce déjà vulnérable. Par conséquent, c’est littéralement une question de vie ou de mort pour eux que les plans pour le mur frontalier soient mis au placard. Il y a de fortes chances que l’UE soit plus intéressée par la faune et la flore de la forêt de Bialowieza que par le mur frontalier des Polonais…

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