Des facteurs suspendus pour avoir refusé de livrer un journal pro-Trump: la liberté de la presse est-elle absolue ?

Estimant que le journal véhiculait des idées nauséabondes, deux facteurs ont décidé de ne pas livrer des exemplaires de celui-ci. Un acte de rébellion qui n’a pas plu à leurs supérieurs. Le journal, lui, se retranche derrière la liberté de la presse.

L’histoire se déroule au Canada, mais concerne un journal fondé par des Américains d’origine chinoise: The Epoch Times. Ce journal, clairement marqué à l’extrême-droite, supporte ouvertement Donald Trump. À la suite des élections, il a d’ailleurs vigoureusement soutenu les allégations (non prouvées) de fraude électorale. D’après CBC News, The Epoch Times aurait même dépensé jusqu’à 1,5 million de dollars lors du premier semestre de 2019 en publications pro-Trump.

The Epoch Times a également l’habitude de véhiculer des théories du complot, dont certaines relatives au mouvement QAnon. En outre, le journal s’affiche comme un farouche opposant au Parti communiste chinois. Dans sa dernière édition, il présente le Covid-19 comme étant le ‘virus du PCC’.

La publication indique livrer ‘des nouvelles honnêtes et non censurées aux personnes opprimées par la tromperie et la tyrannie de la Chine communiste’ et se qualifie ‘d’indépendant de toute influence de la part de corporations ou de partis politiques’.

Salaires suspendus

Deux facteurs de Regina, ville de la province de Saskatchewan, au centre du Canada, étaient censés distribuer des exemplaires gratuits de l’édition canadienne de l’Epoch Times dans des boîtes aux lettres de la ville. Mais ils ont refusé de le faire.

‘J’ai récemment refusé de livrer ces courriers haineux qui auraient un effet négatif et diviseur sur quiconque devrait les lire’, a écrit sur les réseaux sociaux Ramiro Sepulveda, facteur canadien d’origine chilienne. ‘Ces formes de propagande ont été utilisées auparavant dans l’Histoire et ont toujours alimenté l’hostilité verbale et physique envers les personnes marginalisées.’

L’autre employée de la poste canadienne qui a refusé de livrer l’Epoch Times est une jeune femme née en Chine. Elle dit s’être sentie mal à l’aise à l’idée de propager un journal pouvant contribuer à une montée du racisme anti-asiatique.

‘Je ne peux peut-être pas empêcher d’autres personnes de livrer ces journaux, mais je peux m’empêcher de faire des choses qui trahissent ma propre croyance’, a confié Linying Su à Radio Canada.

Pour sanctionner ses employés, Postes Canada a décidé de suspendre leur salaire durant trois jours. La société a rappelé qu’elle était ‘obligée de distribuer tout courrier correctement préparé et payé, sauf s’il est considéré comme non postal’. ‘Les opinions que nous pouvons avoir sur le contenu ne changent pas notre obligation de livraison’, a ajouté la société.

Le journal réplique

Face à cette affaire, The Epoch Times a décidé de réagir. Le journal se retranche derrière l’argument de la liberté de la presse.

Le Canada est un pays qui croit en la liberté de la presse, et nous croyons que les lecteurs sont assez sages pour juger d’eux-mêmes de la véracité des nouvelles que nous rapportons’, a écrit Cindy Gu, éditrice de l’édition canadienne du journal, sur son site web.

‘Si la distribution du courrier est laissée à l’appréciation du transporteur individuel en fonction de son impression de « haine », plus personne ne peut faire confiance à la poste’, a-t-elle ajouté.

Quant au fait de distribuer gratuitement un journal à des personnes qui ne l’ont pas demandé, The Epoch Times répond qu’il s’agit d’une ‘pratique courante dans l’industrie de l’information afin de faire croître son entreprise’.

Les autorités refusent de l’interdire

Au printemps dernier, d’autres facteurs canadiens avaient déjà refusé de distribuer The Epoch Times. Un syndicat local avait déposé une requête auprès du gouvernement fédéral, lui demandant un ordre provisoire pour arrêter la livraison du journal. Une demande qui avait été rejetée.

‘Les tribunaux ont déclaré à Postes Canada que son rôle n’était pas de censurer le courrier ou déterminer l’étendue de la liberté d’expression au Canada’, a fait savoir la poste canadienne.

Les syndicats ont assuré qu’ils continuaient de chercher une solution à cette problématique.

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