La rébellion au sein du MR pourrait entraîner un redécoupage du paysage politique: Crucke veut former un nouveau parti avec Les Engagés et DéFI, Bouchez « pas impressionné »

Un glissement de terrain dans le paysage politique francophone ou un simple mirage ? Y aura-t-il un grand redécoupage, avec un nouveau « parti du centre », à côté du PS, du MR et d’Ecolo ? Un nombre grandissant de personnalités politiques ont ce rêve, qui est très concret, nous confirment des sources haut placées. Les discussions se poursuivent avec les dirigeants des Engagés – les chrétiens-démocrates francophones pèsent encore en Wallonie – mais aussi des gens de DéFI, qui reste un parti qui compte à Bruxelles. Et il y a des mécontents au sein du MR, l’ancien ministre Jean-Luc Crucke en tête. Ce rêve ? Créer un nouveau bloc solide au centre, une sorte de mouvement « macroniste ». Ce faisant, il reste à voir combien de personnes au sein du MR feront le grand saut. Un nom semble crucial dans cet éventuel mercato politique : Alexia Bertrand, figure de proue bruxelloise des libéraux. Elle vit un désaccord avec le président Georges-Louis Bouchez (MR) depuis l’accession de Hadja Lahbib au poste de ministre des Affaires étrangères. « Toute cette histoire est vraiment une blague », balaye-t-on, du côté de la Toison d’or, le siège du MR.

À la une : « Bientôt un nouveau parti en Belgique ? », titrent les journaux régionaux de Sud Info.

Les détails : L’histoire qui circulait depuis longtemps sur la rébellion libérale est maintenant sous pression, avec une fuite dans la presse.

  • « Non, ce n’est rien de sérieux… c’est vraiment une blague. Qu’est-ce que Les Engagés ont à offrir à DéFI en Wallonie ? Rien. Alors dans quel intérêt feraient-ils cela ? Et d’ailleurs, comment le feraient-ils, avec tous ces égos ? Ils n’ont pas la capacité de mener ça à bien. »
  • À l’avenue de la Toison d’or, au siège du MR, on semble ne pas s’en faire : le « grand nouveau projet politique » divulgué aujourd’hui dans Sud Info n’est rien de plus qu’une « blague », et certainement pas une menace pour le MR.
  • Et pourtant. Il semble bien qu’un certain nombre de fuites se recoupent, des deux côtés de la frontière linguistique d’ailleurs, et pourraient bien déboucher sur quelque chose de plus grand. Nous avons reçu plusieurs pièces du puzzle à ce sujet dès la semaine dernière, toutes pointant dans la même direction.

Premièrement : un électron libre du MR pourrait provoquer une réaction en chaîne.

  • Tout tourne autour de Jean-Luc Crucke (MR). Ce dernier a démissionné fin 2021 du gouvernement wallon où il était ministre du Budget. Le chef du parti, Bouchez, l’avait humilié en faisant rejeter sa proposition fiscale par les mandataires wallons du MR. Crucke décide de se retirer de la vie politique et court la Cour constitutionnelle.
  • Puis, c’est la surprise : l’autoproclamé libéral de gauche veut finalement rester député, et commence à se montrer de plus en plus critique envers Bouchez, qu’il accuse notamment de « comportement trumpien » devant les caméras de Villa Politica, en juin. Il a par la suite été rappelé à l’ordre en interne, devant le président, où les décibels ont grimpé crescendo. La conversation qui a suivi devant les médias a été carrément embarrassante : c’était « la dernière fois » que Crucke ferait ce genre de déclaration, mais personne ne l’a vraiment cru ce jour-là. Crucke était (et est) en route pour autre chose.
  • Pendant ce temps, le libéral wallon, régionaliste de surcroît, contrairement au belgiciste Bouchez, fait sa tournée : il va parler à qui veut, pour redessiner le paysage politique.
  • Et Crucke n’est certainement pas le seul mécontent au MR. Chez les libéraux francophones, beaucoup de gens regardent avec déplaisir comment Bouchez pousse le parti à droite, et surtout, utilise une politique de confrontation totale avec le PS et Ecolo, ses partenaires de coalition. Depuis, ces derniers ont fait comprendre à tout le monde qu’ils ne veulent plus rien avoir à faire avec Bouchez et qu’ils l’expulseront, lui et son parti, en 2024, si l’arithmétique le permet.
  • Cette situation menace immédiatement de priver de leurs postes ministériels et de leurs emplois un tas de dirigeants du MR, au niveau wallon et de la fédération Wallonie-Bruxelles. À Bruxelles, c’est le contraire : là, le MR est dans l’opposition depuis près de 20 ans, et on espère être enfin aux affaires. Difficile, avec un Bouchez comme président.
  • Pas plus tard qu’en 2019, l’Open Vld a finalement abandonné sa politique « samen uit, samen thuis », et a déjà fait un pas vers une coalition bruxelloise sans le MR. En d’autres mots : le MR devra y parvenir tout seul. Les sondages ne sont pas défavorables, pour l’instant.
  • Certes, Alexia Bertrand, la figure de proue du MR bruxellois, et la fille du grand industriel Luc Bertrand, espère devenir bientôt ministre-présidente d’une coalition, si le MR devient le plus grand parti de la capitale.
  • Mais Bertrand n’est nullement aidée par Bouchez. D’abord, elle n’est pas parvenue à prendre le poste de ministre des Affaires étrangères, laissée par Sophie Wilmès. Il est revenu à Hadja Lahbib (MR), un coup politique signé Bouchez. Ensuite, le président libéral ne lui garantit même pas une place en tête de liste, puisque son homme fort, à Bruxelles, c’est David Leisther, et il est également en lice.
  • « Bouchez ignore complètement Bertrand alors qu’elle est un talent de premier plan. Par sa polarisation permanente, Bouchez fait de nombreux libéraux de gauche et centristes des sans-abri. Alors que le MR est traditionnellement un parti de gauche-libérale, plus que l’Open Vld. Cela incite les gens à voir ailleurs », souligne un initié.
  • Si Bertrand, avec son réseau et son nom, décide de quitter le MR, Bouchez aura sans doute plus qu’une simple « blague » à gérer. La Bruxelloise n’a pas voulu réagir elle-même à la polémique, mais il y a des pourparlers avec les autres partis, nous confirment des sources haut placées.

La deuxième intrigue : les anciens pôles se rencontrent. Parce que le PSC et le FDF, c’est tout autre chose aujourd’hui.

  • Outre les grondements internes du MR, il existe un autre phénomène en Belgique francophone. Cela s’inscrit dans le long terme : le déclin constant de deux « vieux » partis, les démocrates-chrétiens, anciennement PSC, puis cdH et aujourd’hui « Les Engagés », et DéFI, l’ancien FDF.
  • Chez DéFI, la Vivaldi a produit une grande déception : les libéraux de gauche mouraient d’envie de la rejoindre. Après tout, c’était entièrement leur coalition idéologique, mais le président François De Smet s’est vu froidement montrer la porte. Il n’y avait pas de place dans l’auberge vivaldienne. Le cd&v n’y voyait certainement pas d’inconvénient. Après tout, en tant qu’ancien FDF, le parti continue de défendre des projets absurdes tels que l’agrandissement de Bruxelles. De 2002 à 2011, d’ailleurs, le parti a formé un cartel avec le MR, jusqu’à ce qu’il accepte la scission de BHV, et que le leader de l’époque, Olivier Maingain, fasse exploser la coopération : le communautaire fait toujours partie du parti.
  • Aujourd’hui, DéFI ne représente plus grand-chose, avec à peine deux sièges à la Chambre. Ce n’est qu’à Bruxelles qu’il compte, avec un score d’un peu moins de 15 % et une place dans le gouvernement bruxellois. Mais là aussi, certains s’interrogent : la semaine dernière, le seul ministre DéFI, Bernard Clerfayt, a débranché la prise lors du conclave budgétaire, se retirant à cause des titres-services. La communication qui a suivi sur les réseaux sociaux a fait lever les yeux des autres présidents de parti au ciel : y avait-il plus que cela ?
  • Il y a aussi les chrétiens-démocrates de Maxime Prévot. Ces derniers sont à l’arrêt depuis un certain temps, comme en témoigne un nouveau changement de nom : « Les Engagés ».
  • Le scénario de perte électorale dans lequel Prevot et cie se trouvent depuis des années, tout comme le CD&V du côté flamand, conduit à une réflexion intensive sur la manière de procéder. Et ce faisant, ils en arrivent toujours au même rêve : « Un scénario à la Macron n’est-il pas possible ? ».
  • Il demeure de vieilles contradictions : DéFI est un parti urbain laïque, Les Engagés ont des racines catholiques, rurales et conservatrices. Mais il y a aussi, contrairement à ce que croit Bouchez, un avantage objectif : Prévot est fort en Wallonie, notamment dans les provinces de Namur et de Luxembourg, De Smet peut fournir quelques sièges à Bruxelles. Surtout pour Les Engagés, c’est intéressant dans la capitale, où la menace de finir sous le seuil électoral est réelle.
  • Ce faisant, il convient également de noter que les deux partis entretiennent des contacts intenses depuis un certain temps. Ceux-ci aboutissent déjà à des collaborations en 2019. Car tant à la Chambre qu’au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, les deux sont dans l’opposition. Là, ils se consultent systématiquement.

La synthèse : un seul parti, autour de ces trois pôles ?

  • Un nouveau mouvement, qui devrait séduire « les électeurs du centre, les progressistes, les libéraux et même les écologistes » : c’est exactement ce que Crucke prêche depuis des mois. Et cela semble avoir un effet. Car jour après jour, Bouchez, mais aussi Paul Magnette (PS), montrent dans leurs déclarations et positions qu’ils ne font que s’éloigner du centre, et se déplacer davantage vers la droite ou vers la gauche : il y a donc un « espace » pour un peu de bleu, mais aussi un peu d’orange et d’amarante (DéFI).
  • Au sein des Engagés, les têtes de liste, avec Prévot, sont la cheffe de groupe à la Chambre Catherine Fonck, et le chef de file wallon André Antoine : selon Sud Info, il y a déjà eu plusieurs réunions de travail, au cours desquelles on s’efforce de brasser le plus largement possible : la société civile doit aussi entrer dans l’histoire.
  • La clé se trouve un peu du côté de DéFI, qui a des élections présidentielles début décembre. Il n’est pas certain que l’actuel patron, François De Smet, aura un challenger. Une fois que la fumée se dissipera là-bas, avec une élection le 4 décembre, les choses pourraient bouger rapidement.
  • Même si cela reste des mots pour le moment. L’expérience montre que les politiciens, surtout s’ils ont un mandat, finissent très souvent par préférer les certitudes à l’aventure d’un nouveau mouvement. Faire sortir un nouveau mouvement de terre en partant de nulle part reste une entreprise pour laquelle beaucoup expriment des mots de sympathie, mais peu font finalement le grand saut.
  • Et puis, il y a la question d’une figure de proue : le « macronisme » en France est un exemple à suivre pour la Belgique francophone. Mais il a bénéficié d’un facteur, qui ne court pas les rues de Bruxelles et de Wallonie : Emmanuel Macron.
  • L’arrivée d’une personne comme Alexia Bertrand en dit long à cet égard : DéFI, ou Les Engagés seront-ils alors soudainement prêts à faire campagne dans la capitale sous sa direction ? Cela semble impensable (pour l’instant).
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