Freiner l’inflation? Voici les exemples à ne pas suivre

Gel des prix, planche à billets, nationalisation des ressources, dédommagement des différences de la perte de valeur des monnaies ; dans l’histoire contemporaine différentes méthodes, ont été essayées pour freiner l’inflation, mais nombreuses d’entre elles ont produit l’effet inverse, soit une dégringolade totale de la monnaie ou de toute l’économie. Reuters a fait le tour des différentes (mauvaises) idées.

Turquie

La Turquie semble jouer au yoyo avec les taux d’intérêt. Elle les baisse, puis les remonte dès que la livre commence à s’effondrer. Ce manège opéré pendant des années a en fait produit l’effet inverse : il alimente l’inflation.

Dernièrement, la Turquie connait une inflation très forte, qui devrait arriver à un plateau à 55% entre avril et septembre prochains. Dans un premier temps, Erdogan voulait baisser les taux d’intérêt pour donner en quelque sorte plus d’argent à la population.

La livre turque y a perdu énormément de valeur: un euro valait environ 10 livres sur l’année 2021, mais en automne le taux de change est passé à 18 livres. Depuis, il est toujours à 15.

« Ce que les Turcs essaient de faire, honnêtement – je n’ai jamais rien vu de tel auparavant », s’étonne Gilles Moec, économiste en chef pour AXA. C’est que la stratégie qu’Erdogan suit, c’est de restreindre les opérations de change. Il a également proposé de dédommager les épargnants, avec des fonds publics, si la chute de valeur de la devise dépassait les taux d’intérêts offerts par les banques.

Un non-sens pour de nombreux économistes, qui voient justement la faible dette de la Turquie comme un attrait pour les investisseurs.

Argentine

L’Argentine connait une longue histoire de méfiance envers les institutions financières, tout comme envers la monnaie locale, le peso. Quand des périodes inflationnistes ont surgi, la réponse des gouvernements (de droite comme de gauche) a été de tirer le frein à main, notamment avec des gels de prix et des blocages de capitaux.

Les Argentins préfèrent ainsi faire des affaires en dollars, mais l’accès aux billets verts n’est pas toujours facile. Il y a donc une grande différence entre le taux de change officiel et le taux de change au marché noir.

Le peso argentin est actuellement touché par l’inflation, et la banque centrale a élevé les taux d’intérêt, de 38 à 40%. Cela peut paraître énorme, mais si on prend en compte l’évolution de l’inflation, ce taux reste même fortement négatif. En d’autres mots, vous devez moins rembourser que ce que vous avez emprunté, car la somme vaut moins que ce qu’elle valait.

Depuis juillet 2018, l’inflation globale est en moyenne de 47,2%, ce qui montre « un dysfonctionnement important de la politique macroéconomique et l’incapacité de l’autorité monétaire à assurer le contrôle monétaire », selon le spécialiste de l’Argentin pour Goldman Sachs, Alberto Ramos.

Venezuela

Pour une inflation qui dépasse les critères d’entendement, le premier exemple qu’on cite est souvent le Venezuela. C’est qu’en 20 ans, les différents gouvernements de gauche ont tout essayé. Autant bloquer les prix que proposer des dollars au rabais ; rien n’a véritablement fonctionné.

En 2017, le pays a été déclaré défaillant par rapport au remboursement de sa dette. Il a alors eu l’astuce de lancer la planche à billets : en 2018, l’inflation avait atteint les 65.000%. Selon le FMI, elle tablerait sur les 2.000% cette année. En 2019, le président Maduro a assoupli certains blocages de prix, et autorisé les échanges en monnaies internationales à nouveau. Le bolivar a perdu 8.000% en valeur. Le ratio entre la dette et le PIB a alors augmenté à 500%.

Depuis, les paiements en dollars se font de plus en plus fréquents, ce qui d’un côté calme l’inflation, mais de l’autre complique l’accès aux biens de première nécessité pour les personnes qui n’ont pas de billets verts.

Brésil

Quand le Brésil a mis fin à la dictature militaire, au début des années 90, l’inflation est devenue une hyperinflation. Les prix, les loyers, et 80% de la propriété privée ont été gelés, et toute transaction financière lourdement taxée. En 1990, l’inflation a atteint 3.000%, puis 433% en 91, et plus de 2.000% à nouveau en 92.

En 94, les politiques monétaires ont été changées : nouvelle devise, augmentation des taux d’intérêt, et diminution des dépenses. Depuis, une seule année a vu un taux d’inflation dépassant les 10%.

Pologne

Le deuxième plan anti-inflation mis sur pied par la Pologne récemment se base sur des réductions temporaires de la TVA sur les carburants, la nourriture et des engrais. L’augmentation des prix pourrait dépasser les 10% pour la première fois depuis 20 ans.

Selon JP Morgan, ces mesures pourraient en effet réduire l’inflation de trois points de pour cent d’ici la moitié de l’année. Mais d’un autre côté elles feront un trou dans la caisse publique : le Premier ministre Morawiecki estime qu’elles coûteront toutes ensemble 30 milliards de zlotys (6,60 milliards d’euros), l’équivalent d’1% du PIB.

« Maintenir l’indice des prix à la consommation plus bas est une bataille perdue d’avance si les pressions sur les prix s’avèrent persistantes », selon JP Morgan.

RDC et Zimbabwe

L’exemple de la République Démocratique du Congo et celui du Zimbabwe restent sans doute les plus ahurissants en termes de pourcentages de l’inflation. Au début des années 90, l’inflation à Kinshasa avait gagné 6,3 milliards de pourcents en l’espace de cinq ans. Le gouvernement imprimait de l’argent pour couvrir des déficits budgétaires.

Au Zimbabwe, l’inflation avait atteint les 500 milliards de pour cent en 2008, là aussi car le pays faisait tourner la planche à billets. Elle devait même imprimer des billets de 100.000 milliards de dollars zimbabwéens pour suivre la hausse des prix, même si techniquement l’argent n’avait plus aucune valeur. Les blocages de prix, et l’incapacité à faire du profit en résultant, menaient à de nombreuses pénuries. La France, durant les années de sa Révolution, avait connu le même phénomène.

La RDC s’en est sorti avec des restrictions financières et monétaires, et un système flexible de taux d’intérêt, et le Zimbabwe en utilisant le dollar américain, et en passant à un système à plusieurs monnaies, dont le rand sud-africain. Le nouveau dollar zimbabwéen lancé en 2019 a dû être arrêté en 2020 avec la pandémie, et le passage au système précédent a fait bondir l’inflation à 349%.

Mexique

Au tout début des années 80, le Mexique connaissait un véritable boom économique. Mais l’augmentation des taux d’intérêt américains et la crise du pétrole l’ont stoppé net, et le peso mexicain a perdu 260% de sa valeur par rapport au dollar.

La réponse du Mexique était alors intéressante : les épargnes en dollars ont été transformées en pesos, un moratoire déclaré sur les paiements des dettes, les capitaux mis sous contrôle de l’État et les banques nationalisées. L’inflation a alors atteint les 100% en un an (82-83), et le PIB a chuté. En 87, l’inflation était toujours en hausse, autour de 150%.

En 1994 la crise du peso durait toujours, et avait commencé à contaminer d’autres économies émergentes. La monnaie continuait à perdre en valeur, et le secteur des banques s’est totalement effondré. Un plan de sauvetage international à hauteur de 50 milliards de dollars a alors été nécessaire pour sauver le pays de la faillite. Ont alors suivi une vague de récession, et une nouvelle vague d’hyperinflation, jusqu’à ce que tout se stabilise en 2002.

Les années 70

Après l’effondrement du système international d’échanges de monnaies à taux fixes et une crise pétrolière au début des années 70, le monde a connu une forte inflation. Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont alors bloqué les prix : stagflation et perte d’un tiers de la valeur de la monnaie pour les premiers, longue période de violentes manifestations pour les derniers. Au début des années 80, des hausses des taux d’intérêt et une accalmie des prix du pétrole ont pu faire baisser l’inflation.

« L’Histoire vous dit que les gels de prix et des salaires ne marchent jamais, mais ça n’empêche pas les gens d’essayer », conclut Gilles Moec.

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