Kik, le mammouth qui a parcouru l’équivalent de deux tours du monde

En découpant les défenses d’un mammouth retrouvé en Alaska, on a pu reconstituer ses déplacements tout au long de sa vie. Une découverte émouvante, qui nous laisse apercevoir la vie quotidienne de cet animal, décédé il y a 17.000 ans.

Si proche de nous à l’échelle des temps géologiques, et pourtant si différent de ce que nous connaissons : l’environnement préhistorique, une époque où nos ancêtres côtoyaient des animaux formidables, a quelque chose de fascinant. Peut-être par ce qu’il nous rappelle un monde que nous n’avions pas encore irrémédiablement changé. Une équipe de chercheurs de l’Université de l’Alaska de Fairbanks vient en tout cas d’en découvrir un pan que nous avions totalement oublié : les formidables migrations auxquelles se livraient les troupeaux de mammouths laineux.

Une vie inscrite dans l’ivoire

Un comportement qui a pu être redécouvert grâce aux restes d’un mammouth mort depuis 17.000 ans, durant le dernier âge glaciaire, et qui a été retrouvé dans ce qui est aujourd’hui l’Alaska, à proximité d’une rivière qui lui a donné son nom : Kik. Les scientifiques voulaient en savoir plus sur les déplacements de l’animal durant sa vie. Pour cela, ils ont découpé dans le sens de la longueur une des défenses de ce titan des âges farouches : un morceau d’ivoire brute patiné par les siècles et long de plus de 170 centimètres. Ils ont ainsi pu prélever près de 400.000 échantillons sur sa surface, et étudier les isotopes fixés dans cette défense durant toute sa croissance, et donc durant toute la vie de Kik.

Ces isotopes radioactifs, notamment de strontium et d’oxygène, proviennent de la nourriture ingérée par le mammouth et se fixent dans l’organisme. Ils varient selon les endroits où le pachyderme a brouté des végétaux. On peut les étudier chez tous les animaux, mais une défense complète permet d’avoir un aperçu détaillé de l’ensemble de la vie de l’animal. Les chercheurs ont ensuite comparé ces isotopes à ceux trouvés dans les dents de rongeurs préhistoriques, présents un peu partout dans l’Alaska de l’époque, mais non-migrateurs.

Le titan voyageur

Et les résultats, parus dans la revue Science, sont aussi impressionnants qu’inattendus : en prenant en compte les barrières géographiques, afin de déterminer ses déplacements probables, les scientifiques estiment que ce mammouth a parcouru une distance presque équivalente à deux tours du monde. Or, notre planète fait quand même 40.000 kilomètres de circonférence. Ce mammouth a commencé à voyager brusquement, vers l’âge de 15 ans. On peut en déduire que cela équivaut à la période de maturité, à laquelle les animaux quittaient leur horde pour se mettre à voyager. Une surprise, selon le docteur Matthew Wooler: « C’était une chose véritablement magnifique à découvrir, en de nombreux points c’est presque exactement le même comportement que nous observons chez les éléphants modernes. »

Kik semblait capable de parcourir 500 kilomètres en quelques mois, et il a arpenté une zone de plus de 1,5 million de kilomètres carrés au cours de sa vie. Une vie plutôt courte, pour un mammouth. Car Kik est décédé à environ 28 ans, alors qu’on estime que son espèce pouvait aisément devenir octogénaire. Plus triste encore : si l’on en croit les données sur son alimentation révélées par ses défenses, Kik est mort de faim. Les chercheurs supposent qu’une sécheresse a drastiquement réduit le stock d’herbes hautes qu’il broutait dans ce qui était alors un paysage de steppes, ou qu’il a été blessé, ce qui l’a empêché de se déplacer suffisamment pour trouver de la nourriture. Un témoignage d’une époque disparue qui n’est pas sans rappeler la fragilité des écosystèmes actuels. D’autant que l’ADN a permis de déterminer que ce grand mâle faisait partie des derniers représentants de son espèce sur la partie continentale de l’Alaska.

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