Le PS exige une approche beaucoup plus ferme avec Engie : « Ils ont joué avec nos pieds assez longtemps », déclare Magnette, qui ne veut pas de l’accord sur les déchets nucléaires

Paul Magnette (PS) jette un nouveau pavé dans la mare nucléaire, une semaine à peine après que l’équipe fédérale a ouvert la porte au maintien de plus de deux réacteurs. En effet, les négociations que la Vivaldi mène depuis maintenant plus de six mois avec le géant français de l’énergie, Engie, ont duré suffisamment longtemps, estime-t-il. Il parle d’expérience : en 2011, en tant que ministre de l’Énergie du gouvernement Di Rupo, il avait fini par faire de même. Selon Magnette, « le gouvernement doit simplement imposer ses conditions », et cela pourrait se faire dans le cadre de la « sécurité d’approvisionnement », ce qui obligerait Engie à produire à un prix fixe. La sortie du socialiste est aussi une attaque franche contre le duo de la Vivaldi qui mène les négociations jusqu’à présent : le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) et la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen). Le président du PS se sent conforté dans ses idées après un grand rassemblement entre socialistes européens, ce week-end à Berlin, où il a longuement discuté de l’énergie. Magnette et Conner Rousseau, président de Vooruit, y ont tous deux appelé le chancelier allemand Olaf Scholz à maintenir la « solidarité européenne », et donc à lui faire accepter un plafonnement du prix du gaz: « We need you, Olaf« .

Dans l’actualité : « On impose à Engie de produire et on achète la totalité de l’électricité qu’ils produisent à un prix fixe très inférieur au prix du marché. »

Les détails : Le président du PS veut serrer la vis face au géant français de l’énergie, mais la Vivaldi semble à nouveau divisée.

  • Chaque semaine, un nouvel épisode dans le feuilleton de l’énergie nucléaire. Ce matin, Paul Magnette a mis plein gaz sur LN24: « Cela a suffisamment duré. C’est fini, on doit arrêter de négocier. Ils jouent avec les pieds du gouvernement. Ça fait des mois et des mois que ça dure. »
  • Depuis des mois, en effet, la ministre de l’Énergie, Van der Straeten, et le Premier ministre, Alexander De Croo, se débattent avec ce dossier. La semaine dernière, une percée semblait se dessiner : Engie était finalement disposé à maintenir les centrales nucléaires belges ouvertes. Toutefois, cela nécessiterait un revirement stratégique à Paris : pendant des mois, les patrons d’Engie ont affirmé haut et fort que c’était « techniquement impossible ».
  • Le cœur des négociations a toujours tourné autour de la même chose : Engie veut se débarrasser du boulet qui est attaché à son pied avec la gestion des déchets nucléaires. En échange du maintien en activité des centrales, Paris exige un plafonnement des coûts potentiels du démantèlement. Ce coût pèse sur le futur bilan et le cours de l’action de l’entreprise : personne ne sait à combien il s’élèvera vraiment. Ainsi, dans le quartier de la Défense, ils veulent imposer un montant maximum à la Vivaldi.
  • Le PS a déjà dit ‘non’ à cette question en interne la semaine dernière, et Magnette l’a réitéré ce matin : « Engie doit financer le traitement de ses déchets nucléaires et sa propre dénucléarisation. Et ça, c’est à Engie et à personne d’autre de le financer. »
  • Mais Magnette est en même temps convaincu que la Vivaldi négocie de telle manière « qu’Engie est dans une situation confortable, et peut attendre et voir », dit-on au siège des socialistes, au boulevard de l’Empereur. Le président du PS est donc allé fouiller dans son propre passé lorsque, en tant que ministre de l’Énergie du gouvernement Di Rupo, il a négocié avec Engie en 2011 et 2012. Les Français ne voulaient pas non plus suivre le mouvement, mais Magnette a invoqué l’argument de la sécurité de l’approvisionnement, les contraignant ainsi légalement.
  • « Nous avons vérifié la logique juridique et les notes de l’époque avec les meilleurs avocats. Et ils disent tous : ça tient parfaitement, on peut recommencer comme ça », ont déclaré les sources haut placées du PS. Plus douloureux: Magnette est également allé voir Van der Straeten pour lui expliquer comment faire son travail : « Nous ne comprenons pas pourquoi elle n’en fait rien », peste-t-on du côté socialiste.
  • Car plutôt qu’une nationalisation, qui serait une « opération longue et beaucoup plus difficile », Magnette souhaite que le gouvernement oblige Engie à vendre l’énergie nucléaire à un prix fixe : « Le gouvernement a la possibilité et doit dire à Engie : ‘maintenant, on vous impose de produire au nom de la sécurité d’approvisionnement’. Ça tient parfaitement la route [juridiquement] parce que la sécurité d’approvisionnement est un impératif, et donc, on doit pouvoir l’imposer. Et on vous achète cette électricité à un prix qui est fixé par l’autorité publique, par le régulateur. »
  • Cette proposition, d’ailleurs, est exactement ce que Raoul Hedebouw (PTB) a mis sur la table la semaine dernière, lors du débat houleux sur la RTBF entre les présidents de parti : obliger Engie à produire à un prix fixe.
  • Magnette avait cette mesure en tête depuis bien plus longtemps, mais il n’avait pas réussi à la faire passer au sein de la Vivaldi. Le fait que son rival la reprenne a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
  • Quoi qu’il en soit, cela pourrait changer la donne : le prix auquel Engie peut désormais vendre est un multiple du prix de production. Incidemment, cela rappelle ce qui se passe sur le marché français de l’énergie, où l’État français possède EDF, le grand gestionnaire de centrales nucléaires. La France maintient le prix de l’électricité à un certain plafond, de sorte que l’inflation en France est bien moindre que dans le reste de l’Europe.

Et maintenant : La question est de savoir si la Vivaldi s’alignera.

  • La dernière démarche de Magnette semble une fois de plus souligner les divisions sur la question nucléaire, au sein du gouvernement. Cela a été douloureusement mis en évidence la semaine dernière, lorsque au cours du débat sur la déclaration du gouvernement, la décision de « garder toutes les options ouvertes » sur les centrales nucléaires a été longuement réexaminée.
  • Les libéraux et le CD&V se sont empressés de vendre cette décision comme une victoire, afin de souligner qu’il devenait possible de maintenir plus de deux réacteurs nucléaires ouverts. Chez Groen et Ecolo, on maintient l’inverse : ce n’est en rien une certitude. « J’ai parfois l’impression que le dogmatisme ici n’est pas de notre côté, mais de l’autre côté. Il y a désormais deux présidents de parti qui doivent maintenir l’énergie nucléaire à tout prix, avec autant de réacteurs que possible », a soupiré une source haut placée chez les Verts, à l’encontre de Georges-Louis Bouchez (MR) et Sammy Mahdi (CD&V), lors du débat de la semaine dernière dans l’hémicycle.
  • Aujourd’hui, Paul Magnette a reçu un rare soutien de son rival du MR, Georges-Louis Bouchez, à sa manière : « Hormis que le propos ne soit pas exact sur le fond puisqu’il n’y a pas réellement eu de négociation avec Engie, je partage le fait que tout ceci a trop duré! Il faut prolonger 5 réacteurs et établir des accords financiers. »
  • Il n’en reste pas moins que le dossier suit son cours depuis des mois, sans avancées sur Doel 4 ou Tihange 3, voire davantage de réacteurs si nécessaire. Le PS ajoute maintenant un nouvel élément : pourquoi une négociation si « tendre » ? Cela met immédiatement une pression supplémentaire sur De Croo et Van der Straeten.
  • Car d’un autre côté, il y a un accord sur l’élimination des déchets avec Engie, que Magnette refuse, selon le PS : « C’est tout simplement inacceptable : ils veulent une exploitation conjointe des centrales, afin de faire passer aussi leurs propositions sur le coût du démantèlement. Mais ça ne va pas pour nous. »

Pendant ce temps: Au niveau européen, Magnette et Conner Rousseau mettent la pression sur Olaf Scholz à Berlin.

  • Un congrès européen des socialistes, vendredi et samedi, était consacré à l’énergie : un bon moment pour accorder un peu les violons avec l’Espagne et le Portugal, entre autres, où les socialistes dirigent les gouvernements et où il y a eu des interventions lourdes sur le marché. Mais certainement aussi avec l’Allemagne, qui a accueilli l’évènement : Olaf Scholz continue de bloquer un éventuel plafond européen des prix du gaz.
  • Tant Rousseau, qui s’est adressé en allemand au chancelier pendant son discours, que Magnette, qui a eu un entretien privé avec lui, l’ont exhorté à jouer la carte de la solidarité européenne et à fixer un plafond européen unique. « Olaf, we need you« , a dit Magnette à son collègue allemand.
  • Mais Scholz a surtout expliqué qu’il était coincé entre un ministre des Finances libéral, Christian Lindner, et un écologiste ministre de l’Énergie, Robert Habeck. Mais « sa vision reste très ‘allemande’, avec un paquet de 200 milliards qui est essentiellement là pour sauver les Allemands, et l’industrie allemande », ont fait écho les socialistes belges.
  • « Ils ont de l’argent, c’est-à-dire un pouvoir de négociation, vis-à-vis des pays producteurs. » Les Allemands seraient toutefois prêts à acheter de manière groupée pour 15 % de leurs réserves de gaz. « Mais il reste à voir si cela suffira », entend-on du côté socialiste.
  • Au passage, Magnette et Rousseau ont pu présenter le « cas » belge : le gouvernement belge est le premier à imposer une lourde taxe sur les bénéfices excédentaires du secteur de l’énergie en Belgique. Sous le slogan « yes we can, and yes we did« , ils ont expliqué les détails techniques, sous des applaudissements nourris sur les bancs rouges européens.

A noter également : La Belgique a remis des chiffres rouge sang à l’Europe pour 2023. Avec un puits de 5,8 % du PIB.

  • La date limite du 15 octobre est tombée samedi. Le gouvernement devait remettre à la Commission européenne l’intégralité des budgets de la Belgique, en un seul chiffre. Mais la secrétaire d’Etat Eva De Bleeker (Open Vld) n’a pas vraiment pu présenter un bon rapport.
  • Au contraire, le déficit est encore pire que les estimations du Bureau du Plan et de la Banque nationale. Pour 2023, la Belgique compte 33,5 milliards d’euros de dépenses supplémentaires de tous les gouvernements, en plus des recettes qu’ils percevront cette année-là. Cela correspond à 5,8 % du produit national brut.
  • Très douloureux, car au printemps, la Belgique avait encore promis, dans le cadre du programme européen de stabilité, de sortir un déficit de 3,6 % pour 2023. Mais la crise énergétique a frappé sans pitié.
  • De Tijd et De Standaard ont déjà pu voir le rapport ce week-end, à la grande frustration de l’opposition, qui ne l’a pas encore reçu. Le député de la N-VA, Sander Loones, s’est à nouveau mis en colère, et a exhorté la présidente de la Chambre, Eliane Tillieux (PS), à être plus ferme, vis-à-vis du gouvernement.
  • Le fait qu’un paquet de dépenses supplémentaires pour la crise énergétique ait été ajouté au budget n’a pas aidé : les chiffres étaient de 31,5 milliards de déficits, mais au cours des dernières semaines, 2 milliards supplémentaires ont été ajoutés. La Vivaldi a encouru un tas de dépenses supplémentaires en raison de la crise énergétique, mais les gouvernements wallon, bruxellois et flamand ont tous des déficits plus importants après la préparation du budget.
  • Toutefois, le niveau fédéral continue de faire les frais de cette situation : sur les 5,8 % de déficit par rapport au PIB, 4,1 % proviennent de la Vivaldi. Mais les entités fédérés s’enfoncent également dans le rouge : il manque 1,5 à 3 milliards d’euros à la Flandre. La Wallonie accuse même un déficit de 3,1 milliards, sur un budget beaucoup plus modeste. Bruxelles a un déficit de 1,2 milliard, soit 20 %. De plus, le budget est embelli, car il exclut soigneusement les « dépenses uniques ».
  • D’ailleurs, ce que tout le monde avait prédit se produit maintenant : la croissance économique est en forte baisse, il sera très difficile de ne pas connaître une récession en Belgique l’année prochaine. Au demeurant, les prévisions sur lesquelles ces chiffres ont été établis tablent toujours sur une croissance de 0,5 %. Si l’Allemagne passe effectivement dans le rouge en 2023, et que l’économie de ce pays se contracte, un scénario encore plus difficile se profile. Un déficit de 5,8 % deviendrait même difficile à atteindre.
  • Pendant ce temps, bien sûr, la dette continue d’augmenter, pour atteindre 108,2 % du PIB en 2023. Cette année, il était encore de 105,3 %.
  • Pire encore, les prévisions pour 2024 ne sont pas positives non plus. La Wallonie et Bruxelles ont pourtant estimé que l’équilibre serait atteint à cette date et que la Flandre s’en rapprocherait également. Lors du dernier conclave budgétaire, le budget de De Croo affichait un déficit de 3,2 % en 2024. Mais au total, Eva De Bleeker a remis à l’Europe un chiffre de 4,9 % de déficit du PIB en 2024.
  • Cela n’est pas de bon augure : la Commission européenne ne continuera pas indéfiniment à décharger le plafond de déficit structurel de 3 %. Cela a été suspendu pour le moment, en raison de la crise. Mais d’ici 2024, il faudra probablement le respecter à nouveau. La Belgique sera alors confrontée à un énorme problème.

Immédiatement concret : l’argent de l’aide européenne dépend des « réformes structurelles » des retraites. Et il n’y en a pas. Retour à la table de négociation ?

  • Le bâton européen n’est pas seulement là pour le budget. En effet, l’argent du plan de relance de l’Europe, dont la Belgique a récolté quelque 4,1 milliards pendant les années Covid, est soumis à des conditions : aucune réforme structurelle ne peut être faite si elle coûte encore plus d’argent.
  • Et que montrent les calculs du Bureau du Plan : le fameux « bonus de pension » que la Vivaldi a élaboré cet été dans sa réforme des retraites a bien un effet positif les quatre premières années, mais ensuite, la facture s’alourdit considérablement. Selon les sources, elle pourrait coûter entre 600 (selon les socialistes) et 800 millions d’euros (selon les libéraux) supplémentaires au gouvernement.
  • C’est très ennuyeux, car la Commission européenne a déjà fait savoir à plusieurs reprises qu’elle n’était pas d’accord avec la réforme des retraites en Belgique. L’UE veut réduire l’écart au sein de l’Europe : aujourd’hui, dans le sud de l’Europe, les gens quittent le marché du travail beaucoup plus rapidement, ce qui a pour conséquence de réduire le taux d’emploi et, en fin de compte, bien sûr, d’augmenter les coûts pour le gouvernement. Les pays scandinaves, mais aussi les Pays-Bas et l’Allemagne, financent largement leur État-providence sans ces importants déficits, car ils ont simplement beaucoup plus de personnes qui travaillent (plus longtemps).
  • Qu’a fait la Belgique, avec la Vivaldi ? Dès le début, les pensions minimales ont été fortement augmentées, jusqu’à 1 500 euros nets. Coût : 2 milliards d’euros par an. Mais cela n’a finalement été compensé que par une réforme très mineure : un bonus de pension pour ceux qui continuent à travailler après une retraite anticipée, un minimum de 5 000 jours travaillés pour une pension minimale et une pension plus élevée pour ceux qui travaillent à temps partiel.
  • Les libéraux, mais aussi Vooruit, avec Frank Vandenbroucke, font maintenant pression pour se remettre au travail, et réformer davantage. Mais cela ne doit pas coûter plus cher. Et il faut faire vite : une première tranche d’un milliard sera versée par l’Europe normalement à la mi-novembre, à partir de ce fonds de relance.
  • Dans Het Laatste Nieuws, le président du MR, Georges-Louis Bouchez, s’est déjà exprimé : « Nous devons réformer pour rendre le coût du vieillissement abordable. La réforme semble faire le contraire. Eva De Bleeker a été huée lorsqu’elle a insisté sur le caractère abordable des pensions, pas par le MR bien sûr. Et regardez maintenant. Elle n’a même pas été autorisée à rejoindre la table du gouvernement à un moment donné des négociations. C’est complètement scandaleux, mais ça s’est produit. »
  • Bouchez et le président de l’Open Vld, Egbert Lachaert, qui n’était pas non plus très satisfait des résultats des négociations cruciales de juillet, souhaitent maintenant que les pourparlers reprennent. Ce week-end également, Vincent Van Peteghem, vice-premier ministre de cd&v, a une fois de plus insisté sur la nécessité de « grandes réformes ». La Vivaldi doit se remettre au travail.
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