Comment des navires de guerre « fantômes » apparaissent sur toutes les mers du globe

Les systèmes de traçage du trafic maritime annoncent régulièrement la présence de navires de guerre dans des zones de tension, voire à proximité de ports rivaux. Alors qu’ils ne s’y trouvent pas. Une étrange vague de piratages qui frappe toutes les marines du monde.

Le mois dernier, la température montait en mer Noire, alors que les forces de l’Otan et l’armée de la Fédération de Russie se livraient à des exercices de grande ampleur. Entre deux provocations, une information étrange est quelque peu passée inaperçue : plusieurs navires militaires américains ont été reportés en pleine mer sur les sites du contrôle maritime international. Alors qu’ils ne s’y trouvaient pas. L’US Navy est allée jusqu’à publier des photos d’un de ces navires à quai à Odessa pour démontrer qu’il ne naviguait pas 10 kilomètres plus loin, au large de la Crimée. Or, selon Wired, ce n’est pas un incident isolé : des navires de guerres « fantômes » sont signalés dans toutes les mers du monde.

Selon une analyse conduite conjointement par les associations à but non-lucratif Skytruth et Global Fishing Watch, ce sont pas moins de 100 bâtiments de guerres, de toute taille et de toute classe et appartenant à 14 nations différentes qui ont été signalés à des endroits où, de toute évidence, ils ne se trouvaient pas.

C’est le cas par exemple du porte-aéronef HMS Queen Elizabeth, fleuron ultramoderne de la Royal Navy, qui a été signalé le 17 septembre dernier en mer d’Irlande, accompagné d’une armada combinée de destroyers et escorteurs britanniques, belges, et hollandais. Un spectacle impressionnant qui n’a été observé sur aucune image satellite, car aucun de ces navires ne naviguait dans cette zone. Mais alors, comment ont-ils été signalés précisément là ? Et bien via leur système identification automatique (AIS), un dispositif qui a pour but d’éviter les collisions en mer.

Piraterie presque parfaite

Les lois de la mer imposent à tout navire de commerce de disposer un transmetteur AIS, qui relève sa position par radio afin de pouvoir suivre son itinéraire en temps, réel, comme sur une immense carte GPS du trafic maritime qui indique, pour chaque embarcation, son nom, sa destination, et sa course. Ce n’est pas obligatoire pour les vaisseaux de guerre, mais la majorité d’entre eux utilise au moins le système dans les eaux les plus traversées.

Or, depuis un an, ce système semble avoir été piraté, et des navires de guerre de différents pays -identifiés par leur nom et leur matricule- apparaissent au hasard sur le système. Parfois, ce sont même des messages préenregistrés qui semblent être émis depuis ces « vaisseaux fantômes ». Et en général, ils semblent voguer à proximité d’endroits sensibles : les ports de nations rivales, les détroits stratégiques, ou les zones contestées. Comme au large de la Crimée, en juillet dernier.

Dangereuses provocations

Mais ce n’est pas un cas isolé, loin de là. Bjorn Bergman est data-analyste, et il assure qu’il ne s’agit là ni d’une blague ni d’un problème technique, tant tout semble pensé pour rendre crédibles ces navires-fantômes: « A SkyTruth, on est d’habitude particulièrement attentif aux piratages concernant l’activité des navires de pêche, et on tente de comprendre comment les données ont été falsifiées afin de pouvoir mieux les détecter. Mais ici, les faux messages émis sont très crédibles, très semblables à ceux émis par les vrais navires avant et après l’imposture. » Bergman ainsi détecté neuf vaisseaux suédois en Méditerranée, et rien ne semblait anormal si ce n’était que l’Amirauté du pays lui a confirmé en direct que ceux-ci étaient tous au port.

En juin dernier, le destroyer britannique HMS Defender a été -faussement- signalé faisant cap vers le port militaire russe d’Odessa. La semaine suivante, c’était la frégate néerlandaise HNLMS Evertsen, et même toute une flottille Otan quelques jours plus tard. Bjorn Bergman a bien envisagé de fausses provocations mises au point par les Russes pour passer pour les agressés.

Pavillon mystère

Mais leurs navires aussi apparaissent là où ils ne sont de toute évidence pas : le patrouilleur Pavel Derzhavin a été signalé par AIS dans les eaux ukrainiennes, tandis que la corvette Stoikiy serait partie, parfaitement visible sur le Web, de Kaliningrad pour voguer dans les eaux polonaises. Des provocations pures, totalement improbables et très probablement dues à des navires-fantômes.

Personne ne sait qui pirate ainsi les données du trafic maritime mondial pour jouer aussi avec le feu, et personne ne sait exactement pourquoi. Quant au comment, M. Bergman préfère rester évasif : il a confié à Wired qu’il préférait ne pas en révéler plus, pour que les coupables ne deviennent pas encore plus insaisissables.

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