De Croo cherche un « grand accord pour l’été » pour faire revivre la Vivaldi, mais la guerre froide se poursuit entre le MR et le PS

Y aura-t-il une sorte de « redémarrage » pour la Vivaldi alors que l’équipe fédérale est en grande difficulté ? Groen et CD&V ont tous deux cité un « accord pour l’été » ce week-end, et ça nous est confirmé par des sources haut placées au sein de la coalition : « Le Premier ministre essaie de s’attaquer à plusieurs chantiers à la fois, pour faire un gros coup. » Mais il est immédiatement indiqué que ces pourparlers ne sont pas encore à un stade très avancé : le Premier ministre, Alexander De Croo (Open Vld), et sa ministre des Pensions, Karine Lalieux (PS), ont déjà fait le tour des vice-premiers ministres pour tenter de sortir la réforme des pensions du marasme. Dans le même temps, des questions sur le budget de la défense et le marché du travail sont sur la table. Sans parler des réformes fiscales et du dossier nucléaire. Le Premier ministre avance dans une atmosphère hostile.

Dans l’actualité : « C’est une bonne chose que le Premier ministre De Croo veuille travailler à un accord d’été. »

Les détails : C’est une phrase que le président bientôt en fonction, Sammy Mahdi (CD&V), a laissé échapper dimanche sur VTM. Groen a lui aussi lancé un appel : le Premier ministre « doit sortir de sa coquille », a lancé le chef de groupe Wouter De Vriendt, lors du Zevende Dag (VRT), confirmant qu’un grand accord était en préparation. Mais rien ne sera simple.

  • Non, il ne s’agit pas d’une « réécriture de l’accord de coalition », ce que le leader de Groen, Kristof Calvo, réclamait depuis des semaines, pour « redonner de l’oxygène à Vivaldi ». Cette critique, selon laquelle l’élan de l’équipe fédérale a été perdu, a été reprise par l’opposition récemment, qui a tout mis sur le dos du Premier ministre. Mais au sein de la coalition aussi, ce n’est pas un secret, les choses sont compliquées et les dossiers sont à l’arrêt en ce moment. Il est maintenant question d’un grand « accord pour l’été » pour tenter de relancer la machine vivaldienne.
  • Le Premier ministre De Croo a donc entrepris de s’attaquer à un certain nombre de grands dossiers et d’essayer de les faire basculer du bon côté dans le cadre d’un grand accord estival: « Nous allons nous attaquer aux grands chantiers. Mais nous ne sommes pas encore très avancés », voilà la réaction pour le moment dans les couloirs fédéraux.
  • Mahdi, qui vient de rentrer d’une visite à l’ONU à New York, a déclaré ce dimanche que la Vivaldi « a encore beaucoup à faire ». Il a immédiatement mis l’accent sur deux questions cruciales : les réformes du marché du travail et les pensions : « Nous devons faire en sorte que tout le monde travaille, sinon nous aurons des problèmes. Le taux d’emploi dans notre pays n’est pas assez élevé. Le régime de retraite doit également être abordé. »
  • Ce n’est pas une coïncidence, car les deux dossiers sont sur la table du gouvernement. D’une part, il y a le jobs deal, un morceau de réforme qui avait déjà été approuvé par la Vivaldi l’année dernière, mais qui a été rejeté par les partenaires sociaux : les syndicats et les employeurs n’étaient pas d’accord. Maintenant, la Vivaldi doit trancher, mais le PS hésite clairement à forcer la main des syndicats. Le ministre du Travail, Pierre-Yves Dermagne (PS), a mis sur la table, la semaine dernière encore, un paquet de revendications pour 6,5 milliards d’euros de dépenses structurelles : les socialistes francophones veulent que le « pouvoir d’achat » soit augmenté pour la classe moyenne inférieure.
  • Et puis il y a les retraites, où le Premier ministre rencontre le même PS sur son chemin. Ici, la ministre compétente, Karine Lalieux, a déjà présenté des plans l’été dernier, qui ont été grossièrement dézingués par les libéraux, en raison du « trop peu de réformes ». Le PS, par exemple, souhaite qu’une pension minimum soit accordée dès 10 ans de carrière, alors que les libéraux exigent 20 ans. De Croo et Lalieux ont entre-temps vu les vice-premiers ministres un par un. Mais la question est surtout de savoir ce que le PS veut : il a depuis longtemps remporté son grand trophée: l’augmentation des pensions minimums à 1.500 euros. Alors pourquoi devrait-il concéder maintenant ? L’essentiel est acquis, les socialistes ne sont plus pressés et ne montrent aucune réelle ambition désormais.
  • Ce qui reste également sur la liste des priorités de Mahdi et du CD&V, c’est la grande réforme fiscale de Vincent Van Peteghem, le ministre des Finances. Ce dernier a annoncé qu’il voulait présenter ses plans « avant l’été », promettant une simplification d’une part et un déplacement de la fiscalité d’autre part, des charges sur le travail vers les charges sur le capital. Le MR fait de l’obstruction depuis des mois. De Croo devra aussi dénouer ce nœud.

Frappant : les Verts passent clairement à l’offensive dans la coalition fédérale après la sortie du nucléaire.

  • Les Verts ont tenté de communiquer intelligemment ce week-end, en demandant au Premier ministre de se lancer dans l’action, sachant pertinemment qu’il travaillait déjà discrètement sur une initiative. Au Zevende Dag, Wouter De Vriendt (Groen), chef de groupe à la Chambre des représentants, a mené le forcing :
    • « La Vivaldi peut être comparée à un vélo : les pneus doivent être gonflés de toute urgence ».
    • « Le Premier ministre doit sortir de sa coquille ».
    • « Nous avons besoin d’un accord sur la réforme fiscale, car il doit y avoir une contribution équitable des plus grandes fortunes. »
    • « Beaucoup de gens ont des difficultés avec leur pouvoir d’achat et puis il y a la transition écologique ».
    • « Si nous parvenons à conclure un accord important autour de cette question, nous aurons un nouveau tour de piste et cela est nécessaire. »
  • Les présidents des Verts, Meyrem Almaci (Verts) et Jean-Marc Nollet (Ecolo), se sont également manifestés de manière très nette la semaine dernière, pour opposer un veto aux projets d’augmentation du budget de la défense. Les libéraux veulent porter ce budget à 2 % du PIB, dans le cadre d’un processus de croissance à long terme, de préférence jusqu’en 2035 : la pression internationale est forte sur De Croo pour qu’il y parvienne d’ici le sommet de l’OTAN à Madrid.
  • Mais c’est un grand « non », donc, pour Almaci et Nollet. Pourtant, ces plans n’auront aucune incidence sur le budget jusqu’en 2024. Mais il s’agit d’un positionnement des Verts dans un contexte plus large : les écologistes veulent prôner le pouvoir d’achat, la fiscalité et leur propre transition écologique.
  • Il est particulièrement frappant de constater que Groen et Ecolo, après avoir été sur la défensive pendant des mois au sujet de la sortie du nucléaire, un dossier du ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Verts), adoptent maintenant clairement une approche différente. Sur RTL-TVI, Nollet a une nouvelle fois défendu la coalition, dimanche. Il a également poussé le Premier ministre De Croo à propos des négociations avec Engie, le géant français de l’énergie qui exploite les centrales nucléaires: « Le Premier ministre est assis à la table avec Van der Straeten, et se rend compte maintenant des difficultés qu’elle a rencontrées avec Engie pendant deux ans. »
  • Un élément crucial de ces discussions est la facture du démantèlement des centrales et de l’élimination des déchets. Une nouvelle loi est prête à ce sujet qui régit les fonds destinés à cette tâche via Synatom : cela imposera des garanties beaucoup plus strictes pour qu’Engie paye effectivement la démolition et l’élimination des centrales, pour un montant estimé à 41 milliards d’euros. Mais Engie utilise pleinement ses moyens de pression : l’énergéticien doit maintenir les centrales nucléaires plus longtemps, mais indique que ça lui prendra du temps: avec la menace de priver la Belgique d’approvisionnement pendant deux hivers.
  • Une partie de poker difficile, donc. Et les Verts ne veulent pas que le Premier ministre les laisse tomber. Ce soir, le kern de la Vivaldi se réunira pour discuter de ce dossier de défense. Et la question nucléaire serait également à l’ordre du jour.

L’atmosphère dans l’équipe fédérale : comme un air de guerre froide.

  • Ce matin, David Clarinval (MR), le vice-premier ministre libéral francophone, était l’invité de LN24. Il a immédiatement tiré à boulets rouges sur la discussion à venir sur le « pouvoir d’achat ». Car à gauche, les Verts ainsi que le PS et Vooruit poussent pour un nouveau paquet de mesures concrètes pour le porte-monnaie de la classe moyenne. Le PS a proposé 6,5 milliards d’euros d’interventions structurelles, qui devraient rapporter 200 euros nets par mois. Cela semble bien utopique à ce stade. En outre, ils ont à nouveau présenté leur demande de modification de la loi dite de 1996 sur les normes salariales, surtout sa modification par le gouvernement Michel en 2017.
  • « Si les socialistes présentent leur catalogue des horreurs, qui comprend des demandes telles que l’abolition de la loi de 1996, nous présenterons le nôtre: la limitation des allocations de chômage dans le temps et la fin de l’indexation automatique des salaires seront sur la table », a déclaré Clarinval.
  • Son collègue vice-premier ministre, Pierre-Yves Dermagne, a immédiatement réagi sur les réseaux sociaux: « Quand le PS veut redonner une vraie marge de négociation sur les salaires aux partenaires sociaux, le MR répond en appauvrissant les travailleurs. Nous n’accepterons ni la limitation du chômage dans le temps ni la remise en cause de l’indexation automatique. Jamais. », a-t-il répondu.
  • Ainsi, le débat sur les réformes socio-économiques, tant sur le plan fiscal que sur celui du marché du travail, semble avoir complètement tourné au vinaigre entre les rouges et les bleus, avant même d’avoir été correctement abordé.
  • Dans les deux dossiers, la Belgique fait de plus en plus cavalier seul en Europe. Aucun autre pays n’a un système dans lequel les allocations de chômage sont maintenues de manière illimitée. Après un certain temps, les allocations cessent et la plupart des chômeurs sont envoyés dans l’équivalent d’un CPAS.
  • En outre, il y a l’indexation automatique. Seuls Malte et le Luxembourg disposent d’un système similaire en Europe. La question est de savoir combien de temps cela pourra encore durer, dans le contexte d’une inflation galopante dans l’ensemble de la zone euro : presque tous les économistes mettent désormais en garde contre la spirale salaires-prix. Il s’agit du phénomène par lequel les salaires et les prix continuent d’augmenter et s’alimentent mutuellement.
  • Selon les nouvelles estimations de la Commission européenne, les coûts salariaux dans notre pays augmenteront de 16,4 % en 2020-2023. Dans les pays voisins, l’augmentation moyenne des salaires serait de 10,9 %.
  • Mais tant chez les bleus et que chez les rouges, on tente d’éteindre l’incendie de la fin prématurée de la Vivadi: ce weekend, Paul Magnette a répété dans une longue interview accordée à La DH que la Vivaldi n’était pas en danger. Qu’il fallait se mettre au travail sur la question des pensions, du pacte énergétique, de la réforme fiscale et du jobs deal: « Quand on aura réglé tout ça, on dira que le gouvernement a bien travaillé.« 
  • Mais les piques à l’encontre des libéraux sont nombreuses: « Quand le MR dit qu’il ne veut pas taxer les hauts patrimoines plus qu’on ne le fait déjà, il défend 1 % de la population. Je ne comprends pas pourquoi il le fait. Je suis sûr qu’une grande partie de leur électorat serait prêt à ce que l’on fasse payer les plus riches »
  • Ou encore : « On plaide pour une réduction fiscale centrée sur les bas et moyens salaires. Les libéraux n’arrêtent pas de dire qu’ils s’occupent des classes moyennes, mais qu’ils le prouvent ! Ils sont en train de démontrer l’inverse. »
  • Sur le plateau de RTL-TVI, dimanche, Georges-Louis Bouchez, qui s’écharpait cette fois avec les écologistes et Jean-Marc Nollet, n’a pas non plus remis en cause la coalition. À chaque fois que le libéral va un peu trop loin en bousculant le Premier ministre, il tempère dans les jours qui suivent: « La question n’est pas de savoir si on va faire autre chose. On n’a pas le choix. Il y a quelque chose qui nous réunit, c’est l’avenir du pays. Et pour cet avenir, on doit aller au bout. Ce ne sera pas simple, on aura encore des divergences, mais ça fait partie de la démocratie. » Comprendre: le chemin de la Vivaldi restera quoi qu’il arrive parsemé d’embuches et de désaccords, mais on jugera à la fin les résultats et donc l’aboutissement ou non de ces réformes.
  • Du côté de l’opposition, Bart De Wever, le président de la N-VA, ne croit pas non plus à la chute de la Vivaldi. Ce dimanche sur la VRT, il a indiqué que son parti ne se préparait pas à ce scénario. Mais il constate par contre que le bilan de la Vivaldi est plutôt maigre: « Aucun expert sérieux ne croit vraiment au Jobs deal et au fait qu’il pourra nous porter à un taux d’emploi de 80%, alors que la Wallonie a un taux de 63% (65% en réalité) et que Bruxelles est proche des 60% (62% en réalité). Maintenant, les socialistes arrivent avec 6,5 milliards d’euros de dépenses supplémentaires pour les personnes passives… »

Le tableau budgétaire : l’UE lance une bouée de sauvetage, les règles budgétaires seront suspendues en 2023 également.

  • La Commission européenne l’a annoncé officiellement aujourd’hui : le socialiste italien Paolo Gentiloni, responsable des finances, assure qu’en 2023 également, les normes dites de Maastricht, avec notamment une limite de 3 % de déficit public sur le budget, ne seront plus appliquées par la Commission.
  • La raison en est simple : la guerre en Ukraine, après la crise sanitaire, a mis à nouveau tous les pays de l’UE en difficulté budgétaire. Jusqu’à la fin de 2023, il y a donc une « situation de crise ». La Belgique peut donc pousser un soupir de soulagement : le budget est actuellement bien plus déficitaire que ces 3 %. En fait, la Vivaldi n’a plus trop à s’inquiéter de sa trajectoire budgétaire, le mandat de ce gouvernement se terminant en 2024. Un énorme facteur de pression externe a maintenant disparu.
  • Mais la Commission n’a pas non plus donné un excellent rapport à la Belgique. C’est difficile à faire, avec le plus mauvais budget, après celui de Malte, de toute l’Europe, et des préoccupations majeures concernant la charge salariale la plus élevée de l’UE. Après tout, l’Europe s’inquiète de l’inflation et met en garde contre une augmentation trop rapide des salaires dans l’UE. Les États membres sont donc invités à réduire leurs dépenses et à ouvrir leur marché du travail aux réfugiés afin de maintenir les salaires à un niveau bas.
  • Un signal clair est également venu d’Allemagne ce week-end : le ministre allemand des Finances, le libéral Christian Lindner, a averti les autres États membres de l’UE qu’ils ne pouvaient continuer à accumuler des dettes. Un vent différent souffle lentement sur l’Europe : les Allemands veulent retrouver au plus vite les normes de Maastricht, avec un plafond à trouver pour la montagne de dettes.
  • Pour Vivaldi, le coût d’un ensemble de mesures prises pour réduire les coûts énergétiques commence à s’accumuler. Le tarif social, qui bénéficie aujourd’hui à 880.000 familles, soit deux fois plus qu’avant la crise énergétique, coûte désormais quelque 600 millions d’euros au gouvernement, soit beaucoup plus que prévu, écrit De Standaard. Et on parle uniquement jusque septembre, alors que tout le monde suppose que le système sera prolongé.
  • Sur Radio 1, la secrétaire d’État au Budget, Eva De Bleeker (Open Vld), a répété « qu’il s’agit de dépenses de crise uniques ». « Elles sont prévues jusqu’à la fin du mois de septembre, mais nous devons vraiment faire attention à ne pas les rendre permanentes. Nous devons évaluer ce que cela pourra coûter au budget », a-t-elle déclaré.
  • La question est de savoir s’il y aura encore beaucoup de négociations à ce sujet : le président de l’Open Vld Egbert Lachaert a déjà admis que les mesures énergétiques s’appliqueraient certainement en hiver. Il semble donc que des négociations aient déjà eu lieu. Il apparait de plus en plus que la TVA de 6 % pour le gaz et l’électricité pourrait devenir permanente, tout comme le tarif social élargi.
  • « S’il est nécessaire de prolonger cela jusqu’après l’hiver, nous le ferons certainement. Mais si les prix baissent, nous devrions oser penser à une suppression progressive », a prudemment tenté De Bleeker. La question est de savoir si ses paroles feront une grande impression auprès de ses collègues.
  • Par ailleurs, la Cour des comptes propose elle aussi une analyse délicate pour la Vivaldi : « La soutenabilité des finances publiques de la Belgique n’est pas garantie », tel est le verdict final du budget 2022 préparé par le gouvernement fédéral.
  • Au niveau wallon, malgré des finances en berne, avec un déficit de 4,1 milliards d’euros, le gouvernement et le ministre Adrien Dolimont sont parvenus à boucler le budget, en trouvant 505 millions d’euros pour éviter le dérapage. Il y aura en outre 150 millions d’économies structurelles, comme le demandait l’effort annuel, qui sera par ailleurs cumulatif: c’est-à-dire qu’il faudra trouver l’année prochaine 300 millions d’euros et l’année suivante 450 millions d’euros. La dette wallonne reste éminemment problématique autour des 30 milliards d’euros, soit 200% des recettes.
  • La Wallonie limite la casse et suspend l’accroissement de la dette qui a eu lieu suite aux crises successives. La Wallonie n’aggrave donc plus son cas, même si on est encore très loin d’un budget à l’équilibre.
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