Le pari des Verts sur une taxe des surprofits du secteur énergétique : Van der Straeten veut écrémer 4,7 milliards, beaucoup plus que ce que propose l’Europe

La meilleure défense, c’est l’attaque. Ainsi, ce matin, la vice-première ministre Petra De Sutter (Groen), et le co-président d’Ecolo, Jean-Marc Nollet, étaient à la radio et à la télévision pour vanter la dernière proposition de la ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen) : les grands acteurs de l’énergie vont enfin mettre la main au portefeuille, tel était le message. Cette avancée intervient après des mois de trifouillage autour des superprofits du secteur de l’énergie, la Vivaldi n’ayant tout simplement pas trouvé la formule technique pour les taxer plus tôt. C’est l’UE qui offre la solution : vendredi, elle a convenu d’un cadre. Il s’agit de taxer tous les prix supérieurs à 180 euros le mégawattheure, provenant de centrales nucléaires ou du renouvelable, pendant sept mois. Mais Van der Straeten a rendu cette proposition beaucoup plus sévère, ce qui est également autorisé par l’Europe : un plafond à partir de 130 euros le mégawattheure, avec effet immédiat et durant deux ans. Pour le budget fédéral, c’est une excellente nouvelle : il devrait rafler 4,7 milliards d’euros d’impôts supplémentaires sur deux ans. Reste à savoir si le secteur de l’énergie va avaler la pilule sans broncher : rappelons que des négociations sont toujours en cours (et se font attendre) autour de Doel 4 et de Tihange 3.

Dans l’actualité : « Ce secteur ne va pas s’enfuir hein, on ne peut pas déplacer une centrale nucléaire comme ça », a déclaré Jean-Marc Nollet (Ecolo).

Les détails : Attaqués de toute part, les écologistes partent à l’offensive.

  • « Avez-vous déjà vu de ma part un dossier qui était techniquement compliqué… et qui n’a pas été résolu ? ». Prononcée il y a quelques semaines, en entrant dans le 16 rue de la Loi, cette phrase de Van der Straeten est désormais légendaire : et il n’est toujours pas question de lui retirer son image de « technicienne ». Les Verts poursuivent dans cette voie.
  • De cette manière, Van der Straeten prend à nouveau un risque dans sa communication, après toute l’agitation autour du plafonnement du prix du gaz. Il y a quelques jours, elle a considéré ce plafond comme « acquis » après un Conseil européen des ministres de l’Énergie, en faisant le tour des studios de télévisions, tout sourire. Entre-temps, il est apparu que l’Allemagne et les Pays-Bas continuent de faire obstruction au projet et que, par conséquent, un plafond est hors de question.
  • Mais deux autres décisions sont ressorties de cette réunion de vendredi : un plafonnement des prix de l’électricité, au-delà duquel des taxes seront imposées, et une taxe supplémentaire pour le secteur du pétrole, du gaz et du charbon. Ces deux mesures ont été concrétisées vendredi par les ministres de l’Énergie des 27 États membres.
  • Immédiatement, Van der Straeten accélère le rythme : elle a présenté un paquet allant au-delà des directives européennes, dimanche, en marge des négociations budgétaires de la Vivaldi. L’UE veut plafonner et taxer les prix de production de l’électricité à partir de 180 euros par mégawattheure, de décembre à juin 2023. Mais Van der Straeten va plus loin : taxer les surprofits à partir de 130 euros le MWh pour une durée de deux ans.
  • Et ce n’est pas tout : suivant l’exemple de l’Europe, Van der Straeten souhaite également une « contribution de solidarité » de la part du secteur des combustibles fossiles, les producteurs de gaz, de pétrole et de charbon : toute entreprise qui en importe en Belgique commencerait à payer une taxe de 1,5 centime d’euro par litre qui ne peut pas être répercutée sur les consommateurs. Comme il y a eu un précédent en 2006, la ministre a donc présenté un dossier solide au sein du kern.
  • Celui-ci ne peut que plaire à ses collègues, car cette « contribution de solidarité » rapportera 600 millions de recettes supplémentaires cette année, et 600 autres millions l’année prochaine. De plus, l’impôt sur les bénéfices excédentaires dans la production d’électricité passe à 1,2 milliard cette année, et jusqu’à 2,3 milliards l’année prochaine. En tout, 4,7 milliards d’euros, un montant très important, même s’il s’agit d’une estimation : personne ne sait quels seront les prix de l’énergie l’année prochaine.
  • Mais c’est donc une lueur d’espoir pour le budget fédéral, qui risque d’être déficitaire de 23 milliards en 2023. « Bien que l’on puisse vraiment se demander si tout est techniquement réuni cette fois-ci. Faire des erreurs maintenant dans un tel dossier serait désastreux », s’inquiète-t-on au sein de la Vivaldi, avec une certaine réserve à l’égard de Van der Straeten.

L’essentiel : les négociations avec Engie sont évidemment toujours en cours. Et les taux de TVA durablement bas restent également à discuter.

  • Le co-président d’Ecolo, Jean-Marc Nollet, a évoqué triomphalement un « grand pas en avant » ce matin, sur LN24 : « Nous voulons récupérer plusieurs milliards et les rendre à ceux qui subissent la crise et ont besoin de notre soutien. » Ce faisant, il s’est vanté que les grands producteurs ne puissent pas s’échapper : « On ne peut pas déplacer une centrale nucléaire comme ça », tout en réitérant qu’il n’était pas question de prolonger plus de deux réacteurs nucléaires.
  • Sur Radio 1, un message similaire de Petra De Sutter (Groen) : « Il s’agit d’une estimation de 4,7 milliards, l’Europe indique, elle aussi, que cette somme devrait revenir à la population », a-t-elle fait valoir. « Ce montant n’est pas destiné à équilibrer le budget. Il sera surtout nécessaire de manière indirecte pour prolonger les mesures actuelles. » Les Verts veulent ancrer le tarif social et le rendre permanent pour un groupe beaucoup plus large au sein de la population. La question reste donc de savoir si cette enveloppe permettra d’encore alléger la facture ou de pérenniser des mesures anciennes.
  • Mais bien sûr, le véritable point sensible réside dans la question de savoir qui va payer cette taxe sur les surprofits : ce sera en grande partie Engie, le géant français de l’énergie qui gère le parc nucléaire belge. Engie paie déjà une taxe importante, la « contribution de répartition » : une taxe sur les « intérêts nucléaires » de quelque 700 millions par an. La discussion a longtemps tourné autour de cette taxe, mais qui s’est avérée juridiquement très difficile à étendre. L’Europe lance maintenant une bouée de sauvetage : elle introduit une nouvelle taxe, qu’Engie va donc payer très cher.
  • Seulement, les Français peuvent riposter : car la Vivaldi négocie un accord avec Paris pour la prolongation de la durée de vie de Doel 4 et Tihange 3. Ces discussions sont au point mort : les Français posent des exigences fermes, notamment sur la responsabilité partagée des déchets nucléaires. L’introduction d’une taxe de quelques milliards supplémentaires pourrait signer le glas des négociations, rien de moins que ça.
  • En outre, il s’agira certainement d’une bataille juridique, impliquant l’ensemble du secteur : mettre en place « la taxe nucléaire » avait déjà nécessité toute une série de lois et d’amendements.
  • Il y a d’autres détails à régler dans le dossier de l’énergie, d’ailleurs. Car il y a déjà quelques semaines, Vooruit a annoncé « que le faible taux de TVA sur le gaz et l’électricité est un droit fondamental, et devrait donc définitivement rester à 6 % ». C’est le vice-premier ministre, Frank Vandenbroucke, qui en a parlé avec beaucoup d’aplomb à l’époque : au sein du gouvernement, il y avait un accord sur ce point. Mais avec un gros bémol : la perte de recettes doit être compensée par l’augmentation des droits d’accises.
  • Ce matin sur Radio 1, Vandenbroucke a réitéré : pour lui, la TVA à 6% sur le gaz et l’électricité est considérée comme acquise. Seule la réforme des accises n’est pas évidente, car les familles nombreuses risquent également d’être cataloguées comme « gros consommateurs » et de payer des factures plus élevées. Cela fait donc encore l’objet de discussions (techniques).
  • La proposition en cours d’élaboration est celle d’un système dit de « cliquet inversé », les droits d’accises diminuant légèrement à mesure que les prix augmentent. Selon ce raisonnement, le gouvernement ne bénéficie plus d’une forte hausse des prix de l’énergie et ne contribue pas à alimenter l’inflation. Mais ce système ne serait donc là que pour les petits utilisateurs, pas pour ceux qui ont des factures énormes parce qu’ils chauffent une piscine.

En attendant : L’électricité syndicale est dans l’air. Une discussion sur l’indexation devient inévitable.

  • Les syndicats prévoient des actions au niveau des chemins de fer : ils demandent des garanties sur le financement de la SNCB. Mercredi, il y aura une grève de 24 heures, et par ailleurs, un autre test pour l’application du service minimum.
  • Et il y a eu aussi une grève spontanée à l’aéroport de Charleroi ce week-end : le mécontentement est très élevé partout dans les services et la volonté d’agir l’est tout autant.
  • Délicat, car au même moment, presque tous les politiciens de la Vivaldi disent en chœur « que le pouvoir d’achat est très bien protégé par l’indexation automatique des salaires ». Mais les employeurs nous avertissent depuis bien plus longtemps que nous sommes confrontés à un énorme problème : la compétitivité avec les pays voisins diminue énormément, car les salaires augmentent beaucoup plus vite en Belgique, qui est quasiment le seul pays d’Europe à disposer d’un tel système.
  • Le petit Luxembourg peut servir d’exemple : on y a finalement réformé l’indexation, et intégré un frein sur les prix de l’énergie. Par conséquent, l’indice augmente plus lentement, ce qui atténue le problème de la compétitivité.
  • Entre temps, le gouverneur de la Banque nationale, le libéral Pierre Wunsch, nous met en garde avec force contre cette indexation, qu’il juge insoutenable.
  • Wunsch, par ailleurs, a refusé de venir à la Chambre pour expliquer la baisse spectaculaire des rendements de sa Banque nationale. Mais dans De Standaard ce samedi, il s’est vivement emporté : selon lui, « l’ampleur de la crise énergétique est plus grande que le choc pétrolier », des années 1970, a-t-il affirmé. Son constat est sans appel : « Nous devons nous débarrasser de l’idée que le gouvernement peut tout résoudre. Nous sommes à court d’argent. »
  • Avec cela, il envoie un message à la rue de la Loi : il faut mettre sur la table cette indexation automatique. Mais au sein du kern, qui s’est donc réuni ce week-end en conclave budgétaire, l’enthousiasme était particulièrement faible à cet égard. Ce qui était sur la table pour les entreprises : la proposition du MR de défiscaliser l’indexation, et donc de suspendre temporairement la contribution de l’employeur.
  • En tout cas, l’indexation est un dossier qui exposerait impitoyablement les divisions gauche-droite au sein de la Vivaldi. Mais un certain équilibre politique a été trouvé et mène au statu quo : les socialistes ne s’attaqueront pas à la loi sur la norme salariale si les libéraux restent muets sur le saut d’index ou sa réforme.
  • Mais les contradictions apparaissent inévitablement dans d’autres dossiers. Ce week-end, par exemple, l’équipe s’est violemment affrontée sur une première série de plus de 200 propositions pour trouver des économies qui porteraient sur 4 milliards d’euros. Les libéraux font pression en ce sens. Le PS pense que ce n’est pas le moment et que c’est fondamentalement inutile. Mais les Verts ont également frappé très fort ce week-end, lorsque des propositions sur le crédit-temps et le congé parental ont été mises sur la table.
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