« Se passer du gaz russe d’ici l’hiver prochain est possible, mais il faudra en assumer le coût »

La question peut paraître légère alors que, depuis ce dimanche, le président russe augmente la pression internationale en jouant sur la menace nucléaire. Mais il ne faut pas oublier que son levier diplomatique le plus efficace reste la vanne de gaz. On peut donc se demander comment l’UE pourrait se préparer si, pour répondre aux sanctions économiques qui accablent son pays, Vladimir Poutine nous coupe complètement de cette source d’énergie.

L’hiver 2021-2022 qui touche lentement à sa fin restera dans les mémoires comme une période difficile pour l’Europe occidentale. Non pas que les températures soient particulièrement rigoureuses, mais la saison a coïncidé avec une pénurie de gaz, qui s’est combinée à la reprise économique post-pandémie pour provoquer une terrible hausse des prix.

Se préparer dès maintenant à la fermeture des vannes

Or la Russie reste le principal exportateur de gaz vers l’Europe : le pays fournit 40% de la consommation du continent, avec des variations qui vont de 55% en Allemagne à 80% pour la Pologne, voire même 90% pour les pays baltes. Maintenant que l’invasion de l’Ukraine a irrémédiablement dégradé les relations entre l’UE et Vladimir Poutine, cette source risque bien de se tarir. Or, selon le think tank européen Bruegel, l’Europe peut supporter un hiver prochain sans gaz russe, mais pour y parvenir elle doit s’y préparer dès maintenant.

« Si l’UE est contrainte ou disposée à en assumer le coût, il devrait être possible de remplacer le gaz russe dès l’hiver prochain sans que l’activité économique soit dévastée, que les gens aient froid ou que l’approvisionnement en électricité soit perturbé », ont déclaré les chercheurs de Bruegel. « Mais sur le terrain, il faudra réviser des dizaines de règlements, revoir les procédures et opérations habituelles, dépenser rapidement beaucoup d’argent et prendre des décisions difficiles. »

Approvisionnement assuré pour l’été

Grâce aux importations record de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance de pays tels que les États-Unis ou le Qatar, l’Europe devrait être en mesure de passer l’été sans connaître de graves pénuries, même si la Russie interrompt intentionnellement ses approvisionnements en gaz – ou si des infrastructures clés sont endommagées en Ukraine. Mais dans son dernier rapport, repris par CNN, Bruegel enjoint l’UE à se constituer dès maintenant des réserves stratégiques. L’Union devrait aussi penser de suite à diminuer sa consommation, de l’ordre de 400 terawatt-heures, soit approximativement 10 à 15% de sa consommation annuelle. Le groupe Bruegel estime cela réalisable, à condition que la volonté politique suive dans chaque pays, et qu’elle impose aux grands groupes industriels de limiter leurs besoins.

Option nucléaire, voire charbonnière

Parmi les options possibles pour contrebalancer la perte de l’approvisionnement russe, le think tank liste diverses mesures envisageables à court terme, comme le report de la sortie progressive de la filière nucléaire dans des pays tels que l’Allemagne ou la Belgique. Mais le recours à des carburants de substitution tel que le charbon a aussi été avancé, ce qui aurait des conséquences catastrophiques sur les efforts de transition écologique de l’Europe.

Ce scénario, dans lequel la Russie fermerait totalement les vannes, suppose également que l’UE « puisse se procurer des quantités sans précédent de gaz naturel, que les acteurs du marché soient suffisamment incités à acheter et à stocker le gaz à des prix élevés et que le gaz soit ensuite distribué de manière transparente dans tous les pays. »

Les principaux exportateurs alternatifs de GNL sont l’Australie, le Qatar et les États-Unis. En 2021, les États-Unis ont augmenté leurs exportations de 340 TWh et devraient devenir le plus grand producteur de GNL d’ici la fin de l’année. Mais la demande continue d’augmenter, en particulier en Asie, et les prix risquent donc de continuer à suivre alors qu’ils ont déjà plus que doublé entre décembre 2020 et décembre 2021.

Reste à équiper les pays européens de terminaux GNL pour transformer le gaz liquéfié en gaz naturel, pour ensuite le redistribuer partout sur le continent. Là encore, il s’agit d’un grand défi. Car si la Belgique est très bien équipée à Zeebruges, ce n’est pas le cas de l’Allemagne qui ne dispose d’aucun terminal. Elle prévoit désormais d’en construire deux de grande ampleur, mais cela devrait prendre plusieurs années.

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