Comment la Turquie instrumentalise l’OTAN pour contraindre la Suède à faire ses quatre volontés

Conséquence inattendue de la guerre en Ukraine : Erdogan, considéré comme le paria de l’OTAN et un électron libre dangereux par ses voisins, se voit dans la position de faire la pluie et le beau temps au sein de l’Alliance.

Pourquoi est-ce important ?

L'adhésion de la Suède - et de la Finlande - à l'OTAN devait représenter un séisme géopolitique, et surtout la grande défaite de la stratégie de Poutine, fermement contre toute extension de l'Alliance. Mais celle-ci se traîne en raison d'un seul élément perturbateur en son sein : la Turquie.

Chantage à la turque

L’actualité : alors que la Hongrie, l’autre pays qui marquait son opposition à l’adhésion de pays nordiques, a annoncé revenir sur sa décision, ce n’est toujours pas le cas de la Turquie. Le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan se montre même de plus en plus intrusif tout en continuant à faire miroiter son aval à Stockholm.

  • Pour joindre l’OTAN, il faut l’accord, à l’unanimité, des 30 membres à part entière de l’Alliance. Or ce qui devait être une formalité pour la Finlande et – surtout – pour la Suède s’est heurté au veto du Hongrois Viktor Orbán et du Turc Recep Tayyip Erdoğan.
  • Le premier s’est rétracté : il a déclaré que son parlement devrait ratifier les deux candidatures au début de l’année prochaine. Mais le second reste inflexible. Il fait payer à Stockholm son soutien passé à des militants kurdes, qu’Ankara considère comme des terroristes.

Gifle turque sur la main tendue suédoise : la Turquie ne s’est pas contentée de la liste de personnes à extrader d’il y a quelques mois : les demandes s’accumulent, jusqu’à tourner à l’ingérence. Ankara a demandé le renvoi d’un ministre suédois pour sa participation à une fête pro-PKK il y a dix ans, et est allé jusqu’à convoquer l’ambassadeur suédois pour une émission de télévision se moquant d’Erdogan, liste France24. Dernièrement, la Turquie a réclamé que la Suède enquête sur un rassemblement organisé à Stockholm par un groupe qu’elle estime proche du PKK, et au cours duquel des slogans anti-Erdogan auraient été prononcés. Ankara a également demandé à la Suède d’identifier les personnes qui avaient pris part à la manifestation. Pour un pays aussi attaché aux libertés individuelles, c’est là une humiliation.

Diplomatie et poudre aux yeux

Pomme de discorde pour le nouveau gouvernement : en Suède, ce dossier pèse sur le nouveau gouvernement du Premier ministre Ulf Kristersson, qui a pris ses fonctions en octobre et a promis de faire tout ce qui est en son pouvoir pour faire avancer ce dossier.

  • Après un voyage en Turquie qui n’a rien donné, le gouvernement suédois se verra contraint d’accueillir Recep Tayyip Erdoğan dans le pays dans quelques semaines. Une épreuve diplomatique qui passe mal auprès de l’opinion publique, qui a l’impression de voir le pays s’incliner devant un autocrate pas bien plus fréquentable que celui du Kremlin.
  • « La Turquie a plusieurs raisons de brandir sa carte de veto. Tout à coup, le pays s’est retrouvé dans une position de négociation favorable » écrivait le mois dernier Aras Lindh, analyste et responsable de programme à l’Institut suédois des affaires internationales. « La Turquie est en proie à une mauvaise gestion de l’économie, la question de l’OTAN fonctionnerait donc comme un moyen de déplacer le centre du débat, en partie en le faisant peser plus sur les États européens laxistes qui ne peuvent pas empêcher les terroristes de circuler dans les rues, mais surtout, en faisant en sorte que la conversation tourne autour du leader fort qui n’a pas peur de leur tenir tête. »
  • Cela donne une échéance pour les Suédois : les élections turques de juin prochain, après lesquelles Erdogan pourrait gagner à passer pour un sultan miséricordieux.
  • Accepter la candidature suédoise permettrait aussi de redorer son blason au sein de l’Alliance, qui en a bien besoin alors que son rôle vis-à-vis de la Russie est ambigu, et que les forces turques sont à couteaux tirés avec leurs « alliés » grecs en Méditerranée.
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