« Bring Ya Ya home » : comment la diplomatie des pandas de Pékin a viré au discours nationaliste et nourrit la défiance envers les USA

Dans une époque pas si lointaine où l’heure était à la normalisation des relations entre la Chine, alors puissance économique montante, et les pays occidentaux, la bonne entente était souvent symbolisée par le prêt de pandas. Un animal de prestige, symbole de l’Empire du Milieu, que tous les zoos s’arracheraient s’il n’y en avait pas si peu. Depuis, Pékin opte pour la démarche inverse et n’hésite pas à rapatrier les ursidés selon les circonvolutions géopolitiques.

C’était une indignation qui, en Chine, courait depuis 2021 : des allégations de maltraitance circulaient à l’égard de Ya Ya, une femelle panda pensionnaire du zoo de Memphis, aux USA. L’ourse bicolore était apparue amaigrie sur les photos de certains visiteurs, le pelage terne et emmêlé. De quoi lancer un débat sur le rapatriement de l’animal malgré les négations du zoo alors que, coïncidence, les relations sino-américaines prenaient un tour de plus en plus froid.

Affaire d’État pour deux pandas

Le conflit a pris un nouveau tour cette année, quand Le Le, le mâle de Ya Ya, est soudainement décédé, apparemment d’une crise cardiaque, ce qui n’a fait que nourrir les suspicions de maltraitance, malgré un diagnostic confirmé par une équipe de médecins légistes chinois envoyée spécialement sur place. Les internautes chinois se sont mobilisés pour ramener le panda à la maison le plus rapidement possible, en signant des pétitions, mais aussi en suivant ses moindres faits et gestes sur les panda-cams du zoo. Des Chinois vivant aux États-Unis se sont également relayés pour lui rendre visite et partager des informations sur son état de santé, rapporte CNN. L’affaire du panda de Memphis est devenue une affaire d’État.

Une affaire qui a trouvé son dénouement ce jeudi : la Chine a finalement décidé de rapatrier en avance son panda. Le couple était aux États-Unis depuis 2003, pour un bail de 20 ans qui devait donc s’achever à la fin de cette année. Mais face à l’inquiétude populaire, les autorités chinoises ont décidé de hâter le retour de Ya Ya. Un avion FedEx spécial « panda express » a été affrété pour la rapatrier à Shanghai jeudi dernier, après trois mois de houleuses négociations. Indépendamment des polémiques humaines, on ne peut que lui souhaiter de finir ses jours heureuse.

Un vieil animal atteint de soucis génétiques

Car c’est là le sel de cette polémique : à 22 ans, Ya Ya est un vieil animal. En captivité, les pandas vivent entre 20 et 25 ans, avec un record absolu de 38 ans détenu par Jia Jia, une femelle hébergée à l’Ocean Park de Hong Kong et décédée en 2016. Dans la nature, leur espérance de vie est estimée à une quinzaine d’années. Cela peut expliquer son état quelque peu décrépi sur certaines photos. En outre, le zoo de Memphis s’est défendu, dès 2019, de tout mauvais traitement en rappelant que Ya Ya était effectivement de constitution assez fine pour une femelle adulte. Elle souffre en outre d’une perte de poils causée par une maladie de peau, d’origine génétique et difficile à soigner. Mais les experts chinois qui ont pu l’examiner disaient eux-mêmes qu’elle restait vive pour son âge, et que son poids était stable et satisfaisant.

L’enjeu de ce rapatriement est donc avant tout politique : alors que Pékin distribuait les pandas comme cadeaux de prestige à l’international, elle rappelle ainsi que ces animaux restent des propriétés chinoises qui peuvent être reprises. En outre, les internautes chinois, sur des réseaux sociaux nationaux et très contrôlés comme Weibo, n’ont pas manqué de comparer l’allure de Ya Ya avec celle des pandas du zoo du Moscou, ronds et au pelage éclatants comme on l’attend de ces ursidés.

Pékin prête, et parfois reprend

Mao Ning, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a toutefois calmé le jeu en déclarant mercredi que Ya Ya et Le Le avaient été « bien soignés » par le zoo de Memphis et « aimés par le peuple américain » : « La Chine est prête à continuer à travailler avec d’autres partenaires, y compris les États-Unis, pour contribuer à la conservation des espèces menacées. » Politiquement, économiquement, ça ne change rien au bras de fer sino-américain. Mais l’Empire du Milieu est assez en confiance pour prendre des mesures à la charge symbolique importante. Dans d’autres pays qui se sont vu confier des pandas après de longues négociations, comme la Belgique à Pairi Daiza, ce genre de précédent à de quoi faire froid dans le dos. Car la présence de pandas est un enjeu économique majeur et un gage de qualité, pour ce genre de lieu de loisirs. Leur perte, pour une raison ou une autre, serait la pire des publicités.

Plus