Un serment « d’amitié éternelle » est censé unir la Chine et la Russie, et celui-ci fait couler beaucoup d’encre, en particulier depuis l’invasion de l’Ukraine. Les États-Unis ont révélé que l’aide matérielle de la Chine à la Russie pour son effort de guerre croissait, et le secrétaire d’État américain Antony Blinken a clairement tracé une ligne rouge en cas de fourniture d’armes ou de munitions. De toute évidence, Pékin ne lâche pas le Kremlin, malgré les nombreux épisodes où certains analystes ont cru voir un début de divorce. Mais l’Empire du Milieu est bien parti pour devenir le partenaire solide d’une alliance à long terme – mais pas spécialement si favorable à la Russie.
Comment Pékin soutient Moscou
L’achat de matières premières énergétiques. Le pétrole et le gaz, dont l’Europe ne veut plus, partent – entre autres pays – vers la Chine, qui l’achète au rabais. La Chine a acheté pour 50,6 milliards de dollars de pétrole brut à la Russie de mars à décembre, soit une hausse de 45% par rapport à la même période l’année précédente, détaille CNN. Les importations de charbon ont bondi de 54%, et les achats de gaz naturel de 155%. Une situation gagnante pour la Chine, qui a besoin d’énormes quantités d’une énergie bon marché pour faire redécoller une économie qui semble encore léthargique. Ça l’est aussi pour la Russie, qui n’a tout simplement pas d’autre choix que d’écouler sa production au rabais, par manque d’acheteurs.
Fournir à la Russie ce que l’Occident ne lui vend plus. La Chine a du mal à faire redémarrer son économie de production, la demande occidentale ne redécollant pas. Mais la Russie a un besoin urgent de composants électroniques de pointe, qu’elle ne sait pas produire et que l’Europe lui fournissait auparavant. De même pour les produits finis, comme les voitures et les smartphones : en Russie, on n’achète plus que chinois. Les marques automobiles chinoises ont vu leur part de marché passer de 10% à 38% en un an, après le retrait des marques occidentales, selon les données du cabinet d’études russe Autostat.
Reconnecter la Russie à un système bancaire mondial, malgré la pénurie de dollars. Avec un système bancaire largement coupé du système SWIFT, la principale plateforme pour les paiements internationaux, la Russie doit bien trouver des alternatives. Elle prétend avoir un réseau parallèle, mais plus concrètement, elle a tout simplement lâché le billet vert pour se convertir au yuan ; une conséquence directe des deux points précédents. La part du yuan sur le marché russe des devises étrangères a bondi à 48% en novembre 2022, contre moins de 1% en janvier. Le ministère russe des Finances a également doublé la part des réserves de yuan que le fonds souverain du pays peut détenir, la portant à 60%.
Pourquoi s’encombrer de la Russie ?
L’économie de la Fédération de Russie s’est révélée plus solide qu’estimée ; mais dans les faits, elle tient surtout sous perfusion chinoise. Cela pourrait être un poids pour la Chine, mais elle estime qu’elle a plus à y gagner qu’à y perdre, du moins pour l’instant.
Détourner l’attention et les moyens des Américains. Nul ne sait exactement ce que savait le président Xi Jinping des projets belliqueux de Poutine. Mais la tournure de la guerre en Ukraine ne lui est pas forcément défavorable : il voit les USA injecter des milliards de dollars et des tonnes d’armes et de munitions dans une guerre lointaine, pour eux, mais aussi pour lui. Il vaut mieux voir des missiles Patriot et des chars Abrams en Ukraine qu’à Taïwan.
Plomber la vie politique en Occident. Soutenir, même indirectement, une guerre à long terme est compliqué dans une démocratie. Il faut que l’opinion publique reste fermement convaincue que c’est la bonne chose à faire. Or la lassitude menace, même si l’hiver n’a pas plongé l’Europe dans la détresse énergétique. Les élections approchent toujours quelque part, et c’est le cas aux USA ; les opposants à la guerre (en gros, l’extrême-droite entretenue par le Kremlin dans de nombreux pays) vont peser de tout leur poids pour déstabiliser les gouvernements en place. Trump est déjà aux créneaux. Il est imprévisible, certes, mais pas intransigeant comme l’est Biden avec l’Empire du Milieu, en particulier sur Taïwan.
Quelle qu’en soit l’issue, la Russie sortira diminuée de ce conflit avec l’Ukraine. Par les pertes humaines d’abord, l’isolement économique ensuite. Le pouvoir qui se maintiendra au Kremlin devra se raccrocher à ce qui lui reste de liens avec l’extérieur. Quitte à brader ses ressources naturelles aux appétits chinois. Ce n’est pas une relation d’égal à égal entre Moscou et Pékin, et le déséquilibre va s’accroître. Une Russie menaçante envers l’Occident, mais réduite à un rang de puissance de troisième zone et dépendante de la Chine : voici ce que risque bien d’être l’héritage de Vladimir Poutine.