Macron veut plafonner les salaires des PDG au niveau européen, mais est-ce réaliste ?

Le président français Emmanuel Macron a plaidé vendredi matin sur la radio FranceInfo pour un plafonnement des salaires des PDG à l’échelle européenne. Macron a réagi à la controverse qui a récemment éclaté en France. On y a appris que Carlos Tavares, le PDG de la société de fusion Stellantis, avait gagné plus de 19 millions d’euros en 2020. Son salaire s’élève pourtant à 2 millions d’euros.

M. Macron a qualifié la rémunération de Tavares de « choquante » et « excessive ». Il a également ajouté qu’il ne pouvait pas faire grand-chose à ce sujet. Car Stellantis – née de la fusion de PSA et de Fiat Chrysler – a son siège aux Pays-Bas.

Il plaide donc pour des mesures au niveau européen. « C’est là que nous devons nous battre pour des compensations qui ne peuvent être abusives […] sinon la société risque d’exploser », a déclaré le président français. Macron était déjà intervenu dans le débat en 2016 en tant que ministre de l’Économie. À l’époque, il avait menacé de limiter « par voie législative » le salaire de Carlos Ghosn, alors patron de Renault-Nissan. Un autre candidat à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, a également proposé précédemment d’introduire un écart de rémunération pouvant aller jusqu’à un facteur 20 entre les employés les moins bien payés d’une entreprise et leurs dirigeants.

La discussion sur les hauts salaires a lieu partout

Le débat sur les hauts salaires est en cours dans plusieurs pays. En 1965, le PDG d’une entreprise du S&P 500 gagnait 20 fois le salaire médian de son entreprise. En 1990, c’était déjà soixante fois plus.

Cette année, le salaire médian des PDG des 196 plus grandes entreprises américaines qui ont déjà annoncé leurs résultats annuels est déjà supérieur de 20 % à celui de l’année précédente et s’élève désormais à 14,3 millions de dollars. Ce sont les calculs de la société d’analyse Equilar. Le nouveau PDG d’Amazon, Andy Jassy, est un cas à part. Il reçoit 6 474 fois le salaire médian d’un employé moyen d’Amazon. Son prédécesseur, Jeff Bezos, était un homme modeste en comparaison. En 2020, il n’a été payé que 58 fois plus que ses employés. On parle ici bien sûr uniquement du salaire.

Selon les calculs d’Equilar, la valeur médiane de ce ratio de rémunération est passée de 192 en 2020 à 245 en 2021.

Quelle est la situation des hauts salaires en Belgique ?

Selon Xavier Baeten, professeur à Vlerick, l’écart de rémunération entre les cadres supérieurs et les employés ordinaires est beaucoup plus faible dans notre pays. En Belgique, les PDG du Bel20 gagneraient 43 fois plus qu’un employé moyen d’ici 2020. Mais les meilleurs PDG belges travaillent à l’étranger. Où ils peuvent gagner beaucoup plus.

Vendredi, De Tijd et L’Echo chiffraient la hausse des salaires à 14% en 2021 par rapport à l’année précédente, avec une rénumération moyenne pour le CEO du Bel20 de 3 millions d’euros.

L’explosion de la rémunération comporte 3 facteurs

Une étude approfondie de Donald Hambrick (Université de Pennsylvanie), publiée en 2007 et basée sur de très larges échantillons de 111 entreprises du secteur technologique, a tenté d’évaluer l’impact du PDG sur les performances de son entreprise. Elle montre que l’impact d’un PDG sur les résultats de l’entreprise représente entre 10 et 20 % du résultat final.

  • L’explosion des rémunérations des grands PDG ces dernières années est souvent justifiée par le fait que les récompenses de ces personnes de haut rang sont désormais liées au cours de l’action des sociétés qu’ils dirigent, par le biais d’options sur ces actions. En d’autres termes, ils ne s’enrichissent que lorsque leurs actionnaires s’enrichissent aussi.
  • Il existe également un phénomène qui se produit dans le monde du cinéma et du sport professionnel. Dans ce dernier cas, des salaires supérieurs à la moyenne doivent être versés pour justifier des transferts coûteux. Un footballeur recherché ne jouera pas pour un salaire inférieur dans un autre club. Il en va de même pour un PDG convoité.
  • Les PDG siègent aussi souvent au conseil d’administration des entreprises des PDG amis et vice versa. Par conséquent, les augmentations de rémunération sont approuvées sans problème. « Si vous approuvez mon augmentation, j’approuverai la vôtre ». Il y aurait donc une collusion entre les PDG et ceux qui évaluent leurs performances.

L’augmentation de la productivité ne garantit pas une hausse des salaires des employés

Pourtant, selon les calculs de l’Economic Policy Institute, la rémunération des PDG des grandes entreprises américaines a augmenté plus de 60 % plus vite que les marchés boursiers au cours des 40 dernières années. Alors que les salaires réels des travailleurs des pays de l’OCDE ont augmenté de 23 % entre 1990 et 2019, la productivité par habitant a augmenté de 49 % au cours de la même période. C’est cette différence de 23 % qui est largement créditée sur le compte du PDG. Là aussi, Macron plaide pour un ruissellement.

Les chiffres ci-dessus montrent surtout que ce ne sont pas tant les indemnités des PDG mais l’écart important avec la main-d’œuvre qui est difficile à expliquer. Mais réglementer cette question au niveau européen ne semble guère plus que le doux rêve d’un candidat-président. Stellantis, par exemple, déclare dans une réaction que « sous la direction de Carlos Tavares, le Groupe PSA est passé de la quasi-faillite à la première entreprise de son secteur à l’échelle mondiale en moins de huit ans ». M. Tavares est à la tête d’un groupe qui compte 14 marques dans son portefeuille et emploie 400 000 personnes.

On peut se demander si les hommes politiques – des personnes qui ont rarement, voire jamais, travaillé dans le secteur des affaires – peuvent évaluer et réglementer ce type de performance. Sur les 27 commissaires européens, par exemple, deux exactement ont un passage – même s’il est court – dans l’économie réelle. Dans la plupart des gouvernements, le nombre n’est pas beaucoup plus élevé. On peut donc se demander si ce sont ces personnes qui doivent déterminer ce qui est une rémunération équitable et ce qui ne l’est pas.

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