Un grand accord pour l’été: le plan d’attaque de De Croo qui doit sauver la Vivaldi, mais ça commence mal…

La Vivaldi doit s’interroger : les 7 partis de la coalition sont-ils encore capables de se donner un second souffle et d’engranger de grands accords ? Après une forte pression politique et médiatique, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) n’a eu d’autre choix que d’annoncer un « accord d’été ». 7 chantiers qui doivent être préparés pour une fin des travaux prévue avant la fin de la législature. Aujourd’hui, l’augmentation du budget de la défense est à nouveau à l’ordre du jour. Mais les difficultés s’accumulent déjà : alors que les socialistes, et même peut-être Groen, pourraient faire un pas vers les dépenses militaires à 2% du PIB , Ecolo ne veut pas attendre parler de ces 10 milliards d’euros supplémentaires pour atteindre l’objectif fixé par l’OTAN. La question est de savoir si le tout apportera un nouvel élan à la coalition. « L’accord d’été du Premier ministre a déjà été torpillé par la moitié de ses partenaires. C’est vraiment triste », déclare un dirigeant de parti de la Vivaldi.

Dans l’actualité : réunion de la Vivaldi cet après-midi au sein du kern.

Les détails : la défense à l’ordre du jour, mais aussi le plan d’attaque : les 7 chantiers de l’accord d’été.

  • Avec un petit succès en poche, le Premier ministre De Croo revient du sommet européen. Car ce qui n’a pas vraiment fait la une ailleurs en Europe, est devenu, dans Het Laatste Nieuws, un Premier ministre qui « triomphe au sommet européen ». La raison de ce « triomphe » ? Le plafonnement du prix du gaz, que De Croo, en concertation avec sa ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), martèle depuis des mois.
  • La diplomatie belge, qui relève temporairement des compétences de De Croo, en l’absence de la ministre des Affaires étrangères Sophie Wilmès (MR), a déployé ces dernières semaines de grands efforts pour obtenir une avancée dans ce dossier. Le Premier ministre lui-même a noué de nombreux contacts internationaux : c’est tout à fait son style. Et les Italiens, sous la houlette du Premier ministre Mario Draghi, ont également fait pression. Mais l’opposition idéologique était considérable : des pays comme l’Allemagne, mais aussi les Pays-Bas, avec son Premier ministre très libéral, Mark Rutte, ne sont pas favorables à une trop grande intervention sur le marché libre.
  • Une percée a eu lieu mardi lors du sommet européen, du moins selon le Premier ministre lui-même, qui a vendu l’affaire lors du point presse qui a suivi.
    • « La Commission européenne a maintenant été invitée à préparer cet instrument », a-t-il déclaré.
    • « Je ne suis pas favorable à l’idée d’avoir à utiliser cela. Mais c’est comme pour la Défense, si vous en avez besoin, vous devez avoir une défense crédible. »
    • « Cet instrument doit pouvoir être déployé dans un délai très court ».
  • C’était une interprétation très optimiste de ce que les pays de l’UE ont exactement ordonné à la Commission européenne. Lundi déjà, le commissaire européen à l’économie, Paolo Gentiloni, avait indiqué qu’un tel plafonnement effectif des prix était hors de question, en raison du trop grand nombre d’opposants. « Mais la Commission peut commencer à l’étudier », a-t-il déclaré à Reuters hier. « Une étape importante », a déclaré l’Italien, qui soutient souvent Draghi en coulisses.
  • Le texte final du sommet a donc ouvert la porte, mais a aussi excellé dans le flou sur ce point : « La Commission européenne explorera avec les partenaires internationaux les moyens de lutter contre la hausse des prix de l’énergie, y compris la faisabilité d’un plafonnement de prix temporaire. »
  • Tout le monde n’a pas interprété cela de la même manière. Certainement pas comme si un tel plafonnement des prix allait être déployé d’ici l’hiver pour « corriger » le marché. Cela ressemble plus à un accord politique au niveau européen pour « étudier » la question plutôt que pour la réaliser. C’est précisément ce qu’a laissé entendre Rutte lors de son point presse, qui a refroidi l’enthousiasme de De Croo par la même occasion.
  • Quoi qu’il en soit, le fait que le plafonnement des prix ait été intégré au texte final reste une petite victoire pour les Premiers ministres belge et italien. En tout cas, cette question réveillera le marché européen de l’énergie et fera peut-être baisser les prix, du moins c’est ce qu’espère le gouvernement Vivaldi.

La vue d’ensemble : pourquoi la Vivaldi doit-elle agir maintenant ?

  • Au lendemain du sommet européen, ce mercredi, le Premier ministre entame des discussions au sein de la Vivaldi pour trouver un grand accord d’été. Un plan d’attaque qui devrait redonner un peu d’oxygène à une équipe qui perd son souffle. En outre, l’été n’est traditionnellement pas la période la plus excitante dans l’arène législative : après le 21 juillet, tout le monde fait ses valises.
  • Les crises politiques surviennent rarement à un moment où tout le monde rêve de piscine. Les gouvernements ont tendance à tomber au rythme des feuilles, en automne, comme l’a dit un jour l’ancien Premier ministre Mark Eyskens (cd&v): « Le premier jour de l’automne, pour la chute des feuilles, le gouvernement est également tombé », en septembre 1981, après six mois de gouvernement.
  • Ces dernières semaines, il y avait ce sentiment, pas seulement de la part du Premier ministre, que si l’on n’intervenait pas maintenant, la Vivaldi pourrait vivre des mois très difficiles en septembre et octobre. Il ne fait en effet aucun doute que les partenaires du gouvernement remettront sur la table leurs exigences traditionnelles pour la nouvelle année parlementaire et que la coalition se chamaillera jusqu’à la préparation du budget et du discours de politique générale, début octobre.
  • Dans les faits, les différents partenaires de la Vivaldi, notamment à gauche, ont déjà largement formulé leurs exigences, bien avant l’ouverture de la nouvelle année politique : la conjoncture économique est extrêmement incertaine, les militants et les partenaires sociaux s’agitent, l’occasion pour chaque de revenir avec ses vieilles recettes politiques est trop tentant.
  • « Si la Vivaldi veut éviter un massacre à l’automne, il serait préférable de faire nos devoirs maintenant. C’est pourquoi nous devons aussi parler de l’ensemble, du budget », déclare un président de la Vivaldi.
  • Mais cela ne promet pas d’être facile. La « note d’ambition » préparatoire du Premier ministre a déjà fait l’objet de nombreuses fuites. Sept chantier et, surtout, un calendrier, voilà ce qui est censé relancer la Vivaldi. On ne peut pas parler d’un « accord de coalition renouvelé », mais on n’en est pas loin, d’autant plus qu’un certain nombre de « chantiers » ont été ajoutés entre temps, suite à quelques protestations internes.
  • Mais les ténors ne sont pas très optimistes quant aux chances de succès : « L’accord d’été du Premier ministre a en fait déjà été torpillé par la moitié de ses partenaires, avant même que nous ayons véritablement commencé. C’est vraiment triste », note un autre président de la majorité.
  • L’action syndicale d’hier, ainsi que la réaction du Premier ministre, qui a fait preuve de « peu de compréhension » à l’égard des grévistes, n’ont pas immédiatement suscité un surcroît de bonne volonté entre les partenaires de la coalition. A gauche, le PS, poussé par le PTB, a pris le cap d’une politique sociale très affirmée depuis bien longtemps, Paul Magnette (PS) faisant valoir ses revendications haut et fort.
  • A cela s’ajoute le fait que les Verts, ayant du avaler le choc de la prolongation du nucléaire, ont adopté une position beaucoup plus dure au sein de la Vivaldi. Hier, la vice-première ministre Petra De Sutter (Groen) a contré, depuis la coalition, les déclarations du Premier ministre : « Ce qu’ils demandent n’est pas disproportionné. Nous devons revaloriser les services publics au lieu de les presser comme un citron. »
  • Remarquable : dans la dynamique des discussions gouvernementales, il y a Vooruit, qui bizarrement est plutôt un allié de De Croo sur un certain nombre de dossiers, contre le PS. Les socialistes flamands suivent leur propre voie. Il ne faut pas sous-estimer le rôle de Frank Vandenbroucke (Vooruit), leur vice-premier ministre : sur la question des malades de longue durée, par exemple, il a montré qu’il persévérerait sans relâche, quitte à déplaire au PS. Il souhaite également que l’accord sur le travail (jobs deal), conclu en février, soit appliqué dans son intégralité. Rousseau, le président de Vooruit, a également aidé De Croo en matière de défense : les socialistes flamands souhaitent eux aussi que les 2 % soient atteints.

Pour rappel : qu’y a-t-il sur la table pour cet « accord d’été » ?

  • Tout d’abord, un examen du budget, que le Premier ministre veut présenter dans les deux semaines et conclure avant le 21 juillet. Il est question de savoir si les économies prévues seront réalisées. Cet audit serait suivi d’un second après l’été pour voir quels travaux « supplémentaires » peuvent être effectués. La question est de savoir quel est l’appétit des partenaires de la coalition pour prendre déjà des décisions douloureuses en matière d’économies. Et bien sûr, tout est dans le tout : combien coûteront les dossiers suivants, c’est la grande question pour ce budget :
    • Le plus important est sans aucun doute le « pouvoir d’achat », qui devrait être réglé avant l’été, selon la note du Premier ministre. Il faudra attendre l’avis du groupe d’experts, mais en attendant, des propositions circulent déjà, émanant de chaque parti, souvent via une réduction de la charge sur le travail des gros vers les petits et moyens salaires, un mini tax shift en somme. Cependant, cela se termine inévitablement par un affrontement socio-économique entre la gauche et la droite au sein du gouvernement.
    • Dans le même ordre d’idées : la « réforme fiscale ». Ce point ne figurait pas à l’origine dans la liste des sept chantiers, mais il a été ajouté après des critiques en interne. Seulement : personne ne croit vraiment que cette réforme aboutira, l’eau qui sépare les deux partis libéraux des autres partenaires est juste trop profonde. Le ministre des finances, Vincent Van Peteghem (cd&v), présentera son plan avant l’été. Mais ce sera plutôt pour les foules. À moins que Vivaldi ne surprenne tout le monde et ne passe finalement un accord.
    • La réforme des retraites: d’ici le 21 juillet, De Croo souhaite une percée sur les pensions en coopération avec la ministre Karine Lalieux (PS). Cela s’annonce tout aussi difficile, après deux années passées à essayer de forcer une percée.
    • Le Premier ministre veut mettre en œuvre le jobs deal avant la fête nationale, celui que la Vivaldi a conclu en février dernier. Mais là aussi, son équipe doit passer le cap du PS, notamment du ministre du Travail, Pierre-Yves Dermagne (PS). « Chaque accord avec le PS, vous le payez au moins deux fois », dit un vieux dicton de la rue de la Loi. « Quod erat demonstrandum« , confirme un membre du gouvernement.
    • La question nucléaire, ou plutôt : les négociations avec Engie. Il s’agit de maintenir deux réacteurs nucléaires ouverts, mais aussi du coût du démantèlement et de l’élimination des déchets des cinq autres réacteurs. Sans oublier la taxe sur les surprofits qui est une autre variable à l’équation.
    • La police et la justice sont également à l’ordre du jour : la direction de la police judiciaire demande de l’argent, mais aujourd’hui, on apprend que le recrutement de nouveaux policiers devrait partir en fumée. La ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden (cd&v) doit prendre des mesures.

La patate chaude du moment : la défense et les 2 %.

  • Le premier nœud que De Croo voudrait couper est l’armée. Depuis des semaines, la défense est un sujet brûlant au sein de la Vivaldi : le Premier ministre voudrait annoncer lors de la grande messe de l’OTAN, à Madrid, fin juin, que la Belgique passera elle aussi à 2 % du PIB en matière de budget pour la défense.
  • Le moment exact où cela se produira semble moins important : les pays voisins vont de l’avant et augmenteront déjà leurs dépenses l’année prochaine. Pour la Vivaldi, il appartient aux prochaines coalitions d’organiser réellement les ambitions. Mais cette décision n’est pas sans engagement : une fois prise, la Belgique peut difficilement revenir en arrière.
  • L’accord de gouvernement stipule en tout cas que la Belgique doit suivre ses voisins. Et ils ont tous clairement déclaré vouloir atteindre ces 2 % d’ici 2024 (les Pays-Bas seront à 1,9 % d’ici là, avec quelques extras).
  • Les libéraux veulent maintenant aller de l’avant. Ce matin sur Radio 1, le vice-premier ministre Vincent Van Quickenborne (Open Vld) a une nouvelle fois souligné l’importance des 2 %. « Ne sous-estimez pas la situation, nous devons vraiment prendre des mesures, ce sont des moments historiques, deux nouveaux pays vont rejoindre l’OTAN, alors tout le monde doit faire sa part. »
  • La coalition espère pouvoir « étendre » les règles budgétaires : en ajoutant aux 2 % un grand nombre de choses qui ne sont pas des dépenses militaires pures. De ce fait, elle respectera quand même la norme. Van Quickenborne a notamment parlé de « la protection des ports et des éoliennes ». « Il est nécessaire d’avoir de bons gardes-côte », a déclaré celui qui est aussi ministre de la mer du Nord. La Vivaldi veut également inclure la « bataille climatique » dans les dépenses de défense, en mentionnant la « lutte contre les inondations ». « Si nous incluons ces dépenses dans les 2 %, alors un compromis est possible », a déclaré Van Quickenborne.
  • Il reste vraiment à voir si cela se produira. Car si Groen a laissé la porte ouverte ces derniers jours, pour passer à ces 2 % via ce « calcul large », l’Ecolo est beaucoup plus réticent.
  • Les écologistes francophones sont composés d’une aile pacifiste qui regarde avec horreur le climat ambiant actuel, où soudainement, tout le monde est en faveur d’une augmentation des dépenses militaires. En Belgique francophone, comme toujours, l’opposition du PTB joue également un rôle : ce parti d’extrême gauche est ouvertement anti-OTAN et particulièrement critique à l’égard des augmentations budgétaires de la défense.
  • En outre, Ecolo fait l’objet d’un recadrage systématique de la part du MR, dont le président, Georges-Louis Bouchez, a déjà réclamé à cor et à cri les fameux 2 %, appelant à « la fin de l’angélisme ». Cette opposition, une de plus, n’est pas de nature à faire céder immédiatement les écologistes francophones.
  • « A la fois incompréhensible et inacceptable », a déjà déclaré Jean-Marc Nollet, le patron d’Ecolo. Dans Le Soir, le député Guillaume Defossé (Ecolo) a réitéré la ligne du parti : « Un effort a déjà été fait il y a deux mois en augmentant le budget de la Défense à 1,54 % du PIB. Pourquoi faudrait-il le refaire ? Vu la situation économique actuelle, la population ne le comprendrait pas. Où irait-on chercher cet argent ? »
  • Le PS ne ferme pas la porte : la ministre de la défense répète que les 2 % ne doivent pas devenir un « totem absolu » et que « ces dépenses ne peuvent pas se faire au détriment du pouvoir d’achat, de la sécurité sociale ou des services publics. »
  • Les sommes en jeu sont considérables et pèseront lourdement sur les budgets des futurs gouvernements fédéraux : les dépenses militaires belges passeront à 1,6 % en 2030, 1,8 % en 2033 et enfin que 2 % en 2035. Au total, on parle de plus de 10 milliards d’euros supplémentaires.
  • Alors que du côté francophone, le PTB s’immisce dans le débat, le vent souffle différemment au nord. Le parti d’opposition, la N-VA, a soumis un projet de loi pour passer à ces 2 % dès 2030, et propose une majorité alternative.
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