Comment la Russie s’approprie le champagne

Vladimir Poutine veut réserver l’appellation « champagne » à des mousseux produits en Russie. Un affront pour les producteurs français, qui vont devoir changer leurs étiquettes s’ils veulent conserver le marché russe.

La Russie et l’art de vivre à la française, c’est une longue histoire d’amour, mais elle ne manque pas de coups un peu vaches. Depuis ce vendredi, une nouvelle réglementation sur les boissons alcoolisées est d’application dans le pays. Sauf que selon ce texte, l’appellation « champagne » ne pourra plus être arborée que par les producteurs russes ! Les bouteilles venues d’autres pays devront se contenter d’appellations de type « vin à bulle » ou « vin mousseux ». Pour la France, patrie de la véritable méthode champenoise, c’est un innommable sacrilège autant qu’un terrible manque à gagner.

Patrimoine viticole

On l’oublie parfois, mais la vieille Russie est depuis longtemps une terre de vignes, dans le Caucase et sur les bords de la mer Noire, entre autres. C’est même sans doute de cette région qu’est originaire le raisin et sa culture. Au XIXe siècle, les Tsars cherchent à produire des alcools de luxe équivalents en qualité à ceux du terroir français, des vins, mais aussi des équivalents du cognac dans les actuelles Arménie et Moldavie. Mais ce patrimoine viticole faillit disparaître dans les flammes de la révolution bolchévique. Jusqu’à être totalement galvaudé: dans les années 1930 apparait le « Champagne soviétique« , produit en masse sous l’impulsion de Staline, qui veut en faire un produit accessible à tous et un symbole de la supériorité du communisme sur l’occident capitaliste.

Une appellation qui fait grincer des dents les producteurs de vrai champagne, d’autant plus quand, après la chute de l’URSS, différents producteurs de l’ancien bloc de l’est reprennent ce nom, au mépris total des normes d’appellation d’origine contrôlée (AOC). Là encore, le champagne n’est pas le seul breuvage concerné : l’Arménie et la Géorgie restent très attachées à leur « cognac », d’ailleurs réputé, et refusent de le rebaptiser « brandy », le terme générique pour ce genre d’alcool. La décision de Vladimir Poutine de réserver le mot champagne à des mousseux nationaux est un camouflet au régime AOC, et un rejet des négociations précédentes sur ce sujet.

Quoiqu’en pensent les producteurs français, ils vont devoir s’adapter s’ils veulent rester présents sur le marché russe. La société Moët-Hennessy a d’abord menacé de suspendre ses exportations vers le pays. Avant d’assurer qu’elles reprendraient « dès que possible »… Le temps de rendre son marketing conforme aux nouvelles normes russes. « Les Maisons de Champagne de Moët Hennessy ont toujours respecté la législation en vigueur partout où elles opèrent et reprendront les livraisons au plus vite le temps d’effectuer ces ajustements », a indiqué, dans un communiqué, Moët Hennessy qui regroupe un ensemble de marques de champagnes, spiritueux et vins.

Les prestigieuses bouteilles françaises réapparaitront donc bientôt chez les cavistes russes, mais avec de nouvelles étiquettes avec, au dos de la bouteille, la mention « vin pétillant » en russe. Sans cela, les bouteilles pourraient être considérées comme des contrefaçons. Une opération qui coûtera plusieurs millions de roubles, selon le quotidien économique Vedomosti. Qui rappelle aussi que 13% des 50 millions de litres de mousseux et champagne importés chaque année en Russie viennent de France.

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