Des bénéfices énormes, mais Engie pose ses conditions: une taxe fédérale sur les surprofits du secteur de l’énergie a-t-elle une chance d’aboutir ?

Demain, cela fera deux mois que la Vivaldi a conclu un accord au sein du gouvernement pour maintenir ouverts deux réacteurs nucléaires, Doel 4 et Tihange 3. Entre-temps, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) et la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Verts) ont été mandatés par l’équipe fédérale pour négocier un accord avec l’opérateur, le groupe énergétique français Engie. Son principal actionnaire est l’État français.

  • C’est une période faste pour Engie, même s’il a dû avaler la perte de son investissement dans le gazoduc Nord Stream 2 entre l’Allemagne et la Russie : le groupe a enregistré un bénéfice d’exploitation de plus de 3,5 milliards d’euros au premier trimestre. Le fait que les Belges aient réalisé 583 millions d’euros de bénéfices sur trois mois en dit long : les centrales de Doel et de Tihange sont historiquement la plus grosse vache à lait du groupe.
  • Par ailleurs, il est également faux de croire que c’est le riche actionnaire français au cigare qui en a profité, c’est plutôt le citoyen français, Engie appartenant majoritairement à la France : le système français de plafonnement des prix de l’énergie (bouclier énergétique) est tel que les consommateurs belges ont plus que probablement aussi payé pour les bénéfices d’Engie, ce qui a maintenu artificiellement bas le prix pour les consommateurs français. L’effet est déjà là en termes macro-économiques : la France doit faire face à des prix de l’énergie beaucoup moins élevés et donc aussi à une inflation beaucoup moins profonde que la Belgique.
  • De leur côté, les Belges, surtout à gauche, se lèchent les babines devant les énormes bénéfices réalisés par Engie. Cette semaine encore, Paul Magnette (PS) a lancé des propositions visant à taxer les bénéfices excédentaires dans le secteur de l’énergie. Rien de nouveau, car la Vivaldi l’avait promis elle-même. Dans l’hémicycle, la ministre Van der Straeten a clairement indiqué la semaine dernière qu’elle s’attaquerait aux « bénéfices excessifs du secteur de l’énergie ». Mais elle veut d’abord attendre une éventuelle initiative européenne qui s’appliquerait à l’ensemble du secteur. Si cela ne se concrétise pas, elle appuiera sur l’accélérateur belge.
  • Elle a également annoncé que cette taxe s’appliquerait à toutes les parties du secteur de l’énergie, pas seulement à l’énergie nucléaire, mais aussi à l’énergie verte. Un certain nombre de grands parcs éoliens offshore pourraient également compter sur des superprofits, avec les prix exubérants actuels de l’énergie.
  • La question est de savoir si la Vivaldi pourra obtenir quelque chose d’Engie, l’acteur nucléaire. Parce que sa prédécesseure, Marie-Christine Marghem (MR), a « complètement foutu en l’air ce dossier », entend-on dire au sein du gouvernement. Dans le même temps, le géant français de l’énergie oppose une forte résistance.

A noter : depuis Paris, Engie dicte les conditions pour que ses centrales nucléaires restent ouvertes plus longtemps.

  • Les discussions à propos d’une taxe sur les surprofits d’Engie font partie d’un tout : il s’agit surtout de la prolongation du nucléaire. Et sur le règlement de l’héritage du nucléaire, son démantèlement et la gestion de ses déchets, sous la forme du fonds Synatom. Une nouvelle loi est prête à cet effet, ce qui obligerait Engie à économiser des milliards pour la démolition et l’assainissement du nucléaire en Belgique. Mais Engie riposte avec force.
  • Les Français brandissent ouvertement toutes sortes de conditions pour que Doel 4 et Tihange 3 puissent continuer à fonctionner. « Maintenir ces centrales ouvertes plus longtemps est un risque qui va au-delà de celui d’un opérateur privé ». Engie présente immédiatement les raisons pour lesquelles elle exige des « garanties » pour une « répartition équilibrée des risques ». Engie parle d’un « régime d’investissement prévisible et stable » qui doit être « viable ». En outre, l’énergéticien français veut des accords clairs sur la partie peut-être la plus cruciale : le prix de revient du démantèlement des centrales et la gestion des déchets faiblement et hautement radioactifs.
  • Autre menace : Engie continue d’insister sur des délais très longs pour remettre les centrales en service. L’entreprise affirme qu’il lui faudra cinq ans pour y parvenir : ce qui veut dire que les réacteurs ne rouvriraient pas avant 2027. Les hivers 2025 et 2026 seront donc particulièrement difficiles pour l’approvisionnement énergétique belge, selon les Français. Cela sent très fort le chantage : les techniciens d’Engie ont toujours affirmé le contraire. Mais le top management, dont Thierry Saegeman, le PDG de la filiale belge Engie-Electrabel, exprime son désaccord sans sourciller : un jeu de poker menteur.
  • Mais cela montre à quel point la pression est forte sur le ministre de l’Énergie Van der Straeten, et sur le Premier ministre De Croo : la rue de la Loi n’a que peu de sympathie pour une entreprise qui gagne des milliards chaque année sur le dos des consommateurs belges, mais qui, en même temps, exerce un chantage ouvert et brutal sur l’approvisionnement de la Belgique pendant deux hivers.
  • Danser avec le diable, en d’autres termes, où l’on n’est pas sûr qu’il y ait quelque chose à gagner du côté de la Vivaldi. Car les Verts comme les socialistes attendent beaucoup de cette taxe sur l’énergie. Mais de quel levier dispose De Croo pour faire appliquer cela ? Légalement, la négociation ressemble à des sables mouvants.

Par ailleurs : Zuhal Demir, la ministre flamande de l’Énergie, défie le gouvernement fédéral, avec une visite aux Pays-Bas.

  • Zuhal Demir ne recule jamais devant la confrontation. C’est vrai dans le gouvernement flamand, mais aussi au niveau fédéral, qu’elle aime défier. Hier, par exemple, elle a effectué une visite de travail à la centrale nucléaire de Borssele, dans la province néerlandaise de Zélande. Ce réacteur a à peu près le même âge que Doel 1 et Tihange 1, les plus anciens réacteurs belges. Mais les Néerlandais ont décidé l’année dernière de maintenir la centrale opérationnelle jusqu’en 2033. Des réacteurs similaires aux États-Unis ont également bénéficié d’une telle prolongation de la durée de vie.
  • Et donc Demir a relancé le débat, depuis les Pays-Bas : « Le dogme règne sur notre pays, mais heureusement nos voisins du nord ont compris que vous ne pourrez jamais atteindre la neutralité climatique d’ici 2050 sans l’énergie nucléaire. Nous n’avons donc pas d’autre choix que de rendre possibles les investissements dans l’énergie nucléaire. Mais c’est désormais impossible en raison de la loi sur la sortie du nucléaire chez nous, qui reste en place. Cela éloigne les chercheurs et investisseurs potentiels. »
  • « Que Doel 1 ferme, et que cette centrale (à Borssele, ndlr) continue de fonctionner jusqu’en 2033, n’est-ce pas fou ? De plus, le gouvernement néerlandais a récemment lancé des investissements dans de nouvelles capacités nucléaires. C’est ce que nous devrions faire aussi », a déclaré Demir.
  • Soit la même ligne défendue par le président du MR, Georges-Louis Bouchez, qui, au sein du gouvernement fédéral, souhaite prolonger plus de deux réacteurs. Mais le MR reste isolé sur cette question.

Nouvel avis de tempête : la Vivaldi doit reconsidérer sa réforme du travail.

  • Il fallait s’y attendre : les partenaires sociaux, les syndicats et les employeurs n’ont pas réussi à se mettre d’accord pour approuver le « jobs deal » de la Vivaldi. Le gouvernement fédéral doit maintenant se remettre à la tâche. Mais le vice-premier ministre, Pierre-Yves Dermagne (PS), n’a pas l’intention d’abandonner trop vite son plan initial.
  • Les partenaires de la coalition risquent de devoir payer deux fois pour un accord obtenu de haute lutte. La Vivaldi a conclu cet accord à l’automne, il devait permettre de se rapprocher du Graal: un taux d’emploi de 80 %.
  • L’accord distribuait quelque chose pour tout le monde : pour les libéraux, plus de flexibilité dans le commerce électronique, avec du travail facilité en soirée. Pour les socialistes et les écologistes, la semaine de quatre jours, un meilleur statut pour les coursiers indépendants, ou le droit à la « déconnexion », le fait de ne pas avoir à répondre aux e-mails des patrons après une certaine heure.
  • Seulement, l’équipe Vivaldi a immédiatement refilé la patate chaude – le travail de nuit et de week-end – aux partenaires sociaux. Et là, c’était un débat assourdissant. Les employeurs ont estimé qu’il s’agissait d’une charge administrative beaucoup trop lourde et que l’obligation de suivre une formation supplémentaire était également difficile à supporter. Les syndicats, en revanche, ont estimé que la protection sociale n’était pas suffisante, notamment pour les coursiers de Deliveroo.
  • La question est de savoir si la Vivaldi peut continuer sans la bénédiction des partenaires sociaux. Dermagne n’a pas l’intention de le faire, mais pour les libéraux et le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld), il semble important de ne pas laisser leur trophée leur échapper. Sans quoi une nouvelle réforme passerait à la trappe.