Les algorithmes ont investi les marchés financiers, et c’est toute l’économie qui s’en trouve affectée

Les marchés financiers sont traditionnellement des pionniers en matière d’adoption des progrès technologiques, et bien sûr, ils sont à l’avant-garde de la révolution de l’intelligence artificielle (IA). Des algorithmes de plus en plus sophistiqués sont maintenant capables non seulement de gérer l’achat et la vente de titres, mais aussi la surveillance de l’économie et l’allocation des capitaux. Mais cela n’est pas sans conséquences pour les investisseurs et l’économie.

En septembre, pour la première fois de l’histoire, les “trackers” (ETF) et les fonds communs de placement gérés automatiquement ont investi 4300 milliards de dollars dans des actions américaines, une somme supérieure aux encours gérés activement par des humains.

Les algorithmes de trading sont de plus en plus incontournables

Et après avoir investi les marchés actions, les algorithmes commencent à s’imposer sur les marchés obligataires. Désormais, les fonds gérés par des algorithmes sur base de règles établies par des humains représentent 35 % du marché boursier américain, 60 % des actifs institutionnels en actions et 60 % des activités de trading.

Les logiciels dotés de l’IA sont de plus en plus autonomes, et sont maintenant capables de déterminer leurs propres stratégies d’investissement sans nécessiter aucune assistance humaine.

Des circuits d’information toujours plus précis

Les progrès techniques ont aussi amélioré les circuits d’information, un facteur crucial pour les marchés. Pour se forger leur opinion, les gérants de fonds humains communiquent avec les dirigeants d’entreprises, et analysent des rapports financiers. Mais de nouvelles sources d’information ont émergé, grâce au Big data, entre autres. Désormais, des satellites surveillent les parkings des grandes surfaces pour déterminer leur niveau d’activité. Des algorithmes suivent les prix de vente sur les sites de e-commerce pour calculer le niveau de l’inflation. Nous nous approchons du moment où les algorithmes auront des informations bien plus fraîches sur les sociétés qu’elles-mêmes.

L’essor de ces technologies a aussi contribué à abaisser les coûts. Les frais de gestion d’un ETF ne s’élèvent qu’à 0,1 % par an, contre près de 1 % pour ceux des fonds en gestion active. Il est possible d’en acquérir avec son téléphone.

Des effets pervers pour les marchés financiers… et toute l’économie

Mais ces évolutions suscitent aussi des inquiétudes. Celles-ci sont de 3 natures :

  • La stabilité financière

L’intervention des algorithmes dans le trading peut fausser les cours des actifs. En effet, le trading algorithmique agit systématiquement et immédiatement en cas de réalisation d’une condition de son programme. Cela implique des ventes massives et la possibilité de survenance de mini-krachs très rapides, qualifiés de “flash crashes”. C’est ce qui s’est produit en octobre 2016 lorsque la parité de la livre sterling s’est effondrée de 9 % en quelques secondes, par exemple. Ces fluctuations brutales risquent de devenir plus fréquentes et plus amples avec le perfectionnement des algorithmes.

  • L’inégalité de la répartition des richesses

Seuls les plus riches ont accès aux innovations technologiques les plus
sophistiquées. Cela leur confère une longueur d’avance en matière de puissance de traitement, et signifie qu’ils pourront mieux profiter des aubaines du marché, et s’enrichir plus rapidement. ‘Imaginez, par exemple, qu’Amazon exploite les informations qu’il détient au travers du e-commerce pour faire du trading’, écrit The Economist.

  • Une influence discutable sur la gestion des entreprises

Les gérants de fonds font la pluie et beau temps dans les conseils d’administration des entreprises, élisant des dirigeants, ou décidant de les révoquer au nom de leurs clients. Compte tenu de leur importance croissante, les algorithmes pourraient peu à peu s’accaparer ces prises de décisions, qui deviendraient plus radicales.

En outre, ils pourraient obliger les entreprises ainsi dirigées à poursuivre un objectif limitant, comme le versement d’un certain dividende, au mépris de considérations salariales, par exemple. Or, de plus en plus d’actifs sont transférés à quelques grands gérants de fonds, ce qui risque de leur donner un pouvoir disproportionné sur l’économie. Les marchés financiers sont basés sur l’égalité de traitement des clients, l’égalité d’accès à l’information et la libre concurrence. Mais la révolution de l’IA risque bien d’en modifier les règles du jeu.

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