La Vivaldi veut aboutir sur la réforme du marché du Travail face au noeud Deliveroo: les Verts soutiennent le PS, les libéraux craignent le scénario espagnol

Le gouvernement fédéral a presque terminé son fameux accord sur le travail : il n’apportera pas de révolution. L’e-commerce était en effet arrangé depuis un certain temps déjà : il y a un deal pour faciliter le travail de soirée, jusqu’à minuit. Le véritable noeud reste autour des travailleurs de la plateforme : les coursiers Deliveroo et les chauffeurs Uber. Le PS joue un jeu habituel au gouvernement : faire payer deux fois leurs adversaires, parce que l’accord sur le travail était en fait déjà scellé en octobre. Si les libéraux veulent leur commerce électronique, ils devront céder autre chose, semble-t-il. Ce qui est frappant, c’est que les Verts sont même légèrement plus pointilleux que les socialistes dans le dossier. La critique des socialistes selon lesquelles « les écologistes ne les soutiennent jamais » a frappé fort dans les milieux écologistes.

Dans l’actualité : Le Comité de concertation éclipse tout, encore une fois.

Les détails : Bien que nous sachions depuis longtemps qu’un assouplissement approche, tout le monde se concentre sur les décisions d’aujourd’hui. Alors que le vrai travail pour la coalition se passait ce matin.

  • Parce que la réforme du marché du travail, qui est dans l’air depuis une semaine, est un peu pressée par le temps : à 14 heures, les ministres fédéraux doivent se rendre au Codeco. La question est donc de savoir si l’équipe fédérale est sortie de la réunion de ce matin avec un accord. Il y a une trentaine de mesures sur la table dans ce deal porté par Pierre-Yves Dermagne, le ministre de l’Emploi.
  • L’équipe du Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) aurait terriblement besoin d’un succès. Car le chemin jusqu’au kern d’aujourd’hui a été long et difficile. Paul Magnette (PS) a bousculé la rue de la Loi par sa déclaration après-coup maladroite sur « l’e-commerce ». Le raz de marée d’indignation et de critiques a obligé le président du PS à nuancer son propos, un peu plus tard. Ce n’était pas vraiment le plan de départ. En coulisse, cette sortie a mis tout le gouvernement à cran.
  • Pourtant, dans les discussions autour de la réforme du travail, il n’était plus du tout question de l’e-commerce. Car l’accord avait déjà été conclu en octobre dernier lors du conclave budgétaire. Le PS avait disposé ses « lignes rouges »: le travail de nuit et du weekend ne pouvait être négocié. Au mieux, le travail de soirée jusque minuit pouvait être facilité. Cela signifie concrètement que l’assouplissement peut se faire entre 20 heures et minuit si l’employeur passe un accord avec un syndicat. La question est de savoir si cela se produira également dans la pratique. Mais en tout cas, ce dossier est lié à l’ensemble des mesures : un accord sur tout ou sur rien, exige le PS.
  • Le vrai noeud de la semaine, c’était autour des jobs de plateforme. Ce sont des indépendants sur le papier, mais dans la pratique ils ne le sont pas, affirment les socialistes et les verts. Ils veulent beaucoup plus de droits sociaux pour ce groupe de travailleurs, le ministre de l’Emploi Pierre-Yves Dermagne (PS) a mis beaucoup d’efforts pour proposer une « présomption de salariat » dans l’accord.
  • Cela a été atténué entre-temps, mais les libéraux restent terrifiés par des mesures trop radicales : cela pourrait entraîner une réaction féroce d’acteurs internationaux tels que Deliveroo et Uber. Par le passé, face à un obstacle juridico-politique, ces géants n’ont jamais hésité à menacer de cesser toute leur activité. C’est arrivé dernièrement à Bruxelles avec Uber, avant que ne soit trouvée une solution provisoire.
  • L’Espagne est un exemple éclairant à ce sujet : la coalition de gauche dirigée par Pedro Sanchez a introduit à l’automne 2021 « une loi sur les coursiers ». Elle devait leur garantir des droits sociaux, avec là aussi le principe de la présomption de contrat de travail. Mais Deliveroo s’est tout simplement retiré du pays. Les libéraux veulent à tout prix éviter ce scénario.
  • D’où l’âpre discussion : en coulisses, les plateformes multiplient la pression et le lobbying. La discussion porte sur les critères qui détermineraient si quelqu’un est oui ou non un travailleur indépendant. Les libéraux veulent des critères beaucoup plus souples qui peuvent être contestées, les socialistes travaillent eux sur une liste de huit caractéristiques, et si trois d’entre elles peuvent être cochées, on parlerait alors de salarié.

Le contexte: encore une autre friction au sein de la Vivaldi

  • Pour les libéraux, c’est simple : ils veulent absolument éviter le scénario espagnol. Expliquer en Flandre que Deliveroo se retire est impensable pour l’Open Vld d’Egbert Lachaert, qui est toujours à la recherche d’une réelle dynamique positive pour son parti.
  • Dans le même temps, il y a pu avoir des tensions dans les couloirs entre les socialistes et les verts. Les premiers se sont plaints qu’en matière de questions socio-économiques, ils n’ont presque jamais reçu le soutien de leurs partenaires de gauche.
  • Cela n’a pas été particulièrement apprécié par les écologistes au sommet du gouvernement : « Quelle absurdité totale ! Pour l’accord sur le travail, par exemple, nous avons vérifié au préalable dans les discussions entre les cabinets : nous sommes sur la même longueur d’onde que les socialistes sur tout. En fait, lorsqu’il s’agit des travailleurs des plateformes, nous sommes même un peu plus stricts dans nos demandes pour leur donner une protection sociale suffisante », entend-on. Une alliance de circonstance qui ne facilite certainement pas la vie des libéraux.
  • Ce qui est aussi frappant, c’est que Dermagne a un autre parti qui lui souffle dans le cou: le CD&V. Parce que les chrétiens-démocrates sont très mal à l’aise face à l’attitude du ministre de l’Emploi du PS. En fin de compte, le marché du travail réclame juste plus de travailleurs, qui peuvent trouver plus facilement un job.
  • Or, la croissance économique est actuellement contrariée par ce marché du travail inflexible, c’est l’analyse des chrétiens-démocrates et particulièrement de la ministre flamande de l’Emploi, Hilde Crevits (CD&V). Elle a déjà exprimé publiquement son impatience à plusieurs reprises cette semaine. L’impression est que le PS dilue toute mesure qu’elle juge aller dans le bon sens. À tel point que la réforme du travail n’aura selon elle aucun effet déterminant.
  • Dans la fraction fédérale du CD&V, la patience est arrivée à ses limites. Car même si les décisions sont prises aujourd’hui, il faudra encore des semaines, jusqu’en avril voire mai, avant qu’elles ne soient finalement promulguées. L’ancienne ministre de l’Emploi Nathalie Muylle (CD&V) s’est adressée directement à Dermagne dans l’hémicycle hier :
    •  » Monsieur le ministre, je dois constater que les décisions prises en octobre 2021 n’ont toujours pas été mises en œuvre aujourd’hui, nous sommes déjà en février 2022. Je vous le demande depuis des semaines maintenant. Le marché du travail flamand est étriqué. Les gens veulent des décisions. »
  • Le deal, même s’il s’agit d’un paquet de plus de 30 mesures concrètes, risque de laisser un goût de trop peu, et d’être trop tardif : les perspectives économiques que l’UE a présentées hier pour la Belgique sont franchement décevantes. La croissance économique attendue pour est estimée à 2,8 %, soit la plus faible croissance de toute l’Union européenne pour la Belgique. Une pénurie sur le marché du travail est l’un des facteurs à l’origine de ces faibles estimations de croissance : un constat très amer pour un gouvernement qui a toujours l’ambition de porter le taux d’emploi à 80 % de la population active.

Le coup de pression : Deliveroo ne comprend pas l’attitude du gouvernement.

  • Le porte-parole de Deliveroo Rodolphe Van Nuffel affirme dans nos colonnes que la lutte des socialistes et des verts n’est pas du tout représentative de la réalité du terrain. « Les coursiers veulent travailler quand ils le veulent. Ils recherchent la flexibilité. 40 % de nos coursiers partiraient s’ils étaient considérés comme des employés du jour au lendemain », affirme-t-il.
  • « Nos coursiers choisissent quand ils veulent travailler via une application. C’est leur propre choix », argumente le porte-parole. « Le gouvernement veut introduire une présomption d’emploi basée sur la géolocalisation. Cette technologie est utilisée pour savoir quand le restaurateur peut mettre les frites dans la friteuse, pas pour contrôler nos coursiers. »
  • Reste à savoir si les coursiers eux-mêmes le pensent vraiment. Car à Gand, il y a déjà eu deux jours de protestations parmi les coursiers, dont une trentaine ont déposé le bilan. « Nous exigeons de meilleures rémunérations et plus de respect de la part des restaurants et de l’entreprise. En peu de temps, notre salaire a été réduit de moitié », déclare aujourd’hui Zaheer Syed, coursier indépendant, à Het Laatste Nieuws.
  • « Nous gagnions environ 7 euros par commande. Ce montant a été réduit de moitié en peu de temps. Maintenant, nous obtenons entre 2 et 4 euros. Avec l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité, je peux à peine payer mes factures. J’ai un enfant à nourrir à la maison et il devient difficile de joindre les deux bouts. Nous sommes aussi des personnes, non ? »

La vie à la Chambre : Chamaillerie quasi permanente entre la majorité et l’opposition sur le fonctionnement de l’hémisphère.

  • Les choses ne vont plus très bien à la « Conférence des présidents », l’organe de l’hémicycle où les dirigeants des groupes politiques discutent du fonctionnement de l’hémicycle. Hier, pour la énième fois, la majorité et l’opposition se sont affrontées sur les règles et leur application. Il s’agit d’un phénomène régulier dans chaque législature, mais il est un fait que le ton et l’approche se durcissent, des deux côtés.
  • La présidente de la Chambre, Éliane Tillieux (PS), n’agit pas toujours avec subtilité à cet égard. Hier, par exemple, la session plénière a été exceptionnellement convoquée à 10 heures du matin, entre autres pour permettre la prolongation de la loi sur la pandémie par un vote majoritaire, pour trois mois supplémentaires. La N-VA, le PTB et le Vlaams Belang ont eu du mal à accepter ce point.
  • Mais l’opposition avait également des problèmes majeurs avec la démarche : cette convocation anticipée n’avait pas été discutée et, selon elle, était basée sur une lecture erronée des règles. Aucune invitation n’avait même été envoyée. Ainsi, lors de la séance de 10 heures hier, il y a eu une grande discussion interminable sur le fonctionnement de la machine législative.
  • L’opposition y voyait un dangereux précédent : la majorité pouvait-elle désormais rappeler la Chambre à tout moment, contre la volonté de l’opposition ? Cela va dans le sens de la critique qu’ils formulent depuis un certain temps : « La Vivaldi prêche le ‘respect’ et une ‘culture politique constructive’, mais en réalité, ils font toujours passer leur agenda de manière particulièrement brutale, sans tenir compte de l’opposition », entend-on dans les couloirs.
  • Le fait que Tillieux n’appelle pas de manière informelle avant de prendre des décisions, notamment aux leaders de l’opposition, est quelque chose qui dérange : « On pouvait dire beaucoup de choses sur Patrick Dewael (Open Vld) ou Siegfried Bracke (N-VA), mais ils ont toujours fait les choses correctement. »
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