Réforme fiscale de l’automobile : les usagers wallons seront-ils les dindons de la farce ?

Une grande réforme fiscale sur l’automobile est bien inscrite dans l’accord de gouvernement. Une réforme qui tiendrait davantage compte du poids et de la puissance des véhicules en circulation, et qui est portée par le ministre wallon de la Mobilité, Philippe Henry (Ecolo). Beaucoup de discussions politiques sont encore à venir et le match n’est pas fait. Mais si la réforme venait à passer, les usagers wallons se sentiront-ils bernés alors que l’immense majorité des voitures de société, plus puissantes et au diesel, se situent en Flandre ?

Dans l’actu : la majorité Ecolo-MR-PS a adopté un accord de principe sur une réforme fiscale qui modifiera la taxe de mise en circulation et la taxe de circulation des véhicules.

Le détail: derrière les bonnes intentions, une réforme complexe qui pénalise les véhicules lourds, plus puissants et plus polluants.

  • Invité sur Bel-RTL, le ministre de la Mobilité, Philippe Henry, a annoncé les grandes lignes de sa réforme fiscale sur l’automobile. Si elle parvient à franchir tous les murs législatifs et politiques, cette réforme devrait entrer en vigueur de manière progressive entre 2023 et 2026.
  • L’intention est de privilégier « les véhicules les moins polluants, plus légers, plus petits », a expliqué le ministre. Il « n’y aura pas de nouvelles taxes », puisque la réforme devrait être « budgétairement neutre » pour la Wallonie. « L’enveloppe globale se distribuera différemment, en fonction des caractéristiques des véhicules. Il y aura donc de nombreuses diminutions, mais aussi des augmentations », précise le communiqué. Il s’agit en outre d’un processus en évolution qui sera étudié d’année en année vu que le parc automobile évoluera.
  • Mais concrètement, cette réforme doit s’adapter au nombre très important de modèles de voitures. Globalement, la taxe de mise en circulation pourrait grimper jusqu’à 9.000 euros tandis que la taxe de circulation (annuelle) devrait, elle, être plafonnée à 3.000 euros.
  • Mais Philippe Henry le promet: d’après les plans de la réforme, 85 % des véhicules neufs devraient avoir une taxe de mise en circulation moins élevée, et 75 %, une taxe de circulation plus basse. Pour les véhicules d’occasion, on parle de respectivement 74 et 88%.
  • Mais les exemples livrés par le ministre inquiètent plus d’un conducteur friand de belles voitures. Les différences entre les modèles sont considérables :
    • Pour une Golf VW à essence, la taxe de mise en circulation serait de 123 plutôt que 102,8 euros, et la taxe de circulation serait de 154,04 plutôt que 105 euros, en mars 2026.
    • Pour une Audi Q3 diesel, la taxe de mise en circulation serait de 3.580,2 plutôt que 2.653 euros, et la taxe de circulation serait de 1584,6 plutôt que 343,73 euros, en mars 2026.
    • Pour une BMW Serie 3 à essence, la taxe de mise en circulation serait de 2.865 euros plutôt que 2.478 euros, et la taxe de circulation serait de 1.280 plutôt que 343,73 euros, en mars 2026.
    • Par contre, pour une Citroën C3 à essence la taxe de mise en circulation serait de 89 euros plutôt que 123 euros, et la taxe de circulation serait de 99,1 plutôt que 154,04 euros, en mars 2026.
  • Les véhicules électriques et hybrides seront aussi privilégiés, mais là aussi il y a de grandes disparités :
    • Pour une Peugeot 2008 électrique, la taxe de mise en circulation passera de 61,5 à 683,1 euros, la taxe de circulation de 85,27 à 351,9 euros.
    • Alors que pour un Renault Zoé électrique, la taxe de mise en circulation passera de 61,5 à 50 euros, et la taxe de circulation de 85,27 à 68,3 euros.

L’essentiel : sur le plan politique, la messe est loin d’être dite.

  • Est-ce que posséder une belle voiture est un marqueur de réussite pour la classe moyenne ? Ou au contraire, posséder une grosse voiture est-il un usage d’un autre temps ? Nous laisserons ces questions presque philosophiques de côté, tant elles touchent aux sensibilités de chacun.
  • L’intention reste louable et mettra sans doute tout le monde d’accord: diminuer l’empreinte écologique du parc automobile. Mais la façon dont sera appliquée la loi est et sera source d’intenses divisions au sein de la majorité. Ce projet de loi porté par Ecolo a d’ailleurs fait l’objet de très peu de commentaires publics du côté du PS et du MR, qui préfèrent éviter d’être sur la photo, alors qu’il s’agit d’une réforme inscrite dans la Déclaration de politique générale.
  • En off, les socialistes et les libéraux font savoir que le match est loin d’être fait: discussions avec le secteur, retour au gouvernement, débats parlementaires, avis du Conseil d’État, la route législative est encore longue pour l’avant-projet.
  • Et sur le plan politique, également, un long chemin législatif nous mènerait tout droit aux élections qui auront lieu dans deux ans déjà. Certains partenaires, surtout chez les libéraux, seraient très heureux de voir cette réforme retardée pour éviter tout dommage collatéral. Malgré les bonnes intentions, cette réforme sera (et est déjà vécues au vu des réactions sur les réseaux sociaux) comme une mesure punitive.
  • Ecolo pourrait-il être tenté d’éjecter le MR, en convainquant le PS d’être à ses côtés ? L’hypothèse a déjà circulé en cours de législature, certainement au moment de la démission du ministre du Budget, Jean-Luc Crucke (MR), en janvier dernier. Mais la vérité est que débrancher la prise ne sourit jamais électoralement à ses initiateurs, tout le monde politique le sait. Il n’aura en outre échappé à personne que la Wallonie a mis sur la table un énième plan de relance, qui serait tué dans l’œuf en cas de changement de majorité.
  • Et puis on sait ce qu’on perd, mais pas ce qu’on gagne: Les Engagés, qui chiperait la place des libéraux, n’arriveront pas la fleur au fusil et auront certainement de nouvelles exigences.
  • Non, l’accord de principe sur cet avant-projet, alors que les discussions ont été jusqu’ici très tendues, montre que les partenaires de la majorité ont justement voulu éviter une crise politique. Et il est assez remarquable que le très volubile président du MR, Georges-Louis Bouchez, toujours partant pour défendre l’automobile, ne s’est pas encore saisi du dossier. Pour ne pas envenimer la situation ou parce qu’il sait que le projet n’aboutira de toute façon pas ?
  • Quoi qu’il en soit, si personne ne veut en faire une crise, il ne reste que deux scénarios sur la table: l’adaptation de la réforme qui sera perçue comme acceptable par tous, ou alors la montre, qui mènera le projet vers une prochaine législature. Chacun votera alors en connaissance de cause.

Le contexte: Ecolo veut surtout s’attaquer aux voitures de société, dont la majorité se trouve en Flandre.

  • Fin mai 2021, le gouvernement fédéral a conclu un accord pour verdir le parc des voitures de société. Mais Ecolo, dès le départ, voulait aller plus loin et en finir avec ce système avantageux fiscalement pour les entreprises et unique au monde.
  • En effet, en raison de coûts salariaux élevés en Belgique, les entreprises préfèrent payer cet avantage en nature. Il s’agit d’un système qui a été mis en place lors des grandes crises automobiles dans les années 90, au point qu’aujourd’hui, près de 60% des ventes annuelles sont des voitures de société.
  • Mais un récent rapport de la Banque nationale est venu remettre en cause cet avantage en nature, qui représenterait un manque à gagner de 2 milliards d’euros pour les caisses de l’Etat, alors que ce système profite à seulement 15% des travailleurs.
  • Ce rapport, combiné aux prix élevés des carburants, est venu donner de l’eau au moulin des écologistes. Récemment, le député fédéral Gilles Vanden Burre a remis le sujet sur le métier, voulant profiter de ce momentum pour en finir avec les voitures de société. En deux temps: verdir le parc jusqu’en 2026 et puis supprimer le régime tout court.
  • Le MR, opposé à la suppression des voitures de société, a changé quelque peu son discours. Le président Georges-Louis Bouchez ne s’y oppose plus par principe, si cela se traduit par une compensation du même ordre au niveau du salaire: de 500 à 1000 euros. Sans doute irréaliste, ce que le président des libéraux sait fort bien.
  • Il est de toute façon difficile d’imaginer un accord au fédéral d’ici la fin de la législature. Car les partis flamands de la Vivaldi s’y opposent aussi. En effet, la plupart des voitures de société sont immatriculées en Flandre.
  • Or, on sait que la majorité des voitures de société utilisent encore un moteur diesel, et que c’est aussi dans cette catégorie que l’on retrouve, en moyenne, les voitures les plus puissantes, et donc les plus polluantes. L’usager wallon, puni pour avoir une grosse voiture non subventionnée, pourrait se sentir berné et le seul à payer l’addition.
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