Vu de Russie : quand la propagande d’État s’effrite devant les revers sur le terrain

Les dernières semaines ont été aussi enthousiasmantes pour les Ukrainiens que stupéfiantes pour le Kremlin : l’armée russe perd du terrain sur tous les fronts et la mobilisation tourne au désastre. La priorité est de sauver la face. Mais dans le pays, le scepticisme, lui, gagne du terrain.

La ligne du gouvernement russe, qui se reflète dans la quasi-totalité des médias du pays, est toujours la même : tout se passe pour le mieux en Ukraine, où « l’opération spéciale » suit son cours. Un optimisme de façade fortement mis à mal à la fin du mois de septembre, quand Vladimir Poutine a annoncé une mobilisation « partielle » et que le ministre de la Défense a bien dû admettre qu’il y avait des pertes à combler – un peu moins de 6.000 soldats selon lui, à comparer aux 300.000 nouvelles recrues qu’il comptait lever.

Exode, suicide, et stupéfaction

Depuis, l’opinion russe semble sortir de sa confortable torpeur et se rappeler que son gouvernement l’a entrainé dans une véritable guerre. Depuis l’annonce de la mobilisation, c’est l’exode des hommes en âge d’être mobilisé vers les dernières frontières encore ouvertes. Le nombre de réfractaires ayant fui à l’étranger atteindrait déjà les 400.000 selon Bloomberg, soit deux fois plus que les 200.000 nouveaux soldats que le gouvernement clame avoir appelés sous les drapeaux. Et dont certains, quelques semaines seulement après l’annonce présidentielle, se trouvaient déjà sur le front.

Au moins six recrues sont mortes dans des centres de formation depuis le début de la mobilisation, a déclaré mardi Pavel Chikov, l’un des principaux avocats russes spécialisés dans les droits de l’homme. L’une des recrues se serait suicidée.

Face à cette situation plus qu’inconfortable, le pouvoir ressort les recettes habituelles pour rassurer la population. Interrogé sur l’existence d’une contradiction entre la rhétorique d’annexion de la Russie et la réalité sur le terrain, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a réaffirmé que les territoires annexés – que Moscou ne contrôle que de moins en moins – « seront avec la Russie pour toujours et qu’ils lui seront rendus. » Sauf que même dans les milieux pro-guerres, sur les réseaux sociaux comme dans les médias, les échos qui reviennent du champ de bataille ne font que contredire les rodomontades du Kremlin.

Les milieux pro-guerre face à un conflit mal mené

Ceux-ci dressent un tableau sombre de la détérioration du moral des Russes, attribuant les échecs dans le sud de l’Ukraine à un manque de rotation et à l’épuisement de l’armée. « On me reproche de pousser les gens à la dépression avec mes informations… eh bien, le temps est tel, qu’il n’y aura pas de bonnes nouvelles dans un avenir proche », a écrit mardi Alexandre Kots, un journaliste pro-Kremlin qui voyage avec l’armée russe, prend pour exemple The Guardian. « Nous n’avons pas assez d’hommes (…) la fatigue s’est installée (…) il n’y a plus de force pour s’accrocher aux territoires gagnés. »

Il ne faut pas perdre de vue que des chroniqueurs tels que Kots sont suivis par des millions de civils russes. Et la télévision russe commence à refléter aussi un peu de cette réalité. « Pourquoi avançons-nous mètre par mètre alors qu’ils avancent village par village ? », a lâché Olga Skabeyeva, la principale animatrice de la télévision d’État du pays, devant Andrei Marochko, un responsable nommé par la Russie à Louhansk qui se voulait rassurant sur la situation dans la région qu’il est censé contrôler.

Non pas que Skabeyeva soit opposée à la guerre, bien au contraire, mais elle s’insurge sur la manière dont celle-ci est menée. Un sentiment qui ne semble que croître au sein d’une part de la population russe qui jusqu’ici ne se sentait que très peu concernée.

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