Depuis plusieurs mois, on nous martèle que l’hiver à venir sera rude, l’Europe étant en proie à une potentielle pénurie de gaz. Pourtant, les stocks n’étaient pas mieux remplis à pareille époque les années précédentes. De quoi crier victoire ? Pas trop vite.
Suite à la tentative d’invasion de l’Ukraine, la Russie et l’Union européenne sont entrées dans une véritable guerre du gaz. Alors que Moscou réduit progressivement ses livraisons, les pays membres de l’UE tentent de trouver d’autres sources d’approvisionnement et de remplir leurs stocks afin de se mettre à l’abri d’éventuels nouveaux coups de frein russes.
Dans ce contexte, l’UE s’est fixé l’objectif de remplir ses stocks à 80% pour le 1er novembre. Ce qui devrait lui permettre de passer l’hiver – période lors de laquelle la demande est plus forte – dans une relative sérénité. Contrats passés avec d’autres pays, arrivée massive de GNL, consommation réduite de 15% et même relance du charbon dans certains pays: une pelletée de mesures ont été prises ces derniers mois pour parvenir à constituer les stocks.
Résultat ? Pour l’instant, les stocks européens disposent d’autant de gaz que les autres années. Selon les données de Gas Infrastructure Europe, ils étaient remplis à 70,54% mardi. C’est même un peu plus élevé que la moyenne des cinq années précédentes, qui est de 70,32%. L’Europe est à moins de 1% de sa moyenne décanale (71,40%).
« L’UE a déjà dépassé son objectif de remplissage intermédiaire du 1er septembre début juillet et est toujours en passe d’atteindre l’objectif du 1er novembre », a confirmé Jacob Mandel, associé principal pour les matières premières chez Aurora Energy Research, interrogé par Reuters.
Pas d’excès d’enthousiasme
Ces quelques chiffres connus, l’on pourrait croire qu’il n’y a déjà plus aucune raison de paniquer. L’Europe devrait pouvoir disposer de suffisamment de gaz pour l’hiver à venir. Mais selon les experts, il vaut mieux ne pas s’enthousiasmer.
Si l’objectif des 80% a été fixé par la Commission européenne, cela ne signifie pas qu’il protégera automatiquement tous les pays d’une pénurie. C’est le minimum syndical: en cas d’hiver très rude, par exemple, il pourrait y avoir des mauvaises surprises. À titre de comparaison, la Belgique vise les 90%, l’Allemagne les 95% et la France les 100%.
En outre, le Vieux Continent reste pour l’instant tributaire de la Russie. Si celle-ci décide subitement de couper totalement ses livraisons, cela risque aussi de poser de gros problèmes. Rappelons que depuis fin juillet, les livraisons via Nord Stream 1 ont baissé à 20% des capacités du gazoduc, Moscou invoquant des problèmes techniques. Aux dernières nouvelles, la Russie indique toujours qu’en raison des sanctions occidentales, il lui est impossible de récupérer une turbine nécessaire au bon fonctionnement du gazoduc. Un simple prétexte, selon les Européens, qui voient plutôt là une manière pour la Russie de continuer à livrer moins de gaz que prévu sans l’assumer pleinement.
Dans la foulée de cette réduction à 20%, le cabinet de Conseil Wood Mackenzie avait indiqué que si la situation ne s’améliorait pas, les stocks de gaz européens pourraient n’atteindre qu’un taux de remplissage de l’ordre de 75%.
« L’incertitude concernant ces deux éléments devrait maintenir les prix à un niveau élevé, même si les stocks continuent d’augmenter au cours des prochains mois », a indiqué Giovanni Staunovo, analyste pétrolier chez UBS.
Le revers de la médaille
Même s’ils ne doivent pas pécher par excès de confiance, les pays européens devraient donc éviter le pire cet hiver. Mais le prix à payer est énorme.
D’après les analyses d’Aurora Energy Research, le coût total du gaz injecté dans les installations de stockage de l’UE depuis l’introduction des objectifs en juin est d’environ 19,8 milliards d’euros. En outre, 35,5 milliards d’euros supplémentaires devraient être nécessaires pour remplir les stocks conformément aux objectifs. Total: plus de 55 milliards d’euros. Sans compter le probable demi-milliard supplémentaire pour couvrir le coût d’utilisation et de stockage.
Investec avance des chiffres un peu moins hauts, mais toujours extrêmement élevés. À savoir plus de 50 milliards d’euros. Soit… dix fois plus que la moyenne historique européenne de remplissage des stocks pour l’hiver.
Des prix explosifs qui risquent de finir par se traduire par des factures énergétiques encore plus élevées pour les ménages.
Et après ?
Notons enfin que de plus en plus de voix s’élèvent pour indiquer que si un scénario catastrophe pour l’hiver à venir semble progressivement s’éloigner – les réserves ci-dessus étant émises -, l’hiver 2023 s’annonce tout aussi – sinon plus – compliqué.
Pour s’en prémunir, l’Europe devrait de toute urgence trouver d’autres exportateurs et conclure avec eux des contrats à long terme, au lieu de négocier sur le (coûteux) marché au comptant, a notamment déjà averti Vincent Demoury, secrétaire général du Groupement international des importateurs de gaz naturel liquéfié (GIIGNL).
D’ailleurs, pour l’hiver 2023 et les suivants, l’objectif à l’échelle de l’UE sera de remplir les stocks à 90%.