ANALYSE | Le président Biden face à une Mission Impossible

Joseph Robinette Biden, qui va sur ses 78 ans, ancien vice-président et ancien sénateur de l’État du Delaware, devient le 46e président des États-Unis. Il sera confronté à une tâche infernale.

Une analyse de notre correspondant aux Etats-Unis, Dominique Dewitte.

Après une bataille électorale âprement disputée, Biden a finalement triomphé dans l’État de Pennsylvanie samedi, ce qui lui a permis de dépasser le cap des 270 électeurs nécessaires à la victoire finale.

Les élections américaines n’ont pas débouché sur la ‘vague bleue’ annoncée par les médias et les sondages. Au contraire, Biden sera bientôt confronté à un Sénat et à une Chambre des représentants républicains au sein desquels les démocrates sont sortis affaiblis de la bataille électorale.

Le spectre de l’élection contestée

Comme l’avaient annoncé les spécialistes il y a quelques mois, le spectre d’une ‘élection contestée’ a rapidement fait surface. Trump a annoncé jeudi soir – dans l’un des discours les plus destructeurs jamais prononcés par un président américain – que ‘la fraude massive avait commencé et que l’issue de l’élection serait finalement décidée par la Cour suprême’. ‘L’élection est pleine de fraudes. Les démocrates nous volent notre victoire’, a-t-il déclaré, sans fournir aucune preuve tangible. Triste, mais pas surprenant. Car pour le New-Yorkais, il n’y a toujours eu que deux options : gagner ou parler d’élections ‘truquées’. Perdre n’a jamais figuré dans son dictionnaire.

Trump a eu un parcours remarquable : qui a fait mieux ?

Donald Trump a établi un parcours remarquable et a reçu plusieurs millions de votes de plus qu’en 2016. Mais pas assez pour battre Biden. Ce dernier, avec ses 80 millions de voix, est en passe de devenir le président élu le plus plébiscité de l’histoire des Etats-Unis. Pour la petite histoire, Trump obtiendra également beaucoup plus de voix que les 69,5 millions qui ont fait de Barack Obama le premier président noir des États-Unis en 2008.

Pourtant, Trump ne peut tenir qu’une seule personne responsable de sa défaite – si jamais il l’accepte – et c’est lui.

Le chemin de Trump vers la réélection a été optimal, jusqu’au début de cette année. Il y a d’abord eu son remarquable bilan économique pré-Covid. Le taux de chômage le plus bas du pays depuis 1969, des bourses qui ont très bien marché. La valeur du Nasdaq, l’indice à forte coloration technologique, a même doublé. Trump a également réussi à ajouter à son palmarès le taux de pauvreté américain le plus bas de l’histoire.

Ajoutez à cela sa politique populaire de base ‘America First’, sa courageuse opposition au croque-mitaine mondial qu’est la Chine (malgré le fait que l’excédent commercial vis-à-vis de ce pays ne cesse d’augmenter), les réductions d’impôts, la restriction de l’immigration, une Cour suprême assurée d’une majorité conservatrice pendant au moins deux décennies, la nomination de 220 juges fédéraux conservateurs, un accord de paix au Moyen-Orient et le retrait des troupes américaines de pays que la plupart des Américains ne peuvent même pas identifier sur une carte. Qui a fait mieux (pour les républicains) ?

Le Grand Old Party est maintenant le Trump Party

Avec plus de 70 millions de votes reçus, Trump est principalement apparu comme le représentant des valeurs conservatrices américaines traditionnelles. Il a également été couronné ‘roi de la campagne américaine’. (Les grandes villes ont presque partout voté en masse pour Joe Biden). Même après son départ de la Maison Blanche, Trump va rester un poids lourd de la politique. En 4 ans à peine, il a réussi à transformer le GOP (‘Grand Old Party’, le surnom du parti républicain) en ‘Trump Party’.

Dans quelle direction ce parti se dirige-t-il à présent ? Trump a jeté, de facto, les bases d’un vaste mouvement populaire en pleine expansion. Il ne peut plus être qualifié d’accident de parcours. Il a également réussi à se repositionner sur les voix des Latino-Américains, ce qu’aucun président républicain n’avait réussi à faire avant lui. Mais, depuis janvier, les républicains ont plus de membres du collectif conspirationniste QAnon à la Chambre des représentants que de représentants de la communauté afro-américaine. Peut-être devriez-vous relire cette phrase.

Les partisans du président Trump lors de son meeting de campagne à Tulsa, Oklahoma – EPA

Son attitude insupportable et le Covid-19 ont été fatals à Trump

C’est l’attitude souvent insupportable de Trump et sa mauvaise gestion de la crise du coronavirus qui l’ont finalement tué. Sa tendance à faire fi des règles démocratiques et à adresser un majeur à tous ceux qui ne lui étaient pas loyaux lui a aussi valu plus d’ennemis que d’amis. Ce qui ne change rien au fait que presque tous les présidents ayant eu un parcours similaire auraient été facilement réélus.

Trump est entré en conflit avec l’épidémiologiste américain Anthony Fauci en ce qui concerne la politique concernant le Covid-19. (Photo : Yuri Gripas/ABACAPRESS.COM)

De l’oxygène pour le monde

Pour le monde, la victoire de Biden est une bonne nouvelle. Le risque que les États-Unis se retrouvent dans la colonne ‘semi-démocratie’ au cours des quatre prochaines années a maintenant disparu, tout comme Trump. La récession démocratique mondiale se redressera lentement mais sûrement sous la direction de Biden. Après quatre ans d’une politique américaine prenant des allures de montagnes russes, le monde va de nouveau avoir le temps de respirer.

Le ‘mur bleu’ ne résiste pas à l’armée de Trump

Pourtant, Biden, de moins en moins affûté, est confronté à une tâche infernale. Il commencera son mandat en janvier avec un Sénat républicain, tandis que les démocrates – malgré les centaines de millions de dollars que des gens comme Michael Bloomberg ont injectés dans la bataille – sont considérablement affaiblis à la Chambre des représentants. Une grande partie du ‘mur bleu’ qui avait été érigé lors des élections partielles de 2018 s’est révélée incapable de résister à l’armée de Trump.

Entretemps, les luttes intestines au sein du parti démocratique ont déjà commencé. La gauche, parmi laquelle on retrouve Alexandria Ocasio Cortez ou Bernie Sanders, ne voit rien d’autre dans les mauvais résultats du DNC (Comité national démocrate) au Sénat et à la Chambre qu’un rejet de leur programme progressiste. Des idées audacieuses telles que ‘Defund the police’ et ‘Abolish ICE’ s’avèrent aujourd’hui… folles. Les Américains veulent Joe Biden, mais ils ne veulent pas du socialisme. Les démocrates ne doivent pas non plus compter sur la Cour suprême. Trump y dispose d’une majorité conservatrice pour les 20 prochaines années.

Le président Trump présente Amy Coney Barrett, qui a remplacé la présidente de la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg, décédée en septembre. (Photo : Isopix)

Métropole contre campagne

Ensuite, il y a les différences fondamentales entre le mode de vie et l’état d’esprit des villes américaines et ceux des campagnes. Non seulement les deux camps ont des points de vue très différents sur des questions telles que l’avortement, les droits des LGBT ou la possession d’armes. Mais ils sont en désaccord sur à peu près tout. Comment la pandémie doit être combattue – et même si elle doit vraiment l’être -, si le changement climatique est causé par l’homme ou s’il s’agit simplement d’un phénomène naturel, comment la reprise économique doit être réalisée, si l’Amérique a encore besoin de migrants…

Une enquête récente de l’agence Pew Research en dit long sur le sujet. Près de huit Américains sur dix affirment que la plupart des électeurs républicains et démocrates ne sont pas seulement en désaccord sur le plan purement politique. Ils ne peuvent pas non plus s’entendre sur des éléments factuels pourtant primordiaux pour les grands défis auxquels leur pays est confronté.

Poussée par les nouvelles théories du complot et la désinformation qui régit les médias sociaux 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, la politique aux États-Unis se meut sur un terrain en décomposition. Avec Washington DC au centre de tout cela. Elle qui était, autrefois le temple politique de l’Amérique. Maintenant, c’est plutôt un morceau de terrain brûlé, sur lequel des politiciens de plus en plus extrémistes passent leur temps à saboter l’ennemi, plutôt que d’essayer de susciter l’enthousiasme avec leurs propres idées.

Les grands projets démocrates au frigo pour au moins deux ans

Mitch McConnell, le leader du Sénat, facilement réélu pour la septième fois consécutive dans l’État du Kentucky, a déjà clairement indiqué qu’il ne travaillerait qu’avec les démocrates du centre. Augmentation des impôts pour les riches, Green New Deal, réforme des soins de santé… tout cela sera soigneusement entreposé dans le réfrigérateur pour les deux prochaines années.

L’Amérique a encore un autre problème. La plus grande économie du monde et la plus importante puissance militaire du monde n’est pas uniquement divisée. Elle est aussi dirigée par une gérontocratie.

Biden aura 78 ans dans deux semaines. Le président du Sénat, Mitch McConnell, aura 79 ans en janvier. Nancy Pelosi, qui dirige la Chambre des représentants, a 81 ans.

Du Trumpisme pour toujours ?

Ce triumvirat de personnes âgées doit faire prendre un nouveau chemin à l’Amérique – un pays où plus de la moitié de la population n’a même pas la moitié de l’âge du plus jeune des trois dirigeants mentionnés ci-dessus. Mais personne ne sait comment ça pourrait se produire. Car une victoire étroite de Joe Biden, lors d’élections où tous les records de participation ont été battus, ne signifie en aucun cas la fin du Trumpisme. Au contraire, le Trumpisme est désormais un phénomène dominant et non plus périphérique, comme beaucoup l’avaient espéré pendant quatre ans.

Photo: EFE / Giorgio Viera

‘L’ombre de Donald’ s’est posée à jamais au-dessus du Capitole. Pour ses partisans, Trump reste un héros. Le dernier homme à avoir résisté aux médias et aux élites. Si la présidence lui a échappé, sa politique va rester plus que jamais d’actualité. Une nouvelle génération de républicains tentera de s’appuyer sur son héritage populiste.

La présidence âprement disputée avec Biden pourrait même constituer la première pierre de cet édifice.

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