La bombe à retardement sous les finances de Bruxelles et de la Wallonie : la « loi spéciale de financement » menace de faire éclater les entités fédérées et constitue un levier important pour les discussions communautaires

Un boulet financier est accroché aux pieds de la Wallonie et de Bruxelles dans les années à venir. Ce n’est pas nouveau, mais d’autant plus menaçant. Dans deux nouvelles études, la SERV et le CCE ont tracé la voie financière des prochaines années pour les finances publiques, y compris pour les entités fédérées. Cela ne s’annonce pas rose : les dettes pèsent plus lourd et les dépenses augmentent plus vite pour la Wallonie, Bruxelles et l’État fédéral, que pour la Flandre. Mais en plus, il y a la fameuse loi spéciale de financement, un mécanisme qui permet de financer les entités fédérées à partir des caisses fédérales. Ce mécanisme va avoir un effet encore plus pénalisant dès l’année prochaine sur les transferts que reçoivent la Wallonie et Bruxelles. Car ceux-ci risquent de s’amenuiser dans les années à venir : un mécanisme de transition s’éteindra inévitablement. Ce mécanisme trouve son origine dans la sixième réforme de l’État en 2010, et pourrait bientôt jouer un rôle important dans un nouveau cycle communautaire. « Les francophones de 2010 voulaient des ‘certitudes’ à court terme. Nous visions une responsabilité à long terme, avec une transition sur 10 ans. Cela commence à entrer en jeu maintenant », a déclaré Wouter Beke (CD&V), qui a négocié l’accord à l’époque.

Dans l’actualité : « Seules les finances des autorités flamandes et locales sont largement sous contrôle », écrit le Conseil central de l’économie (CCE).

Les détails : L’argent a souvent été le moteur des réformes de l’État.

  • Un nouveau rapport de l’organisme consultatif du CCE est tombé dans les mains des députés cette semaine. Dans celui-ci, des projections sont faites pour les années à venir pour le Trésor public : « L’état des finances publiques belges ». Ce n’est pas vraiment une lecture agréable, pour quiconque se trouve dans la rue de la Loi : avec des taux d’intérêt en hausse et des déficits très élevés au niveau du gouvernement fédéral, mais aussi en Wallonie et à Bruxelles, le CCE lance un avertissement explicite.
  • « Il y a un besoin évident de réajustement, en particulier pour les régions wallonne et bruxelloise, la fédération Wallonie-Bruxelles et le gouvernement fédéral. De plus, ce dernier devra supporter la plupart des coûts du vieillissement », écrit le CCE, avec ce graphique, qui prévoit les déficits pour les années à venir, par rapport aux dépenses primaires totales. Bien sûr, il s’agit d’une prévision, mais elle montre immédiatement les défis à relever.
Déficits des différentes entités en Belgique (Entité I = le pouvoir fédéral) Source : CCE
  • Ajoutez à cela une deuxième étude, celle du Conseil économique et social de Flandre, la SERV, dans laquelle siègent les partenaires sociaux. Ceux-ci ont étudié les effets de la loi spéciale de financement. Et elle pourrait donner encore plus de maux de tête aux décideurs politiques francophones.
  • En effet, ce mécanisme de financement est le grand distributeur d’argent public, qui entre encore en grande partie dans les caisses des entités fédérées par le biais des taxes fédérales, avant d’être transféré via ce que l’on appelle les « dotations » aux entités fédérées, qui l’utilisent pour financer leurs activités et élaborer leurs politiques. Mais cette loi est définie de telle manière que ce flux d’argent va se tarir. C’est une conséquence directe de la sixième réforme de l’État, en 2011, contre la volonté des partis francophones.

Zoom avant : Alors, à quoi sert cette loi spéciale de financement ?

  • En tant que négociateur royal, Wouter Beke, alors président du CD&V, avait mis sur la table le principe d’une nouvelle loi de financement. Elle signifiait que tous les transferts vers les entités fédérées commenceraient à diminuer, par rapport au PIB, dans les années à venir. Cela donnerait au gouvernement fédéral plus de marge de manœuvre pour faire face aux coûts du vieillissement de la population (qui relèvent en grande partie de la sécurité sociale et sont donc payés par ce niveau de pouvoir).
  • Ce dernier élément est ce que les négociateurs de l’époque appelaient la « stabilité » de l’ensemble du système. L’effet net est désormais calculé à 2,88 milliards d’euros, donc de l’argent supplémentaire pour le niveau fédéral. Cela rend la sécurité sociale un peu plus soutenable financièrement.
  • Mais il y avait d’autres éléments. Il y avait « l’élément démocratique » : les entités fédérées seraient autorisées à prélever elles-mêmes davantage d’impôts, autrement dit une autonomie fiscale. C’est déjà un fait aujourd’hui, pour toutes les entités fédérées.
  • Plus important encore, la « responsabilité » était également intégrée au mécanisme : plus la croissance économique est forte, plus il y a de personnes au travail, plus il y a de revenus propres. La Flandre, dix ans plus tard, en récolte déjà visiblement les fruits, et est en fait déjà le vainqueur de ce qui a été tracé à l’époque. La Flandre reçoit désormais 5,293 milliards d’euros, la Wallonie 5,248 milliards et Bruxelles 3,264 milliards d’euros.
  • Politiquement, la chose la plus sensible, dans ces négociations en 2011 : la « solidarité. » Un mécanisme transitoire a été mis en place pour empêcher la baisse des dotations pendant dix ans. En conséquence, la Wallonie (région wallonne et fédération Wallonie-Bruxelles comprise) reçoit toujours 600 millions d’euros de plus, et Bruxelles, 100 millions, que ce à quoi elles auraient eu droit en réalité.
  • Ce dernier mécanisme arrive maintenant doucement à son terme. À partir de l’année prochaine, on enlèvera chaque fois un certain montant, de sorte qu’en 2039, pour la Wallonie, cela ne représentera plus que 91,4 % du PIB, et Bruxelles, 90 %. Beaucoup d’argent, donc, qui ne passera plus dans les caisses des deux régions francophones.

Pourquoi est-ce important ? En 2011 déjà, les présidents des partis flamands réfléchissaient à une autre réforme de l’État.

  • Dans d’innombrables négociations, y compris maintenant au sein de la Vivaldi, le manque d’appétit du côté francophone pour assainir les finances de l’État est toujours apparent. Et comme il est tout simplement beaucoup plus facile de négocier un statu quo qu’un changement, leur position à la table des négociations, bien que les francophones soient minoritaires, est souvent plus forte.
  • Les partis flamands ont voulu casser un peu cela en 2011 (la N-VA n’étant pourtant pas à la table à l’époque) en y mettant le levier de la modification des transferts financiers. Du côté francophone, d’ailleurs, il y avait alors l’idée, qu’une décennie plus tard, la situation serait différente, économiquement meilleure, pour les entités fédérées. Leur objectif était de tout sécuriser durant les 10 premières années.
  • « En 2010, les francophones voulaient des ‘certitudes’ à court terme. Nous visions une responsabilité à long terme avec une transition sur dix ans. Cela commence à jouer un rôle dès à présent », a indiqué aujourd’hui Wouter Beke à propos des négociations qu’il a menées à l’époque avec Benjamin Dalle (CD&V) comme chef de cabinet. À l’époque, ils avaient déjà calculé qu’un bâton serait nécessaire à long terme.
  • Beke nuance : « Oui, la Flandre est clairement le vainqueur. Mais le fédéral a aussi « gagné » avec la loi spéciale de financement. Après tout, elle a aussi apporté une contribution à l’assainissement des finances publiques fédérales, et aujourd’hui, elle apporte près de 3 milliards. »
  • Aujourd’hui, en tout cas, avec les projections à venir, il est clair qu’il faudra parler d’argent public, y compris au niveau fédéral. Car si la loi spéciale de financement permet de faire entrer près de 3 milliards d’euros supplémentaires dans les caisses fédérales, le vieillissement de la population y a en fait englouti toute la marge.
  • Au niveau fédéral, il est donc de plus en plus difficile de mener une politique propre en dehors de la sécurité sociale : des domaines comme la défense ou l’intérieur sont donc soumis à une pression énorme, certainement à long terme.

Et maintenant : les entités fédérées francophones risquent d’avoir des problèmes rapidement.

  • La loi spéciale de financement, avec ce « système de responsabilisation », est un coûteau sous la gorge : le taux d’emploi doit progresser du côté francophone ou les entités fédérées risquent de perdre encore plus d’argent.
  • Mais chaque semaine, des révélations sur les largesses des mandataires publiques ou leur incapacité à gérer l’argent public tombent dans la presse. Aujourd’hui même, La Libre nous apprend que le fonds de pension des députés wallons semble avoir un gros problème : aucun financement décent n’est prévu pour l’assumer, alors que des pensions généreuses ont été promises. Un déficit de 80 millions d’euros est à craindre d’ici 2035. Deloitte et l’assureur Ethias ont publié des rapports à ce sujet et sont arrivés à la même conclusion.
  • Après toute l’agitation autour de leur greffier, de ses voyages d’affaires coûteux et de ses projets de construction mégalomaniaques, qui ont coûté son poste au chef du Parlement, le président Jean-Claude Marcourt (PS), voici donc un nouveau cas de mauvaise gestion.
  • En toile de fond, il y a aussi une affaire beaucoup plus grave à laquelle la région wallonne a dû faire face l’année dernière : en septembre 2022, Belfius, bien que banque publique, avait refusé de prolonger le contrat dit caissier, en vertu duquel elle finance les fonds de fonctionnement du gouvernement wallon. Maximum jusqu’en 2024, avec un montant dégressif, ont-ils finalement exigé, parce qu’il y a une incertitude sur qui sera au gouvernement après cette échéance : lisez, si c’est le PTB, ils ne veulent pas simplement s’y accrocher. Obtenir la prolongation de ce contrat à temps en 2024 ne sera pas une mince affaire.
  • Cela en dit long sur le regard que les établissements de crédit portent sur le gouvernement wallon, qui se débat avec un taux d’endettement élevé. Aujourd’hui, il n’y a pas encore de pression de la part des marchés financiers, mais tout le monde ressent déjà les hausses de taux d’intérêt que la Banque centrale européenne met en œuvre. Non seulement le coût de la hausse des taux d’intérêt se répercute, mais la rigidité des banques à prêter davantage augmentera inévitablement.
  • Le fédéral n’échappe pas non plus à cette logique : il sera bientôt très difficile d’équilibrer les budgets, en raison de la charge financière de la sécurité sociale. Mais il y a une observation frappante à cet égard : le coût du vieillissement de la population trouve surtout son origine en Flandre. De quoi, à un moment donné, donner des idées aux négociateurs francophones, qui pourraient finalement pousser (certaines parties de) la sécurité sociale vers les entités fédérées.