Ce matin, la Cour des comptes est venue donner des explications de son rapport à la Chambre. Dedans, elle se montre extrêmement critique à l’égard des finances de l’État : « La situation est-elle tenable ? », se demande-t-elle. La Commission européenne ne va pas aussi loin, mais les recommandations qu’elle formule lors de l’examen annuel de tous les États membres de l’UE sont claires : la Belgique devrait vraiment envisager de prendre des mesures structurelles. Il y a toute une série de recommandations : on y retrouve la réforme du système de chômage, mais surtout « la réforme du système fiscal », écrit la Commission. « Des recommandations européennes légitimes », réagit le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), qui veut présenter ses propres projets avant l’été. Mais y a-t-il de la place pour une telle réforme dans le courant de la législature Vivaldi ? On ne retrouve pas une telle réforme dans les de sept chantiers du Premier ministre qui veut trouver « un grand accord pour l’été ».
Dans l’actualité : « Nous devons nous assurer que notre pays soit suffisamment fort pour contrer les crises futures », déclare le vice-premier ministre et ministre des Finances, Van Peteghem, depuis l’Eurogroupe, la réunion des ministres européens.
Les détails : La Commission européenne ne tourne pas autour du pot et a dressé toute une liste de recommandations pour la Belgique.
- Un groupe chaleureux cet Eurogroupe, semble-t-il : au début de la réunion, M. Van Peteghem a reçu un cadeau de son homologue espagnole, Nadia Calvino, et de son homologue autrichien, Magnus Brunner. Après tout, il n’est pas si fréquent que l’un d’entre eux devienne parent : après Joséphine et Florine, Van Peteghem est redevenu père le mois dernier, cette fois d’une petite Olivia.
- Mais le plus beau cadeau que Van Peteghem a reçu hier n’était pas cette délicate attention. Non, il s’agissait plutôt d’un rapport assez sec de la Commission européenne. Les experts financiers, conduits par les commissaires européens Paolo Gentiloni pour les finances et Valdis Dombrovskis pour l’économie, ont présenté hier leur audit de la Belgique. La Commission effectue normalement cet audit chaque année, mais en raison de la crise sanitaire, la période a été anormale sur le plan financier et économique.
- Maintenant, l’exercice est de retour. Et immédiatement, les experts se montrent très critiques, et veulent que la Belgique se réforme. En particulier au niveau fiscal, ce qui réjouit le ministre belge des Finances, Van Peteghem, qui entend concrétiser cette réforme sous cette législature pour lui et son parti. La Commission et notre ministre sont en fait exactement sur la même longueur d’onde.
- Ce que la Commission dit de la fiscalité :
- « Donner la priorité aux réformes visant à améliorer la viabilité budgétaire ».
- « Réformer les systèmes d’imposition et de prestations pour réduire les incitations négatives au travail en transférant la charge fiscale du travail vers d’autres sources. »
- « Réduire les dépenses fiscales et rendre le système fiscal plus neutre sur le plan des investissements. » Comprendre: un impôt plus progressif qui pèserait plus sur les épaules les plus larges.
- La Commission plaide sans équivoque pour une simplification du système fiscal en Belgique, une analyse que la Vivaldi a également faite en 2020. Son accord de coalition pose déjà les principes d’une « vaste réforme fiscale » : il plaide comme la commission pour « moderniser, simplifier, rendre plus équitable et plus neutre » la fiscalité belge. Le rapport met également en évidence les lacunes : l’absence d’un impôt sur les revenus locatifs est pour le moins étrange. Tout comme la déduction fiscale pour l’achat d’une résidence secondaire. Et les régimes fiscaux généreux pour l’épargne-pension sont également des anomalies pour la Commission.
L’effet : la Commission européenne met des bâtons dans les roues de Vivaldi.
- M. Van Peteghem a eu du mal à cacher son enthousiasme : il a immédiatement diffusé sur Twitter le texte intégral des recommandations, affirmant qu’il s’agissait de « recommandations justifiées ». « Nous devons entamer le processus de remise en ordre de notre budget, couplé aux réformes nécessaires. »
- Cela montre immédiatement la volonté de cd&v et de Van Peteghem de continuer à se battre pour ces réformes. Il est de notoriété publique que le MR, en particulier, examine attentivement les plans du ministre. Les libéraux francophones ne voient pas d’un bon oeil d’éventuels nouveaux impôts sur le dos des propriétaires. Il semble que l’Open Vld et le Premier ministre traînent eux aussi des pieds dans ce dossier.
- Vendredi, le Premier ministre a mis sur la table ses plans pour lancer un certain nombre de chantiers et pour parvenir à un grand « accord d’été ». Une chose en ressort indirectement : il n’y a aucune réforme fiscale dans les plans de De Croo.
- Au cours des deux premières années de la Vivaldi, le Premier ministre et le vice-premier ministre du cd&v formaient un tandem, sur le plan socio-économique. Ce n’est pas surprenant, car l’Open Vld et le cd&v, en tant que partis flamands du centre, devaient être considérés comme les garants de l’aile droite de la Vivaldi. Van Peteghem a également pu compter sur le soutien du Premier ministre en ce qui concerne ses réformes. Mais cette relation s’est visiblement étiolée à l’automne 2021, lorsqu’il s’est avéré que De Croo s’est montré incapable de réunir la famille libérale pour soutenir les réformes du ministre.
- Même sur les petits dossiers lancés par Van Peteghem, comme les cotisations sociales payées par les footballeurs professionnels, Georges-Louis Bouchez (MR) a joué le jeu à fond pour faire obstruction. En coulisses, Bouchez a d’ailleurs déjà admis ouvertement qu’il n’y aura pas de réforme majeure. Après tout, l’accord de gouvernement prévoit de préparer une réforme fiscale, mais pas de la mettre en place sous cette législature.
- Mais la Commission européenne donne de l’eau au moulin du ministre des Finances : il est tout simplement nécessaire de poursuivre ces réformes et de mettre en œuvre un transfert fiscal substantiel afin de réduire la charge sur le travail. C’est la seule façon d’atteindre un taux d’emploi de 80 %, qui est le Graal pour redresser enfin les finances publiques. Or, ces deux objectifs sont poursuivis par le MR.
- De l’autre côté, une fuite dans la presse des travaux préparatoires de cette réforme fiscale ont effrayé les socialistes, notamment l’augmentation de la TVA de 21 à 22%, la fin des chèques repas ou encore la taxation des allocations familiales. Ce qui est certain, c’est que le ministre des Finances avance en terrain miné.
Le contexte : la Cour des comptes et la Commission européenne ne nous mettent pas en garde pour rien.
- La Commission européenne a décidé hier de suspendre les règles budgétaires pour les États membres pour une année supplémentaire. C’était attendu : trop de pays européens ne respectent tout simplement plus la norme des 3 % de déficit budgétaire. La pression extérieure a donc disparu pour la Vivaldi.
- Mais dans son dernier rapport, la Cour des comptes, l’institution qui surveille les finances publiques en Belgique, est particulièrement critique sur le long terme : « La viabilité des finances publiques belges n’est pas garantie », affirment ses experts, qui mettent en garde contre une hausse des charges d’intérêt si la BCE commence à relever ses taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation.
- La Cour des comptes chiffre à 6,5 milliards d’euros les charges d’intérêts que la Belgique paie actuellement chaque année. Mais selon ses estimations, ce montant passera à 9,1 milliards d’euros en 2027. Aujourd’hui, elle s’en explique devant la Chambre.
- La Commission européenne met également en garde contre ce phénomène, avec des déficits budgétaires de 5 % du PIB cette année, et de 4,4 % supplémentaires l’année prochaine. À ce rythme, un énorme problème se posera au printemps 2023, lorsque la Commission recommencera à appliquer les normes européennes de Maastricht. Car il ne s’agit pas seulement de déficit, mais aussi de l’endettement. Selon l’Europe, la dette publique totale ne peut dépasser 60 % du PIB. Aujourd’hui, ce taux est de 107,5 % pour la Belgique, mais la Commission prévoit qu’il atteindra 110,2 % en 2025. « Les risques pour la viabilité de la dette à moyen terme semblent élevés », note ainsi le rapport européen.
La discussion politique : La Commission a un mot sur la discussion au sein de la Vivaldi pour le « pouvoir d’achat », et en particulier sur la réduction de la TVA sur le gaz.
- L’un des sept chantiers que le Premier ministre De Croo met actuellement en avant est le fameux « pouvoir d’achat ». La Vivaldi attend jusqu’à la mi-juin le groupe d’experts, qui doit formuler des recommandations, et souhaite obtenir des résultats concrets avant l’été. C’est ce que les socialistes et les Verts ont demandé.
- La question du devenir des « mesures énergétiques », c’est-à-dire la réduction de la TVA sur le gaz et l’électricité, est également sur la table. M. Van Peteghem sera beaucoup moins impatient de lire ce que la Commission européenne a à dire à ce sujet. À l’automne, il est apparu comme le principal défenseur de la réduction de la TVA sur le gaz et l’électricité de 21% à 6%, avec le président du Vooruit, Conner Rousseau.
- La Commission européenne désapprouve réellement cette dernière mesure : elle critique explicitement les incitations fiscales en faveur des combustibles fossiles. C’est certainement quelque chose que la Commission désapprouvera fortement en 2023 : la question est de savoir si cette TVA réduite existera encore en 2023. La Commission a beaucoup moins de problèmes avec le tarif social étendu : il est « temporaire et ciblé », dit-elle. En outre, la Commission préconise en particulier l’accélération des investissements dans les énergies vertes et dans le numérique.
- Des économistes, comme Paul De Grauwe, qui est membre du groupe d’experts de De Croo, ont déjà vivement critiqué la mesure de réduction de la TVA. De plus, les partenaires écologistes veulent en finir le plus vite possible avec cette mesure : subventionner les combustibles fossiles est (dans ce cas-ci) un anathème pour eux.
- Cela promet d’être une discussion très passionnée au sein du gouvernement : les socialistes veulent en effet rendre permanents les taux réduits de la TVA. Mais la secrétaire d’État au budget Eva De Bleeker (Open Vld) a déjà mis en garde contre les coûts gigantesques que cela entrainerait. Pour elle, comme pour la Commission, les mesures de soutien au pouvoir d’achat doivent être temporaires.
En résumé: De Croo a beaucoup de travail à faire avant l’été.
- Outre le pouvoir d’achat, qui doit être réglé avant l’été, selon la note que De Croo a présenté vendredi, il y a six autres chantiers.
- Il y a la défense, avec l’augmentation du budget à 2 % du PIB, qui doit être réglée d’ici le sommet de l’OTAN à Madrid, fin juin. Hier, le kern n’est pas non plus parvenu à un accord ; les Verts ne veulent rien savoir d’une nouvelle augmentation du budget, même si cela ne concernera que le budget de 2024. L’impasse demeure.
- Autre classique : la réforme des retraites. Dans son rapport, la Commission est très critique à ce sujet : le vieillissement de la population est un défi majeur pour la Belgique. Les dépenses consacrées aux pensions et aux soins aux personnes âgées augmenteront encore de 14 % d’ici à 2030. Pour le 21 juillet, De Croo veut donc voir se dégager une fumée blanche, en collaboration avec la ministre des Pensions, Karine Lalieux (PS). Mais les différences idéologiques entre la gauche et la droite n’ont pas disparu entre-temps.
- Pour la mise en œuvre du jobs deal, conclu par la Vivaldi en février, le Premier ministre doit à nouveau passer devant le PS, en particulier le ministre de l’Emploi Pierre-Yves Dermagne (PS). Là encore, le Premier ministre donne du temps à son équipe jusqu’aux vacances parlementaires, le 21 juillet, date traditionnelle du départ en vacances du gouvernement fédéral. Soit dit en passant, cet accord sur le travail n’est rien comparé aux recommandations de la Commission européenne, qui appelle à « une réforme du système d’allocations de chômage » en Belgique. Les chances que cela se produise sont nulles : le PS y est radicalement opposé.
- Un quatrième chantier est le nucléaire, notamment les négociations avec Engie. Un exercice délicat car il mélange plusieurs variables : le maintien en activité de deux centrales nucléaires, mais aussi le coût du démantèlement et de l’élimination des déchets des cinq autres, et bien sûr l’impôt sur les surprofits du secteur de l’énergie. « Il n’est pas surprenant qu’Engie mette sur la table ses conditions. Elle a sa position stratégique, nous avons la nôtre. Nous avons notre cadre, qui a été fixé au sein du gouvernement », a rappelé la vice-première ministre verte Petra De Sutter (Groen) aux partenaires de la coalition. Les Verts craignent de faire trop de concessions à Engie, ce qui provoque des tensions avec les libéraux : en arrière-plan, les sept réaceurs nucléaires sont menacées de fermeture si aucun accord n’est trouvé.
- De Croo souhaite également s’attaquer aux critiques sévères émanant du sommet de la police judiciaire. Ils ont tiré la sonnette d’alarme le mois dernier et sont venus dans l’hémicycle avec des histoires à glacer le sang sur des criminels qui ont le champ libre parce qu’il n’y a pas de budget. La Vivaldi doit donc trouver de l’argent, qui devra provenir d’économies plutôt que de fonds supplémentaires.
- Tout cela peut être fait dans le cadre d’un examen du budget, que le Premier ministre aborderait à la mi-juin et qui serait achevé le 21 juillet. Il se concentrerait principalement sur l’effort de 0,2 % déjà prévu dans l’accord de coalition. Mais cet objectif sera-t-il atteint ? Selon la Cour des comptes, ce n’est pas le cas : dans son rapport, elle souligne que l’effort annuel variable « n’a pas été atteint ». Un deuxième audit suivra après l’été, pour voir quels travaux « supplémentaires » peuvent être effectués.
Sérieusement ? « Non, la Wallonie n’est pas en faillite. »
- C’est avec un large sourire qu’Elio Di Rupo (PS), le Premier ministre wallon, a présenté hier le budget de la Région wallonne. Et le triomphe de tout cela : la fin de la croissanc de la dette wallonne, a annoncé M. Di Rupo.
- Les chiffres des finances wallonnes sont pourtant carrément dramatiques, avec un budget de 15 milliards d’euros en recettes et 19 milliards d’euros en dépenses. À ce déficit de quelque 4 milliards d’euros s’ajoute une dette totale de quelque 34 milliards d’euros, soit environ 240 % des recettes totales, selon le ministre du Budget Adrien Dolimont (MR). En Flandre, la dette représente environ 62,5 % de l’ensemble des recettes.
- Cette dette deviendra un problème plus tard, lorsque les taux d’intérêt commenceront à augmenter. Mais Di Rupo et Dolimont ne sont pas pessimistes. Ce dernier, un très jeune ministre MR, est le successeur de Jean-Luc Crucke (MR) et ce matin, sur LN24, il a défendu son travail : « Mon modèle n’est pas la Flandre. Si vous avez vu le manque de solidarité, au niveau fédéral, après les inondations en Wallonie, ce n’est pas la vision que je défends », a-t-il déclaré.
- Auparavant, Di Rupo lui-même avait également fait fi des critiques formulées à l’encontre de sa politique financière. Dimanche, au Zevende Dag (VRT), le président de la N-VA, Bart De Wever, a déclaré que la Wallonie était « de facto en faillite ».
- « Ah, Monsieur De Wever se trompe », a répondu Di Rupo à Belga, avec un large sourire. « Il se trouve qu’il se trompe. Vous savez, je ne critique pas sa politique à Anvers, je pourrais le faire aussi. Mais c’est inutile. La solidarité, c’est travailler ensemble, parfois pour la Flandre, parfois pour la Wallonie, avec des forces unies. »
- Au final, Di Rupo et ses collaborateurs ont économisé quelque 150 millions d’euros, lors d’un conclave budgétaire qui a duré cinq jours. Au passage, ils ont présenté de beaux chiffres et un budget qui devrait être « équilibré » d’ici 2024. Mais cela semble être un tour de passe-passe budgétaire : quatre postes de « dépenses spéciales » ont été maintenus hors du budget. Il s’agit notamment des mesures corona, des mesures de relance, des inondations et des dépenses supplémentaires dues à la guerre en Ukraine. Ainsi, le déficit atteint en réalité 4 milliards d’euros.