Le vaccin russe Spoutnik V: une leçon d’humilité pour l’Europe

Alors que les livraisons patinent en Europe ou que le vaccin de Sanofi/GSK ne verra peut-être jamais le jour, la Russie peut se vanter d’avoir été la première au monde à mettre en place un vaccin efficace. Du moins si les premiers résultats publiés dans la revue occidentale The Lancet se confirment.

‘Nous avons gagné la course aux vaccins. Ce matin, pour la première fois au monde, un vaccin contre le nouveau coronavirus a été enregistré’ : c’est un Vladimir Poutine triomphaliste qui annonce la nouvelle le mardi 11 août par visio-conférence.

À cette époque, pas grand-monde en Occident ne le prend au sérieux. Lui est sûr de son coup: ‘Une de mes filles s’est faite faire ce vaccin. Je pense que quelque part, elle a participé aux expériences.’

La Une de Libération à l’époque.

En novembre, le ministère russe de la Santé annonce un vaccin efficace à plus de 90%. Là encore, par expérience, les Occidentaux se méfient. Il faudra attendre qu’une étude indépendante soit publiée dans la revue The Lancet pour que le vaccin soit pris au sérieux.

Spoutnik V aurait un taux d’efficacité de 91,6%. Il pourrait ne nécessiter qu’une seule dose, le tout à un prix de moins de 10 dollars la dose. Cerise sur le gâteau: le vaccin peut être conservé dans un simple réfrigérateur, entre 2 et 8 degrés Celsius. Comme le vaccin d’AstraZeneca, Spoutnik V utilise un autre virus comme véhicule après l’avoir rendu inoffensif et adapté pour lutter contre le Covid. Il n’utilise donc pas l’ARN messager comme Pfizer/BioNTech ou Moderna.

Un vaccin politique

Un ou deux bémol(s) toutefois: là où les résultats de Pfizer et d’AstraZeneca ont été suivis sur une période de 2 à 3 mois, les données de Spoutnik V ne le sont que sur 4 semaines. Ensuite, seules 2.000 personnes de plus de 60 ans ont pris part à l’étude sur 40.000 sujets.

Le vaccin russe a été commandé dans 50 pays environ. Plusieurs anciens satellites russes en bénéficient déjà comme certains pays d’Amérique latine (le Brésil, l’Argentine…). En Europe, seule la Hongrie, toujours prête à défier l’Union, en a fait explicitement la demande. Plus qu’un remède miracle, le vaccin est aussi un atout politique. À l’instar du vaccin chinois, les Russes pourront inonder leur vaccin et s’annoncer en sauveur des pays du Sud, jusquelà sur la touche.

En Europe, les choses pourraient rapidement changer. C’est Angela Merkel qui a dégainé la première: ‘Tous les vaccins efficaces sont les bienvenus’, a annoncé la Chancelière allemande. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, ouvre également la porte au vaccin russe mais prévient: ‘Il devra montrer de la transparence et toutes ses données.’

Mais il y a déjà de la friture sur la ligne. Le fonds souverain russe indiquait le 20 janvier avoir fait une demande d’enregistrement auprès de l’Agence européenne du médicament. Mais l’EMA a déclaré n’avoir reçu encore aucune donnée.

Coup de poker

Reste que pour certains experts, le vaccin russe ‘était un coup de poker’. ‘Ethiquement, c’était quand même inacceptable. Faire une étude sur une septantaine d’individus, puis commencer à administrer le vaccin à des populations plus larges’, nuance pour la RTBF Jean-Michel Dogné, professeur et directeur du service de pharmacie à l’UNamur.

La politologue et spécialiste de la Russie, Nina Bachkatov, interrogée par Sud Presse, confirme la prise de risque: ‘Ils ont commencé la vaccination massive avant de connaître tous les résultats de leurs essais. C’est visiblement un pari gagné ! Mais il faut dire qu’au début, nous, pays
occidentaux, avons pris les Russes de haut : on n’aime pas montrer qu’on dépend d’eux !’

La Russie rappelle au monde qu’elle n’est pas juste bonne à produire du gaz, de la vodka et des kalashnikovs. Elle dispose également de très bons scientifiques.

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