Que signifie la nouvelle coalition allemande pour l’Europe (et donc pour la Belgique) ?

L’Allemagne a une « coalition de feux de signalisation » (Ampelkoalition), c’est-à-dire aux couleurs rouge – jaune – vert. En Belgique, les néerlandophones appelleraient un tel assemblage « paars-groen » ou « arc-en-ciel » du côté francophone (socialistes, libéraux et écologistes), car en Allemagne le jaune est la couleur des libéraux, là où chez nous c’est le bleu du MR et de l’OpenVLD. Mais ce qui est plus important que la couleur et le nom de cette nouvelle coalition, dirigée par le socialiste Olaf Scholz, c’est sa future orientation.

  • Après tout, l’Allemagne est le métronome de l’UE. En tant que plus grand État membre, et de loin la première économie du continent, elle a le plus de poids sur l’échiquier. Et comme l’économie allemande est aussi étroitement liée à celle de la Belgique, notamment via le biais du port d’Anvers, le pays a une énorme influence sur le contexte dans lequel opèrent nos hommes et femmes politiques.
  • Tout d’abord, une très bonne nouvelle pour la Vivaldi : sous l’impulsion de Scholz, le nouveau gouvernement allemand va augmenter les salaires. Cela signifie automatiquement une plus grande marge de manœuvre en Belgique, qui lie sa politique salariale aux évolutions dans les pays voisins.
  • Ce n’est pas une coïncidence, les négociations salariales sont effectivement bloquées en Belgique. C’est une question politique particulièrement explosive chez nous : la « loi de 96 » est une épine dans le pied des syndicats, qui ont l’impression de se retrouver les mains liées à la table des négociations. Le 6 décembre, ils prévoient à nouveau une grande manifestation contre cette loi. Celle-ci constitue potentiellement la plus grande bombe à rettardement de la coalition fédérale, selon ce qui se chuchote dans les couloirs des instances politiques. Cette loi plafonne l’augmentation des salaires annuels à 0,4% en fonction des coûts salariaux chez nos princiapux partenaires commerciaux que sont l’Allemagne, la France et les Pays-Bas.
  • Mais en raison de l’inflation très élevée, et de l’indexation automatique en Belgique, une indexation presque unique au monde, il y a déjà beaucoup d’évolution dans les salaires. C’est ce qui inquiète particulièrement les employeurs : les pays voisins n’ont pas d’indexation automatique. Alors si l’Allemagne augmente désormais effectivement fortement les salaires, il y aura une bulle d’oxygène en Belgique, tant pour les employeurs que pour les syndicats.
  • En outre, Groen et Ecolo peuvent également triompher ici : dans les années à venir, l’Allemagne prendra clairement l’initiative de faire passer le « Green Deal » dans toute l’UE. L’Allemagne elle-même souhaite être neutre sur le plan climatique d’ici 2045. Là encore, cela créera une dynamique industrielle et de mobilité chez nos grands voisins, qui entraînera également la Belgique avec elle. L’enthousiasme suscité par la nomination de Robert Habeck, co-président des Verts (Die Grünen) au super-portefeuille de l’Environnement et du Climat, était particulièrement grand hier soir au siège d’Ecolo/Groen.
  • Mais en même temps, les libéraux récupèrent un poste crucial au sein du gouvernement allemand : le leader Christian Lindner sera à la tête du Budget et des Finances. Il souhaite immédiatement instaurer une nouvelle politique de discipline budgétaire. Et la position de l’Allemagne au sein de la BCE, la Banque centrale européenne, est observée avec attention. Car l’inflation actuelle, qui atteint des sommets dans toute la zone euro, est quelque chose que les libéraux allemands ne toléreront pas longtemps. La hausse des taux d’intérêt est plus proche que jamais, comme c’est déjà plus ou moins acté de l’autre côté de l’Atlantique pour l’année prochaine. L’endettement gratuit des Etats pourrait vivre ses dernières heures.
  • Eva De Bleecker (Open Vld), Secrétaire d’État au Budget, a soudain un allié en Europe lorsqu’elle plaide pour ne pas « s’endetter à l’infini ». Un débat idéologique fait rage au sein de Vivaldi. Le PS brandit la « nouvelle théorie monétaire », qui stipule que les gouvernements peuvent s’endetter à l’infini. Mais pour l’instant, Thomas Dermine (PS), secrétaire d’État à la Relance, devra, parmi d’autres, s’attendre à un faible soutien du gouvernement allemand pour de telles idées.
  • En même temps, le paradoxe politique actuel au sein de l’UE semble être ancré dans la coalition allemande : comment concilier des plans de réforme verts extrêmement ambitieux, qui coûteront des milliards, avec un gouvernement qui s’impose une rigoureuse discipline budgétaire ? L’ensemble de l’UE attend de voir comment Scholz va concilier cette contradiction, car le problème concerne l’ensemble du club européen.
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