La BCE est dans la tourmente et devient de plus en plus créative pour trouver de nouvelles excuses

La semaine dernière, la Banque centrale européenne a approuvé sa soi-disant nouvelle stratégie en matière de taux d’intérêt. Il y a eu un désaccord considérable au sein du Conseil des gouverneurs à ce sujet, puisque la présidente de la BCE, Christine Lagarde, avait dû réviser son projet à plusieurs reprises. Cela faisait apparemment deux ans qu’il n’y avait pas eu de discussion aussi vive au sein de la BCE.

En fin de compte, le Conseil des gouverneurs a approuvé le projet, décidant de maintenir les taux d’intérêt aussi bas que nécessaire pour amener l’inflation à l’objectif des 2%.

Ce faisant, Mme Lagarde a dû concéder l’abandon de l’intention de porter l’inflation « au moins » à 2 %. Cette décision a été prise en partie après une intervention d’Isabel Schnabel, l’une des deux représentants de la Bundesbank allemande au conseil d’administration de la BCE.

L’Allemagne et la Belgique freinent

L’autre représentant allemand, le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, a néanmoins encore voté contre la décision finale, tout comme son collègue belge, Pierre Wunsch. C’est la première fois que le président de la Banque nationale de Belgique, à la signature MR, adopte une ligne dure, ce qui tranche avec ses prédécesseurs Jan Smets (autrefois haut fonctionnaire chargé de préparer l’introduction de l’euro), Luc Coene et Guy Quaden, qui comptaient parmi les « pigeons » du conseil d’administration de la BCE, sans parler de l’ancien économiste en chef de la BCE belge Peter Praet. Néanmoins, ce dernier – désormais en tant qu’ancien membre du conseil d’administration – a récemment averti que la poursuite de la politique d’argent bon marché rendrait un renversement de politique d’autant plus douloureux, un sentiment qu’il partage également avec le gouverneur belge Pierre Wunsch, tous deux se revendiquant du MR et anciens membres du cabinet de l’ancien ministre des Finances Didier Reynders.

Pierre Wunsch (gauche), le gouverneur de la Banque nationale de Belgique, et Jens Weidmann, le gouverneur de la Bundesbank, ont voté contre les plans de la présidente de la BCE Christine Lagarde (Isopix)

Pierre Wunsch a justifié son vote négatif après la réunion de la semaine dernière comme suit :

« Je ne trouve pas crédible de s’engager à ce que, sur la base de nos propres prévisions, nous ne relevions pas les taux d’intérêt au cours des cinq ou six prochaines années. (…) Il y a un risque que les politiciens disent qu’ils ne doivent rien faire pour améliorer les finances publiques. Maintenir les taux d’intérêt bas plus longtemps pourrait également avoir un impact négatif sur la stabilité financière. »

En fait, il devrait être normal que le représentant belge de la BCE s’oppose à ce qui revient à une dépossession des épargnants. Une étude d’Éric Dor, directeur des études économiques à l’école de management Iéseg de Lille, montre qu’entre 2004 et 2017, les épargnants belges ont été les moins bien rémunérés de tous les résidents de la zone euro, à savoir un taux d’intérêt négatif réel de 2,03 %, ceci en raison à la fois du faible taux d’épargne belge et d’une inflation relativement élevée. Peu de choses ont changé à cet égard depuis 2017, mais néanmoins, pour la première fois depuis le lancement de l’euro en 1999, une modeste protestation du représentant belge au sein de la BCE ne se fait entendre que maintenant.

Une perte de valeur de 2% est un objectif bizarre

Tout d’abord, il est tout simplement bizarre que la Banque centrale européenne ait fait de la perte annuelle de 2 % de la valeur de notre monnaie un objectif officiel. A l’origine, ce n’était pas le cas, ces 2% étaient un plafond à ne pas dépasser.

Ce n’est que lorsque le « ciblage de l’inflation » a été adopté en 2003 qu’il a été décidé d’en faire également un objectif. C’est comme si quelqu’un demandait à son banquier ou à son investisseur de viser une perte annuelle de seulement 2%. Le fait que cela convienne aux débiteurs – y compris les nombreux gouvernements de la zone euro, prodigues et endettés – devrait être évident, mais il est surprenant de constater le peu d’opposition à ce type de politique monétaire à fort impact.

Aujourd’hui, le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, met même en garde dans la presse allemande contre une possible « inflation de 5 % » en Allemagne d’ici la fin de l’année. Wunsch pense également que « l’inclusion des coûts des logements occupés par leur propriétaire dans l’indice des prix à la consommation augmentera l’inflation. » Il est en fait inexplicable que les prix des logements n’aient pas encore été inclus dans les calculs de l’inflation. Les prix de l’alimentation et de l’énergie sont également exclus du calcul de l' »inflation de base », ce qui a fait dire à un autre ancien haut fonctionnaire allemand de la BCE, Jürgen Stark, que l' »inflation de base », censée être moins volatile, « n’est utile que pour ceux qui ne mangent pas et ne se déplacent pas ». M. Stark a donc démissionné de la BCE en 2011, lorsque celle-ci s’est encore éloignée de l’idéal initial, qui était de protéger au mieux la valeur de la monnaie. 

L’économiste Geert Noels résume bien les intentions réelles de la politique monétaire : « Il est temps que la BCE communique clairement sa stratégie pour les années à venir : donner libre cours à l’inflation, aider les pays endettés en faisant fondre leurs montagnes de dettes, avec pour revers de la médaille la fonte de l’épargne, la perte du pouvoir d’achat de l’euro et les bulles immobilières. »

La BCE accommode l’inflation et propose un gigantesque « plan pour le climat »

Au début du mois, la BCE a également pris un certain nombre d’autres décisions sensationnelles.

Tout d’abord, l’objectif d’inflation a été revu à la hausse, passant à « 2 % d’inflation à moyen terme », ce qui laisse un peu plus de place à l’inflation que l’objectif précédent de « moins de 2 % mais proche de 2 % à moyen terme ». Ce faisant, Mme Lagarde n’a pas prétendu aller aussi loin que la Réserve fédérale américaine en visant une « inflation de 2 % en moyenne », ce qui signifie que les périodes de faible inflation dans le passé peuvent être utilisées pour justifier une inflation plus élevée aujourd’hui.

Dans un deuxième temps, cependant, la BCE a présenté son propre « plan d’action pour le climat ». On peut se demander si cela ne nécessite pas une modification du traité. Concrètement, cela signifie qu’au cours des quatre prochaines années, la BCE visera à verdir la sélection des obligations qu’elle achète sur le marché secondaire. Désormais, elle n’achètera que des obligations d’entreprises qui « respectent au moins la législation européenne mettant en œuvre l’accord de Paris sur le climat ».

Le fait que la BCE achète des obligations privées – utilisant ainsi de l’argent nouvellement imprimé pour manipuler à la baisse la charge d’intérêt de certaines entreprises – est en soi une chose discutable pour une banque centrale. Au Japon, par exemple, on s’inquiète de plus en plus du fait que la banque centrale soit devenue le plus grand investisseur en actions japonaises, ce qui va bien sûr encore plus loin.

En outre, la BCE évaluera désormais également les risques climatiques pour les garanties que les banques privées offrent à la BCE en échange d’un financement bon marché.

Conclusion

En bref, la BCE est de plus en plus créative dans sa recherche d’excuses et de méthodes pour faire baisser les taux d’intérêt à long terme, tout cela pour le bien des gouvernements prodigues de la zone euro, qui parviennent ainsi à refinancer leur montagne de dettes excessives.

Il fut un temps où la BCE – par l’intermédiaire de son président de l’époque, Mario Draghi – affirmait que ce faible taux d’intérêt devait permettre aux gouvernements de gagner du temps pour mener des réformes structurelles. Au contraire, ce faible taux d’intérêt leur a permis de continuer à repousser les réformes. Nous n’avons même pas besoin de regarder des pays comme l’Italie. S’il y a une raison importante pour laquelle peu ou pas de réformes ont lieu dans notre pays, c’est qu’il n’est pas nécessaire de stimuler la croissance économique afin de générer des recettes fiscales alors que la Banque centrale européenne ouvre constamment son propre sac à malices monétaires.


L’auteur Pieter Cleppe est rédacteur en chef de BrusselsReport, un nouveau site web qui se concentre sur les nouvelles et les analyses liées à la politique européenne.

Twitter: @pietercleppe

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