Le piège des revenus: de plus en plus d’artistes évitent les grandes maisons de disques

Les revenus de l’industrie mondiale de la musique affichent des montants records. Et pourtant, cela ne signifie pas que tous les artistes reçoivent un revenu viable. Il y a en effet de plus en plus de bouches à nourrir. C’est ce qu’explique Will Page, ancien économiste en chef de Spotify, dans une chronique du journal britannique Financial Times.

Will Page note également qu’un nombre croissant d’artistes décident d’être indépendants et refusent de collaborer avec de grands labels de musique. Pour de nombreux artistes, les outils numériques sont leurs meilleures chances de survivre dans ce secteur.

Page, qui a écrit le livre ‘Tarzan economics’ dédiées à cette problématique, souligne que la crise du coronavirus a pratiquement supprimé toute possibilité de jouer sur scène, autrefois le principal soutien financier des artistes. Il y a deux ans, rien qu’au Royaume-Uni, 2,5 milliards de livres sterling (2,9 milliards d’euros) ont été dépensées dans les spectacles en live.

Décalage

Les changements dans l’industrie de la musique sont flagrants à la lumière de ces quelques chiffres. ‘L’année dernière, les principaux labels de musique ont publié 1,2 million de chansons’, explique Page. ‘Pendant la même période, cependant, des artistes indépendants ont publié 9,5 millions de compositions.’

‘En 1984, 6.000 albums musicaux sont sortis au Royaume-Uni sur toute l’année. Aujourd’hui, les services de streaming publient un volume similaire de musiques par jour. Chaque jour, ces plateformes présentent environ 55.000 nouvelles chansons au public mondial.’

Non seulement il y a plus de musiques disponibles, mais il y a également un plus grand nombre de musiciens. Il y a actuellement 140.000 auteurs-compositeurs au Royaume-Uni. Cela représente une augmentation de 115% depuis le lancement de Spotify il y a 12 ans. Début des années 2000, cinq grands labels de musique et une vingtaine de distributeurs indépendants opéraient en Grande-Bretagne. Aujourd’hui, Spotify représente 751 fournisseurs via les musiques qu’il publie.

Autre grand écart : ‘Au début de ce siècle, l’industrie classait toutes les musiques du monde en maximum 20 genres’, indique Page. ‘Aujourd’hui, Spotify compte 5.224 genres, comprenant par exemple des hymnes coptes, de la romance russe et depuis la crise du coronavirus, de la musique shanty.’

Conflit

‘Il y a eu également un flot impressionnant de nouveaux livres, podcasts, jeux mobiles et séries télévisées originales publiés l’année dernière’, souligne Will Page. ‘Mais la croissance ne s’est pas traduite par une nouvelle richesse pour tout le monde dans l’industrie de la musique. L’industrie de la musique gagne effectivement plus d’argent grâce au streaming, mais il y a aussi beaucoup plus de bouches à nourrir.’

Une enquête parlementaire sur cette dichotomie a été dévoilée. La chanteuse-compositrice britannique Nadine Shah, nominée pour un prix Mercury, a expliqué à la commission parlementaire que malgré la reconnaissance de son talent, le streaming ne rapporte pas assez d’argent et peine à payer son loyer. Shah a insisté sur le fait qu’elle n’était tout simplement pas rémunérée équitablement pour son travail. Sa collègue Fiona Bevan ajoute que les artistes doivent travailler pour Uber pour payer leur loyer.

‘Cependant, les grands labels de musique, qui gagnent plus d’un million de dollars de l’heure grâce au streaming, défendent le modèle actuel’, a déclaré Page. ‘Ils estiment que les artistes de streaming reçoivent entre 20% et 25% de redevances. Mais, de nombreux musiciens risquent de se retrouver pris dans le piège de ces revenus.’

Les labels offrent souvent une avance sur la vente aux artistes pour qu’ils puissent vivre avant que les revenus officiels ne tombent. Cependant, ‘lorsque cette avance est de 100.000 dollars, l’artiste devra effectuer une vente d’au moins 500.000 dollars avant de pouvoir compter sur de nouveaux revenus. C’est là que réside le conflit.’

Indépendant

Et c’est notamment pour cela que les artistes choisissent aujourd’hui de se tourner de plus en plus vers de l’auto-entrepreneuriat. ‘Plutôt que de signer un contrat compliqué avec un grand label de musique, certains musiciens choisissent de se tourner vers des services indépendants tels que Distrokid et EmuBands’, assure Page. ‘Ces plateformes proposent leurs services à un prix fixe et permettent à l’artiste de conserver l’ensemble de ses droits et revenu.’

‘Peut-être que ces services ne donnent pas aux musiciens les mêmes opportunités de promotion’, admet l’auteur. ‘Mais ils peuvent également de plus en plus s’appuyer sur les mêmes outils que les grands labels.’ Les artistes peuvent, entre autres, s’appuyer sur les analyses des services tels que YouTube, SoundCloud ou Spotify.

La plateforme Patreon qui permet aux artistes de recevoir des dons de leurs fans verse désormais aux créateurs 2 milliards de dollars par an. Il n’a fallu que 7 ans à l’entreprise pour atteindre un tel niveau. L’industrie de la musique a mis 10 ans pour distribuer autant d’argent sur les plateformes de streaming.

‘Ces outils sont accessibles à tous’, explique Page. ‘Plus il y a d’artistes indépendants, et plus ces services sont utilisés fréquemment. Le Royaume-Uni cherche actuellement des moyens d’ajuster le droit d’auteur dans l’industrie de la musique. Mais il faut être conscient de ce qu’il se passera lorsque toutes les barrières de l’industrie seront levées’.

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