Musk, Trump et la NASA: une alliance secrète qui s’approprie la conquête spatiale ? Les sulfureux leaks de ULA

C’est un fait: SpaceX gagne de plus en plus de terrain par rapport à la concurrence. Une domination dévorante qui inquiète et agace ses rivales. Au point de mener Robbie Sabathier, l’un des chefs de file de United Launch Alliance (ULA), ancien partenaire de confiance de la NASA, à de très graves accusations.

Cette semaine, plusieurs courriels au contenu acide ont été divulgués sur un forum de piratage. Ils concernent un échange entre Robbie Sabathier, vice-président de ULA, et Hasan Solomon, un lobbyiste de l’Association of Machinists and Aerospace Workers, un important syndicat de l’aérospatiale.

Si elle n’a pas confirmé l’authenticité de ces mails, ULA ne l’a pas non plus démentie, se contentant d’indiquer avoir lancé une enquête au sujet de ce « cybercrime présumé et sérieux ». A priori, tout porte à croire que ces documents sont vrais. Et leur contenu a de quoi faire polémique.

SpaceX dérange

ULA est une entreprise spatiale fondée en 2006 par Boeing et Lockheed Martin. Dans un premier temps, elle a obtenu de jolis contrats auprès de la NASA. Elle lui a notamment fourni les lanceurs spatiaux Atlas V et Delta IV. Actuellement, elle contribue également au développement du SLS, le principal lanceur qui servira au retour de l’Homme sur la Lune dans le cadre du programme Artemis.

Toutefois, avec la montée en puissance de SpaceX, ULA perd du terrain. Et des contrats. L’entreprise spatiale d’Elon Musk multiplie les partenariats avec la NASA. Elle a notamment été la seule firme choisie pour développer le futur module d’alunissage de l’agence spatiale américaine. Une décision qui a déjà suscité de nombreuses polémiques et qui est en train d’être réglée devant les tribunaux à la demande de Blue Origin, en colère.

Outre Blue Origin, on sait également que cette décision a provoqué le courroux Dynetics. En apparence, elle est plus discrète que la société de Jeff Bezos, qui fait des pieds et des mains pour discréditer SpaceX aux yeux du grand public. Mais elle s’y est tout de même associée lors d’une première plainte, qui a débouché sur une victoire pour SpaceX.

Désormais, on apprend que ULA est elle aussi très irritée par le succès de SpaceX. Dans ses courriels adressés à M. Solomon, M. Sabathier fustige le prétendu favoritisme dont jouit la société spatiale d’Elon Musk auprès de la NASA. Un lien de plus en plus ténu qui reposerait sur des amitiés politiques.

La NASA est « incompétente et imprévisible »

Dans les mails qui ont fuité, M. Sabathier n’y va pas de main morte. Il s’en prend principalement au leadership de la NASA sous Donald Trump.

« D’importants investissements des contribuables de la NASA sont jetés à la poubelle en raison de la relation confortable établie par les valets politiques de Trump à travers la NASA. Le programme d’exploration de l’espace profond du gouvernement américain est en danger : Ce vaste programme qui constitue la base de référence pour l’exploration de l’espace lointain est menacé en raison des faveurs politiques offertes à Elon Musk », accuse le vice-président de ULA.

Dans ses courriels, M. Sabathier dépeint M. Musk comme un fervent partisan républicain, qui a profité de la présence des « valets » de Trump dans les hautes sphères de la NASA – dont l’administrateur Jim Bridenstine – pour obtenir des contrats.

« La réputation de la NASA auprès de l’industrie a été érodée en raison de la politisation de l’agence par Trump pour son propre bénéfice. Le leadership [..[ de la NASA est actuellement incompétent et imprévisible », déplore-t-il.

En outre, les leaks révèlent que le vice-président d’ULA fustige « l’antisyndicalsime » d’Elon Musk. Il a notamment envoyé un article qui accuse le patron de SpaceX de mépriser la sécurité. « C’est très utile !!!!. Je rencontrerai le personnel chargé de l’engagement public de la Maison Blanche la semaine prochaine et je ferai part de nos préoccupations à Elan Musk [sic] et à sa société anti-ouvrière », lui a répondu M. Solomon.

Comme le note Ars Technica, l’article en question provient de Townhall.com, un site d’information conservateur. Il semble peu probable que les responsables de la Maison Blanche, alors démocrate, y ait accordé beaucoup d’importance.

Qui a choisi SpaceX pour le module d’alunissage ?

Les mails divulgués ont été écrits en avril et mai de cette année, peu après que la NASA a choisi SpaceX pour son prochain module d’alunissage. Cela ne vous aura pas non plus échappé: l’administration Biden avait remplacé l’administration Trump trois mois plus tôt.

Toutefois, l’administrateur – autrement dit, le n°1 – choisi par Joe Biden à la tête de la NASA, à savoir l’ancien sénateur démocrate Bill Nelson, n’est entré en fonction que début mai. Ce n’est donc pas lui et ses actuels collaborateurs qui ont accordé le contrat à SpaceX. L’équipe mise en place par Donald Trump n’en est pas non plus directement responsable. En réalité, ce sont deux fonctionnaires qui ont pris cette décision: l’administrateur intérimaire de la NASA, Steve Jurczyk (à présent retraité), et la responsable du programme de vols habités de la NASA, Kathy Lueders (toujours en place).

Par ailleurs, dans ses courriels, M. Sabathier demande à M. Solomon de faire le nécessaire pour prévenir le nouvel administrateur de la NASA, M. Nelson, du favoritisme dont SpaceX a profité sous l’administration Trump. Il lui demande aussi de tenter de dénouer ces liens.

Mauvais perdant, M. Sabathier ?

Généralement, la NASA justifie les contrats qu’elle attribue à SpaceX par des motifs économiques. La société d’Elon Musk est beaucoup moins chère que la concurrence. De plus, elle a tendance à respecter les (courts) délais qu’elle se fixe. Rien à voir, a priori, avec des accointances politiques ou un quelconque favoritisme.

Il y a cinq ans, Brett Tobey, un ancien haut responsable d’ULA, avait lui même admis que son entreprise était incapable d’offrir les gages de qualité fournis par SpaceX à des coûts aussi peu élevés. Un aveu d’impuissance qu’il pensait avoir confié devant des étudiants de l’Université du Colorado à Boulder… mais qui avait été enregistré, puis diffusé. M. Tobey avait été licencié sur le champ.

Si ULA a, depuis, réussi à se montrer plus compétitive en termes de prix, elle n’arrive tout de même pas à concurrencer SpaceX. Boeing et Lockheed Martin préfèrent récolter des bénéfices de leur coentreprise plutôt que d’investir dans l’innovation, qui pourrait, à terme, lui permettre de faire baisser les coûts.

Certains observateurs ont donc tendance à estimer que la tentative de M. Sabathier de chasser SpaceX de son piédestal est davantage motivée par de la frustration que par des informations tangibles sur du « copinage » entre Elon Musk et les anciens responsables de la NASA placés par Donald Trump.

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