Evergrande ne peut plus payer ses dettes: la Chine coincée entre sa volonté de faire un exemple et le risque d’implosion

Les défauts de paiement d’Evergrande mettent la Chine devant un problème. La crise du géant peut-elle faire un spillover, créer des émules ailleurs dans l’économie? La Chine ne voudra pas faire de plan de sauvetage, estiment des experts, pour donner une leçon. Quelle marge de manoeuvre a le gouvernement de Xi Jinping entre les deux options?

Pourquoi est-ce important ?

Le secteur immobilier en Chine, c'est 30% du PIB. Evergrande, c'est un des plus grands groupes, avec 200.000 employés, 110 milliards de dollars de ventes en 2020, et possède plus de 1.300 complexes immobiliers dans 280 villes, selon le groupe. Mais depuis le début de la semaine, le groupe est en défaut de paiement d'intérêts sur des prêts, dont la totalité équivaut à 300 milliards de dollars.

La question qui revient souvent, c’est le risque du spillover, le fait que le reste de l’économie chinoise soit contaminée par cette crise. CNN fait le tour de la question. L’État chinois estime qu’il n’y a pas de risques, ou du moins en minimise l’importance.

Selon Craig Singleton, spécialiste de la Chine pour la Foundation for Defense of Democracies, un centre d’études américain, « les circonstances concernant les difficultés d’Evergrande posent des questions très sérieuses sur la gestion de Xi Jinping vis-à-vis d’une économie chinoise qui se refroidit vite. »

Un « échec » pour le géant, pour l’Etat, et pour l’image de l’économie chinoise à échelle mondiale que l’Etat voudrait laisser paraître? Il y a déjà de nombreuses preuves qui montrent que l’Etat veut intégrer la société pour restructurer la dette et les opérations économiques tentaculaires du groupe.

  • Le gouvernement régional de Guangdong, province où se trouve le siège social du groupe, disait déjà la semaine dernière envoyer ses fonctionnaires pour superviser les risques, et maintenir les opérations. Cette semaine, Evergrande disait constituer un groupe de gestion des risques, contenant des officiels de l’autorité et d’entreprises publiques, pour se pencher sur les risques futurs.
  • L’autorité prend-elle les risques d’un spillover plus au sérieux? En début de semaine, la Banque centrale affirmait vouloir injecter 188 milliards dans l’économie, notamment pour contrer la crise de l’immobilier. Pour Singleton, ces deux éléments montrent que la Chine accepte, à contrecoeur, que le géant est trop grand pour échouer.

Donner une leçon aux promoteurs et aux investisseurs étrangers

Les investisseurs étrangers qui détiennent des obligations vont sûrement devoir prendre leur mal en patience, analyse CNN, et voir leurs investissements leur filer entre les doigts. La priorité de l’État chinois sera les acheteurs chinois et leurs appartements pas encore terminés, ainsi que les travailleurs et les fournisseurs.

Et la Chine va aussi vouloir limiter les risques pour les autres entreprises du secteur : avec la crise d’Evergrande, les coûts pour un financement peuvent augmenter, car le rendement international sur les dettes chinoises est en train d’augmenter. Si ce rendement augmente, cela veut dire que les investisseurs demandent plus d’intérêts, et donc les autres entreprises doivent au final payer plus cher pour un prêt.

Louis Kuijs, spécialiste pour l’Asie auprès d’Oxford Economics, estime que cette crise est tout de même un moment opportun pour l’Etat chinois de donner une leçon. Depuis plus d’un an, l’Etat essaie de faire comprendre à ces entreprises que leurs dettes sont excessives. Donc avec Evergrande, l’Etat peut faire une pierre deux coups : montrer et aux entreprises et aux investisseurs étrangers qu’ils ont été trop loin. Surtout que selon plusieurs experts cités, la Chine ne compte pas proposer de plan de sauvetage, mais mener le groupe à une sortie de la dette via ses activités économiques.

Quels risques de spillover?

Pour Louis Kuijs, il s’agit d’une balance délicate. D’un côté, laisser Evergrande « échouer », mais d’un autre côté minimiser les risques d’impacts de cet échec sur d’autres pans de l’économie. D’autres promoteurs immobiliers, comme Kaisa, sont aussi en défaut de paiement. Aussi, pour la première fois en six ans, les prix de l’immobilier en sont en baisse pour le deuxième mois de suite, selon des statistiques officielles.

La crise du secteur, avec d’autres facteurs, pourrait tirer la croissance chinoise vers le bas, l’année prochaine, jusque 4,3%, analyse Ting Lu, spécialiste pour la Chine auprès de Nomura. Pour l’ensemble de l’année 2021, cette entreprise spécialisée en finances et investissement prévoit 7,8% de croissance. Sur le long terme, la Chine veut diversifier son économie, et ne plus concentrer une part trop importante du PIB sur l’immobilier ; elle ne devrait donc pas trop intervenir financièrement dans cette crise, estime-t-il encore.

Pour Louis Kuijs, l’État concentrerait ses aides financières sur les propriétaires, d’autres promoteurs ou encore des banques exposées aux risques, notamment avec des allègements fiscaux ou des règles plus souples pour lever des fonds, pour éviter des effets de ricochet dans le système financier entier.

Mais pour cet expert, les risques d’un impact sur l’économie générale sont bien réels. La Banque centrale peut sans doute les impacts financiers de défauts de paiement, mais elle ne pourra pas compenser l’impact des difficultés du marché immobilier sur l’économie réelle de la Chine, analyse-t-il.

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