Que faut-il comprendre du revirement politique de Jean-Luc Crucke (MR) ?

Jean-Luc Crucke ne deviendra pas membre de la Cour constitutionnelle, une annonce surprise ce mercredi, dans La Libre. L’ancien ministre des Finances de la Wallonie veut rester en politique et pousse à la création d’un nouveau mouvement politique autour du « climat ». Un « regroupement » de personnalités politiques issues des partis démocrates. Un mouvement progressiste, aussi, en opposition à la ligne qu’il juge plus conservatrice du MR. Entre les lignes, on comprend que Jean-Luc Crucke se repositionne pour proposer une opposition à Georges-Louis Bouchez.

Dans l’actu: Jean-Luc Crucke n’en a pas fini avec la politique. Une réflexion qui aura duré 6 mois après son éviction du gouvernement wallon.

Le détail : le président Georges-Louis Bouchez fait toujours face à une résistance interne au sein de son parti.

  • Ne dites pas parti, « l’expression est désuète ». Jean-Luc Crucke ne veut pas ajouter un parti de plus, mais veut une « recomposition » du spectre politique belge. Après avoir sondé des membres au sein de son parti, et suite à de « nombreuses » réactions de citoyens qu’il a reçues, l’ancien maître des chiffres wallon se relance en politique. Il veut un regroupement autour de la question climatique. « Un espace de travail commun entre les démocrates de ce pays (…). Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’un rassemblement de forces politiques démocrates et progressistes », explique-t-il à La Libre. L’aboutissement de ce mouvement pourrait porter le nom de C.L.E.S pour « cercles libéraux écologiques et sociaux ».
  • Dans le même temps, assez étrangement, Jean-Luc Crucke restera député sous la bannière MR. « Je suis un libéral réformateur, je dirais même un libéral progressiste. Simplement, après avoir réfléchi, je me suis dit qu’il y avait beaucoup de boulot à faire dans les domaines social et de l’écologie, où les enjeux et les risques sont majeurs », précise-t-il dans Le Soir.
  • Le toujours libéral dit ne pas avoir pour objectif « de redevenir ministre ou de devenir Premier ministre », avance-t-il. Mais alors que veut-il exactement ?
  • Dans sa démarche, on peut entrevoir deux chemins. Soit il parvient à réellement convaincre des personnalités politiques transpartisanes et à les rassembler autour du nouveau mouvement plus centriste, ce dont on doute (qui convraincre au-delà des déçus d’Ecolo ?). Soit il crée une alternative plus sociale et progressiste au sein de son parti en vue de concurrencer Bouchez.
  • Le Wallon l’avoue lui-même à demi-mot: « A ce stade je ne suis pas candidat officiel à la présidence du MR (…). Toutefois, il ne faut absolument rien exclure. Rien n’est impossible. Lorsque des élections internes auront lieu, ce que j’espère, les pendules seront remises à l’heure. »
  • En attendant, un nom circule pour remplacer Crucke à la Cour constitutionnelle: celui de Philippe Goffin, ancien ministre des Affaires étrangères sous Wilmès I.

L’essentiel : le plan anti-Bouchez revient par une autre porte.

  • La bonne entente affichée entre Crucke et Georges-Louis Bouchez, lors de la démission du premier, était feinte, ça sautait déjà aux yeux à l’époque. « Une décision de commun accord » qui cachait du ressentiment, du ministre envers son jeune président.
  • Il l’a explicité ce mercredi sans détour dans La Libre: « Ce qui est vrai, et c’est un secret de Polichinelle, c’est que Georges-Louis Bouchez et moi sommes en désaccord sur un certain nombre de projets. Malheureusement, chez lui, la forme tue souvent le fond. Les mots sont dangereux. Quand on s’exprime, quand on tweete, quand on envoie un truc à la figure de l’autre, cela peut blesser. Et modestement, pas seul mais avec d’autres, je pense que je peux représenter aussi au sein du Mouvement réformateur cette sensibilité du libéralisme social, du libéralisme progressiste. » On pourrait y ajouter aussi une ligne plus régionaliste que la ligne belgiciste du Montois.
  • Plus qu’une alternative progressiste, ne s’agit-il pas avant tout d’un plan anti-Bouchez ? On se souvient qu’en janvier dernier, Denis Ducarme, adversaire battu à la présidence du MR, avait déjà lancé ce ballon d’essai. Même si la combinaison des mots « progressiste » et « Ducarme », avait fait « pleurer de rire » un élu libéral anonyme, qui commentait la tentative.
  • On peut estimer la démarche de Crucke un peu plus sincère. La Liégeoise Christine Defraisne est aussi souvent citée parmi les personnalités libérales en désaccord avec le président. D’autres députés comme Caroline Taquin (députée fédérale et bourgmestre de Courcelles) et Nicolas Tzanetatos (député wallon) avaient aussi été cités par Ducarme à l’époque.
  • Que pense Georges-Louis Bouchez de cette nouvelle fronde ? Interrogé ce matin sur Bel-RTL, le président des libéraux francophones souhaite à Crucke « le meilleur dans sa tâche de député ». Un désaccord profond entre les deux hommes ? GLB botte en touche: « Toutes ces choses ne m’intéressent pas beaucoup. (…) Toutes ces choses agitent un peu le petit monde politique. Mais pas moi. Il fait partie de nos 20 députés au Parlement de Wallonie et j’espère qu’au même titre que tous les autres, il s’inscrira dans la démarche de groupe avec un travail efficace dans l’intérêt général. Jean-Luc Crucke devra s’inscrire dans la démarche de groupe. » Dans le cas contraire, sera-t-il exclu ?
  • Les reproches contre le président du MR ne se font pas que sur la forme. On sait que son style, toujours dans la confrontation, irrite. Mais il y a plus: récemment, sa décision d’aller débattre avec l’extrême droite, son opposition à l’Open VLD sur l’interdiction de la publicité pour les jeux de hasard, et plus globalement, son manque de loyauté envers la Vivaldi sont des sources de conflit, y compris en interne. On n’oubliera pas non plus les menaces d’exclusion périodiques de l’une ou l’autre majorité dont a fait l’objet le MR.
  • Mais pour l’heure, le Montois semble bénéficier de plus de soutiens que d’opposants au sein de sa formation. Aussi, il n’y a pas péril en la demeure tant qu’il est soutenu par le clan Michel. Seul l’avenir nous dira si l’impulsion de Crucke se transformera en schisme ou sera tuée dans l’œuf. D’ici là, GLB devrait rester en place jusqu’en 2023 et la fin de son mandat.
  • Mais la grande question qui traverse le MR est aujourd’hui la suivante: si l’on exclu d’office le PTB, qui, parmi le PS, Ecolo et Les Engagés, voudrait former une coalition avec le MR de Bouchez en 2024 ? Les sondages ne montrent pas pour le moment un MR indispensable.

Au fédéral: un accord sur une grande réforme fiscale semble très hypothétique. Mais qui y croit vraiment ?

  • Le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), prépare toujours sa grande réforme fiscale en coulisse. Il veut trouver un accord de principe avant l’été. Sa réforme se base sur deux grandes idées : une simplification des régimes fiscaux et un déplacement des charges sur le travail vers le capital. « Un impôt plus juste » et plus progressif sur le dos « des épaules les plus larges ».
  • Le chemin est connu. D’ailleurs tous les partis parlent de cette fameuse classe moyenne trop riche que pour bénéficier des aides de l’État, et pas assez riche que pour ne pas ressentir de plein fouet l’inflation. C’est elle qui est dans le viseur des partis de la Vivaldi.
  • Chaque fuite de cette réforme fiscale ou de sa préparation au sein d’un groupe d’expert, fait l’objet d’un rejet. Que ce soit par le MR, dont le président s’est déjà opposé publiquement à la fin de l’avantage fiscal pour le foot professionnel, et qui aujourd’hui flingue dans l’Echo de nouvelles propositions de Van Peteghem. Le ministre des Finances voudrait allonger à 10 ans les délais de prescription en matière fiscale au lieu de 3 actuellement. Georges-Louis Bouchez s’y oppose et va même plus loin: il veut mettre fin à la jurisprudence Antigone. Il s’agit d’une décision de la Cour de cassation qui a jugé que le fisc pouvait justifier une imposition sur des éléments de preuve irrégulièrement obtenus.
  • « En Belgique, un braqueur de banque a plus de droits qu’un contribuable », a réagi Bouchez sur Bel-RTL. Le libéral veut éviter de faire du fisc « une sorte de Stasi ». Et que l’institution « puisse tout connaître de votre vie ».
  • « Aujourd’hui, la réalité, c’est que l’administration fiscale est une administration qui peut obtenir toutes les informations sur vous, que vous soyez coupable ou non. Dans un État de droit, ça ne va pas », a ajouté le libéral.
  • À gauche aussi, du côté du PS, l’une ou l’autre fuite avait déjà provoqué une réaction épidermique: notamment l’augmentation de la TVA de 21 à 22%, la fin des chèques repas, ou encore, la taxation des allocations familiales. 

Le contexte: chaque proposition se heurte au clivage gauche-droite au sein de la Vivaldi.

  • Faire bénéficier à l’État de nouvelles ressources pour soutenir par exemple les mesures de pouvoir d’achat ne pourra jamais faire l’objet d’un accord entre la gauche et la droite. Car la méthode pour y arriver est diamétralement opposée.
  • Quand la gauche – PS et Ecolo – appelle à une taxe sur le 1% des plus riches pour récupérer plusieurs milliards d’euros, le MR répond par « aucune nouvelle taxe, c’est dans l’accord de gouvernement ». Un accord sujet à interprétation, bien sûr, puisque ce même accord précise « sauf dans le cadre d’une grande réforme fiscale ». Une nouvelle taxe a d’ailleurs déjà été entérinée avec la taxe sur les comptes-titres, une première victoire pour la gauche en début de législature.
  • Mais le PS et Ecolo ont récemment mis sur la table leur liste de souhaits ou « catalogue des horreurs » selon le côté où l’on se place sur le spectre politique. D’un côté, le PS propose 13 mesures pour un montant avoisinant les 6,5 milliards d’euros. Comment les financer ? Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la Chambre, insiste à nouveau ce matin, sur les ondes de La Première, sur « la taxe des grands patrimoines », qui permettrait « de financer un tiers des recettes nécessaires ». Le reste serait le fruit « de la fiscalisation des plus-values » et « de la lutte contre la criminalité financière ». En d’autres mots, l’argent doit être cherché dans les poches « des spéculateurs et des fraudeurs ».
  • C’est la course à l’échalote. Chacun y va de sa proposition, qui n’a pas beaucoup voire aucune chance d’aboutir. En matière de pouvoir d’achat, de réforme fiscale, de retraites, d’emploi, l’écart est tel entre les formations de la Vivaldi que tout compromis semble impossible. La droite répond, elle, par « emploi, emploi, emploi », mais d’aucuns jugent que le Jobs Deal, qui n’a d’ailleurs pas encore été approuvé par les partenaires sociaux, ne permettra pas d’atteindre le taux d’emploi de 80%.
  • La note d’ambition que prépare le Premier ministre pourrait très vite se transformer en liste de vœux pieux. Pour l’heure, pas moins de 8 ministres sont à l’étranger, au Congo ou aux États-Unis: une courte accalmie. Nul doute que la rue, le 20 juin prochain, viendra rappeler au gouvernement l’urgence de prendre des décisions.
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