Depuis le début de la pandémie de coronavirus, la Chine fait tourner sa machine à fake news à plein régime. Sa nouvelle idée en date: relayer les dires d’un biologiste suisse qui n’existe pas. L’Etat helvète a décidé de désamorcer la bombe, tout en délicatesse.
Avec le retour du spectre du coronavirus en Chine provoqué par l’arrivée du variant Delta dans le pays, la Chine a redoublé ses efforts pour charger les États-Unis. A coups d’une usine à désinformation dirigée par ses dirigeants politiques, elle ressort sa théorie selon laquelle le Covid-19 serait initialement sorti de l’Institut de recherche médicale sur les maladies infectieuses de l’armée américaine, situé à Fort Detrick, dans le Maryland.
Les Etats-Unis, et le monde occidental en général, sont habitués à ces attaques contre lesquelles ils ne peuvent pas faire grand chose. Mais l’une des fake news chinoises de la semaine est parvenue à faire réagir la Suisse, via son ambassade à Pékin.
Un biologiste suisse nommé Wilson Edward
La semaine dernière, le Quotidien du Peuple, le journal officiel du Parti communiste chinois, a publié un article titré comme suit: « Les États-Unis tentent de renverser le rapport, faisant de l’OMS un outil politique ». Le papier se base sur des captures d’écran du compte Facebook d’un certain Wilson Edwards, qui prétend avoir grandi et vivre à Berne. Son auteur le présente comme un biologiste travaillant en Suisse.
Sur son mur Facebook, ce M. Edwards déplore le fait que les États-Unis mettent la pression sur l’OMS pour que celle-ci charge la Chine dans le cadre de l’origine du coronavirus.
« Les sources de l’OMS m’ont dit que les États-Unis sont tellement obsédés par l’idée d’attaquer la Chine sur la question de la recherche des origines qu’ils sont réticents à ouvrir les yeux sur les données et les résultats », écrit notamment M. Edwards sur Facebook.
L’information a eu tôt fait d’être reprises par les plus grands médias étatiques chinois, y compris par le Global Times, de langue anglaise, connu pour refléter l’opinion du Parti communiste chinois. Sur les réseaux sociaux chinois, l’information a rapidement fait le buzz.
« Si vous existez, nous serions ravis de vous rencontrer ! »
Face à l’ampleur prise par la rumeur, l’ambassade suisse en Chine a décidé d’intervenir, sur Twitter. Pour ne pas heurter la sensibilité des responsables chinois, elle a choisi la manière douce, voire même humoristique.
« A la recherche de Wilson Edwards, présumé biologiste suisse cité dans la presse et les réseaux sociaux en Chine ces derniers jours. Si vous existez, nous aimerions vous rencontrer ! Mais il est plus probable qu’il s’agisse d’une fausse nouvelle, et nous appelons la presse chinoise et les internautes à supprimer les messages », a-t-elle tweeté.
L’ambassade a également débunké la fake news en trois points. De une, il n’y a aucune trace d’un Wilson Edwards dans le registre des citoyens suisses. De deux, il n’existe aucun article académique dans le milieu de la biologie signé avec ce nom. De trois, le compte Facebook de M. Edwards a été créé le 24 juillet 2021, soit le jour où il a publié ses critiques envers les USA. De plus, il ne compte que trois amis. « Il est probable qu’il n’ait pas été ouvert à des fins de réseautage social », ajoute l’ambassade.
Ne souhaitant pas se mettre Pékin à dos, l’ambassade suisse conclut en disant que le partage de cet histoire par les médias et les internautes chinois était de bonne foi, tout en demandant la suppression des messages.
Message reçu cinq sur cinq par le Global Times et le Quotidien du Peuple, qui ont supprimé leurs articles ce mercredi. Curieusement, le profil Facebook de M. Edwards a lui aussi disparu.
La Chine s’oppose à l’OMS
Cette fake news chinoise s’inscrit dans un contexte pour le moins tendu. L’OMS a longtemps semblé clémente envers Pékin. L’équipe de scientifiques qu’elle avait envoyée à Wuhan en début d’année avait conclu que le coronavirus était plus que probablement d’origine animale, et avait presque totalement écarté la piste d’une fuite d’un laboratoire de l’Institut de virologie de la ville.
Lorsque l’OMS avait publié son rapport, avec beaucoup de retard, de nombreux experts occidentaux avaient remis en doute sa fiabilité. Pour eux, il était clair que Pékin avait mis la pression à l’agence onusienne pour que la Chine et ses responsables en ressortent blanc comme neige.
Cependant, la donne est en train de changer. Au printemps, Joe Biden et son entourage ont remis l’hypothèse d’un incident de laboratoire sur le devant de la scène, reprenant, avec beaucoup plus de nuance, les accusations faites par Donald Trump en son temps. Les services de renseignement américains ont été mandatés pour mener leur propre enquête sur l’origine du coronavirus. Les résultats sont attendus pour la fin du mois d’août.
Dans le même temps, l’OMS semble avoir changé son fusil d’épaule. Son patron, Tedros Adhanom Ghebreyesus a récemment admis que les accidents de laboratoire « pouvaient arriver » et qu’ils étaient même « courants ». L’agence a demandé à la Chine de pouvoir mener une deuxième enquête sur ses terres, ce à quoi elle s’est vivement opposée.
Enfin, il y a dix jours, les Républicains américains ont eux aussi publié un rapport sur le sujet. D’après eux, il est évident que le Covid-19 s’est répandu partout dans le monde à cause d’un accident de laboratoire à Wuhan. Ils ont d’ailleurs livré plusieurs « preuves » pour étayer leurs accusations.
Pour aller plus loin:
- ‘Le Covid-19 est sorti d’un laboratoire’: un des plus hauts responsables américains de la lutte contre le coronavirus brise la glace
- Une responsable du laboratoire de Wuhan répond aux accusations: ‘Comment prouver quelque chose pour laquelle il n’y a pas de preuve?’