Livrer de nouveaux avions de chasse à l’Ukraine ? Pourquoi ça n’est pas si simple

Des voix s’élèvent pour livrer du matériel plus perfectionné et plus conséquent aux Ukrainiens que seulement de l’armement léger. Mais l’impact géopolitique en serait tout autre. Certains pays, comme la Pologne, semblaient prêt à céder leurs avions de chasse soviétiques, mais ont depuis fait machine arrière. Et les USA semblent y voir une limite trop périlleuse à franchir.

Dès les premières heures de son offensive, l’armée russe a frappé la cible la plus logique : les aérodromes militaires ukrainiens, bombardés à coup de missiles afin de détruire au plus vite les avions de chasse du pays et ainsi obtenir une suprématie aérienne au-dessus du théâtre des opérations. Une première action qui a certes causé des pertes, mais qui n’a pas été aussi décisive qu’escomptée : les Ukrainiens, ayant probablement prévu ce genre d’action classique à l’entame d’une guerre, ont su garder une capacité d’envol et de riposte qui a coûté plusieurs appareils à l’envahisseur et qui l’empêche, par sa simple menace, à opérer comme il l’entend.

Naissance d’un as légendaire

Une mauvaise surprise pour les pilotes russes qui a d’ailleurs donné naissance au -probablement mythique- « Fantôme de Kiev » (Ghost of Kyiv), un pilote ukrainien qui aurait abattu à lui seul 5 appareils ennemis dès les premiers jours de l’invasion. Ce qui dans la majorité des aviations lui vaudrait le statut d’as, qui a quasiment disparu (le dernier daterait de 1988) depuis qu’il est devenu rarissime que des aviateurs s’affrontent en duel. Une histoire invérifiable, mais qui fait du bien au moral des défenseurs.

Une DCA qui pique autant qu’elle le peut encore

Mais même cette série de petits succès ne peut empêcher l’usure rapide des moyens aériens ukrainiens : les défenses anti-aériennes du pays piquent encore, mais les Russes s’enhardissent dans leurs bombardements. Dans ce contexte et dès le 27 février, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a laissé entendre que l’UE pourrait fournir de nouveaux appareils à l’Ukraine. mais c’est le genre de plan beaucoup plus simple à dire qu’à faire décoller.

D’abord, les Ukrainiens ont besoin d’avions qu’ils peuvent faire voler et combattre immédiatement, donc idéalement des appareils qu’ils connaissent bien, d’origine soviétique. Or la Pologne, la Bulgarie et la Slovaquie seulement sont encore en possession de Mig-29 liste le site spécialisé Opex360, et ces pays, frontaliers de l’Ukraine, doivent d’abord penser à leurs propres défenses. A moins qu’on ne leur offre en échange des appareils un peu plus modernes – et aux standards de l’OTAN, des F-16 par exemple.

Des Américains et des Polonais fort partants…

Un deal est possible, selon le secrétaire d’État américain Anthony Blinken : « Nous regardons maintenant activement la question des avions que la Pologne pourrait fournir à l’Ukraine et regardons maintenant comment nous pourrions compenser si la Pologne décidait de fournir ces avions. Nous travaillons avec les Polonais sur ce dossier et nous consultons nos autres alliés de l’Otan » a-t-il assuré au Wall Street Journal.

Sauf qu’à aller aussi vite en besogne, le gouvernement polonais semble s’être aperçu qu’il jouait à un jeu potentiellement dangereux. Cela n’a en effet rien d’anodin d’envoyer ce genre de matériel à une autre armée, et la livraison de Mig-29 ne peut se faire aussi discrètement qu’avec des armes individuelles, des munitions, ou de l’équipement humanitaire. Au risque que la Russie le prenne très mal.

Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki a donc prudemment délégué cette responsabilité: « La Pologne n’est pas partie à cette guerre et l’Otan n’est pas partie à cette guerre. C’est pourquoi toute décision de livrer des armes offensives doit être prise par l’Otan tout entière, sur la base d’unanimité. C’est pourquoi nous sommes prêts à donner toute notre flotte d’avions de chasse à Ramstein [Une base américaine en Allemagne], mais nous ne sommes pas prêts à faire quoi que ce soit tout seuls. » Même frilosité soudaine du côté américain, où John Kirby, porte-parole du Pentagone, ne semblait pas emballé à l’idée de voir des Mig-29 polonais sur une base américaine.

… Et puis qui sortent les freins

« Il n’est tout simplement pas clair pour nous qu’il existe une justification substantielle à cela. Nous continuerons de consulter la Pologne et nos autres alliés de l’OTAN sur cette question et les difficiles défis logistiques qu’elle présente, mais nous ne pensons pas que la proposition de la Pologne soit tenable » considère Kirby. Les Américains, en outre, n’ont pas de pilotes formés sur des appareils d’origine soviétique, et il faudrait donc déléguer l’acheminement, ce qui ne plairait guère aux trois pays capables de fournir cette expertise. Car celui qui livrera ce genre de coûteux -et repérable- matériel à l’Ukraine pourrait très bien être considéré comme un cobelligérant par Moscou, qui ferait tout pour empêcher la livraison. Par la menace ou par les armes ; le risque d’escalade serait plus que réel.

Ce genre de livraison pourrait en outre augmenter le risque que les Russes ciblent, par erreur -ou par erreur calculée- des appareils des pays voisins de l’Ukraine, sous prétexte que ses pilotes ont pris un Mig-29 bulgare ou polonais pour un avion ukrainien. La Roumanie a d’ailleurs récemment perdu le contact au-dessus de la mer Noire d’un avion Mig-21, un modèle plus ancien, tandis que l’hélicoptère envoyé à sa recherche s’est écrasé avec ses 7 membres d’équipage. Le pays a considéré que le mauvais temps était responsable de ces deux crashes survenus au début du mois. C’est du moins la version officielle.

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