Faute de pouvoir construire une nouvelle vie en Occident, les Russes exilés retournent au pays

Partis parfois en urgence, les Russes en exil se retrouvent souvent fort démunis, sans travail à l’étranger. Ils sont relativement nombreux à retourner au pays, au moins pour un temps. Ce qui profite bien au narratif du Kremlin.

Pourquoi est-ce important ?

Plus de 820.000 personnes ont quitté la Russie depuis février 2022, selon une étude de Re:Russia, un site internet géré par des universitaires exilés. Ce sont majoritairement les jeunes urbains, plus aisés et éduqués que la moyenne, qui ont fait le choix du départ. Mais face à une crise Est-Ouest qui s'éternise et à un régime qui reste en place au Kremlin, certains doivent se résoudre à rentrer. Combien ? Difficile à dire. Quant au pourquoi, il oscille entre raisons économiques, désillusions, et réel péril ailleurs.

L’étrange exil des Russes

Selon la propagande du Kremlin, la moitié des Russes partis à l’étranger pour fuir la guerre est déjà rentrée au bercail. Une déclaration qui grossit largement le trait, selon une enquête du Financial Times.

  • Le mouvement migratoire venu de Russie est le plus grand exode qu’a connu le pays depuis la dissolution de l’URSS. Mais il est difficilement comparable aux autres vagues récentes de départs dans le monde, pour causes économiques ou politiques.
  • C’est pour ça que l’Institut Universitaire Européen de Florence étudie de près le phénomène dans toute une série d’enquêtes. Celles-ci permettent d’estimer qu’environ 15% des Russes interrogés étaient rentrés en Russie. Attention que ces enquêtes européennes ne portent pas sur la totalité des exilés à l’échelle mondiale. Bien moins que les 50% de Poutine donc, même si ça n’est pas négligeable.
  • Attention qu’il ne s’agit pas toujours de retours permanents. Beaucoup reviennent pour arranger leurs affaires ou gérer leur patrimoine, avec l’espoir de repartir très vite.
  • De manière générale, ceux qui sont partis pour des raisons politiques – avant la guerre ou au tout début – reviennent moins au pays que ceux qui ont fui la vague de mobilisation de l’automne dernier. Depuis, Poutine a promis qu’il n’en aurait pas de seconde.
  • La principale raison avancée pour un retour reste cependant la difficulté de se construire une nouvelle vie ailleurs, en particulier financièrement.

Qualité de vie et besoin de normalité

« Ce n’est certainement pas une migration économique au sens classique du terme. Ce sont des gens qui étaient des spécialistes très compétents en Russie et qui perdent maintenant de l’argent, le statut… Pour beaucoup, la qualité de vie diminue à l’étranger. »

Une occasion que la propagande du Kremlin n’a donc pas manqué de saisir. Vyacheslav Volodin, président de la Douma d’État russe, a même affirmé que le président tchèque Petr Pavel voulait placer les émigrés russes dans des « camps de concentration ». C’est bien sûr une interprétation très libre des paroles malheureuses de Pavel sur la « surveillance » des citoyens russes par ses services de sécurité. Mais le mal est fait, et permet de brocarder encore plus l’Occident comme un ennemi de la Russie. Ce qui permet aussi au pouvoir de présenter un modèle de normalité à la portion de sa population qu’elle tente de tenir éloignée de la guerre : les urbains aux moyens élevés. Ceux-ci sont notoirement épargnés par les campagnes de recrutement.

Plongés dans d’autres conflits

  • Pourtant, les Russes qui rentrent au pays ne reviennent pas forcément d’Europe. La majorité des exilés sont partis vers d’anciens pays du bloc soviétique, comme l’Arménie, la Géorgie, ou le Kazakhstan, pour lesquels ils ne nécessitent pas de visas. D’autres, au moins 35.000, ont choisi Israël.
  • Pour ces derniers, la question du retour se fait d’autant plus pressante qu’ils ne se sentent plus en sécurité dans l’État hébreu, parti dans une guerre contre le Hamas.
  • C’est aussi le cas de ceux partis en Arménie, en prise avec l’Azerbaïdjan. Et de manière générale, le sentiment anti-russe grandit, dans le Caucase. Pour le faible soutien de Moscou à Erevan, mais aussi, en Géorgie, car une partie du pays se trouve toujours occupée par la Russie.
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