La Cour suprême pourrait-elle vraiment décider du sort de l’élection américaine?

L’élection du prochain président des États-Unis est déjà très contestée avant même qu’elle n’ait vraiment commencé. En cas de défaite, le président a annoncé s’en remettre à la Cour suprême. Alors que le Sénat a récemment confirmé la nomination du juge Amy Cony Barrett, la Cour Suprême aurait-elle vraiment un pouvoir de décision sur les élections ? 

‘Je pense que cela va finir à la Cour suprême’, a déclaré à plusieurs reprises Donald Trump aux journalistes. Le président américain a jusqu’à présent toujours refusé de s’engager en faveur d’un transfert apaisé du pouvoir si Joe Biden devait l’emporter. Ayant affirmé que seule la fraude électorale pourrait expliquer son éventuelle défaite, il s’est montré déterminé à contester, dans cette hypothèse, les résultats du scrutin du 3 novembre prochain.

Trump a préparé le terrain

En début de semaine, le Sénat a confirmé la nomination de la juge Amy Coney Barrett, pressentie depuis quelques semaines pour remplacer Ruth Bader Ginsburg, décédée en septembre dernier.

Cette nouvelle nomination de Trump a fait basculer l’équilibre idéologique au sein de l’influente Cour suprême en faveur des conservateurs. L’enjeu est considérable puisque l’institution tranche les principales questions de société, comme l’avortement, le droit de porter des armes ou les droits des homosexuels et… les litiges électoraux. 

Si Donald Trump venait à contester les résultats des élections (qui pourraient lui être défavorables), un juge républicain de plus pourrait faire pencher la balance en sa faveur. 

Le président américain a émis des doutes répétés sur la fiabilité des votes par correspondance, en invitant même les électeurs à voter deux fois (une fois sur place et une fois par correspondance) alors que c’est complètement illégal. S’il venait à perdre l’élection, il pourrait bien prétexter une faille ou une fraude dans le système de vote pour justifier son échec et solliciter l’intervention de la Cour suprême. Le vote par correspondance étant favorable à Biden d’après de nombreux analystes.

Mais ce scénario est-il envisageable? 

Amy Cony Barrett pourrait-elle faire pencher la balance? Probablement pas. Il est fort à parier que les électeurs américains soient les seuls à décider de l’issue de l’élection.

Pourquoi ? Le système de vote est très décentralisé. Il se compose de milliers de juridictions où sein desquelles plusieurs membres de chaque grand parti travaillent. Tous ces membres font appel à des technologies différentes dans le cadre de leurs fonctions. Ils communiquent tous leurs résultats de façon indépendante les uns des autres. Les résultats des votes correspondent donc souvent aux résultats des élections.

Les votes peuvent être examinés ou recomptés, car tant du côté démocrate que du côté républicain, les électeurs et les médias sont attentifs aux irrégularités, que ce soit avant, pendant et après le jour du scrutin.  Les responsables des élections ont d’ailleurs promis de fournir un décompte précis.

Une élection présidentielle devant la Cour suprêmec’est très rare

Cela ne s’est produit que très peu de fois dans l’histoire américaine. Les Historiens rappellent souvent l’élection de 1876. Entachée de fraudes et de menaces de violences à l’encontre des électeurs républicains, cette élection présidentielle demeure encore aujourd’hui la plus problématique de l’histoire de la République américaine. Le Congrès avait mis en place une commission électorale de 5 juges, chargée de départager les candidats. La question avait ensuite été résolue par un accord informel entre les deux partis, appelé ‘ le Compromis de 1877’, et en vertu duquel le candidat républicain, Rutherford B. Hayes, avait été reconnu vainqueur de l’élection.

Depuis, cela ne s’est reproduit qu’une seule fois en 200 ans, après que la Cour suprême de l’État de Floride ait ordonné un recomptage des voix pour la victoire de Georges W. Bush. En Floride, après dépouillement, George W. Bush avait obtenu 1.784 voix de plus qu’Al Gore, soit moins de 0,5 % du nombre des votants. Un recomptage automatique des votes avait alors eu lieu : Georges W. Bush avait malgré tout été proclamé le grand gagnant de l’élection, mais avec un nombre de voix plus faible. Les républicains avaient contesté le recomptage et l’affaire avait été portée devant la Cour suprême, (dont les juges avaient été nommés par les Républicains). La Cour suprême avait donné raison aux républicains et interrompu le comptage. 

À quoi peut-on s’attendre en 2020?

La Cour suprême a déjà statué sur deux arrêts dans le cadre de l’élection présidentielle de 2020: l’un autorise le recomptage des bulletins de vote reçus en Pennsylvanie jusqu’à trois jours après le jour de l’élection, l’autre interdit le comptage des bulletins de vote reçus du Wisconsin après le jour de l’élection. 

Les républicains de Pennsylvanie ont déjà fait savoir qu’ils n’hésiteraient pas à réclamer un recomptage des votes ce qui, avec une juge républicaine supplémentaire à la Cour Suprême, pourrait renverser la vapeur.

Mais si la Cour suprême devait être davantage impliquée dans le processus électoral, ce serait probablement pour statuer sur des questions qui restent encore floues aujourd’hui, car on ne peut prédire les conflits juridiques qui entreront en ligne de compte dans les différents États.

La juge Amy Cony  Barrett pourrait-elle se retirer d’une affaire qui implique un président qui l’a récemment nommée ?

Cette nouvelle théorie de la récusation correspond à la vision démocratique de la Cour suprême en tant que ‘super-législature axée sur les résultats’. Mais le doute plane… la juge Barrett pourra-t-elle se prononcer sur l’élection de Trump, et se prononcera-elle automatiquement en faveur de Trump ?

Pour rappel, les juges Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh, tous les deux nommés par Trump, n’ont pas été écartés des affaires impliquant les documents financiers du président Trump. Ils se sont pourtant prononcés contre lui.

La question a été esquivée par la juge Amy Cony Barrett. ‘Je m’engage envers vous à appliquer pleinement et fidèlement la loi de récusation (…) Et j’appliquerai les décisions émanant d’autres juges pour déterminer si les circonstances exigent ma récusation ou non. Mais je ne peux pas pour le moment vous dire à quels résultats cette décision mènerait’, a expliqué la juge dans des propos rapportés par CNN. Comprendre: la juge ne se récusera pas elle-même, mais se pliera à l’exigence de ses pairs, si les circonstances juridiques lui paraissent correctes.

De son côté, Trump ne voit pas de conflit d’intérêts: ‘Le choix lui appartiendra’, a-t-il statué.

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