Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est considérablement développé depuis l’entrée en vigueur des sanctions contre le pétrole russe : de vieux navires, par milliers, sillonnent les mers pour livrer clandestinement du carburant. C’est une bouffée d’air pour les économies sanctionnées, mais ces rafiots représentent aussi un danger imminent tant pour l’environnement que pour l’économie.
Comment la flotte de pétroliers fantômes fait des mers du globe une gigantesque partie de démineurs – avec un désastre qui nous pend au nez

Pourquoi est-ce important ?
Les pétroliers s'usent vite : après une vingtaine d'années, ils sont généralement bons pour la ferraille. Mais le recours croissant aux embargos envers des nations productrices de pétrole a ouvert un nouveau débouché à ces navires qui ne sont plus répertoriés nulle part : passer entre les mailles des filets pour apporter l'or noir à qui est prêt à l'acheter. C'est l'Iran qui a lancé le phénomène, en particulier après 2018 et le retrait de Donald Trump de l'accord nucléaire avec Téhéran, mais le basculement de la Russie parmi les pays sanctionnés l'a décuplé.De véritables bombes flottantes sur les eaux les plus fréquentées du monde
Un panache de fumée noire en mer de Chine méridionale, au large de la Malaisie : c’est un pétrolier de 230 m de long qui a pris feu et qui a été évacué par ses 28 membres d’équipages – dont trois ont disparu. Heureusement le Pablo était vide, détaille The Guardian : le navire avait déjà livré son pétrole, vraisemblablement en Chine. Sinon ce n’était pas un rafiot en feu, mais une vraie bombe qui dériverait dans des eaux très fréquentées.
Des épaves qui n’appartiennent à personne
- Selon l’enquête menée par le quotidien britannique, le Pablo était représentatif des navires de cette flotte fantôme : un vieux rafiot de plus de 20 ans, qui aurait dû être démantelé en 2018, mais qui a repris du service.
- 2018, c’est l’année où Donald Trump a jeté à l’eau les accords avec l’Iran, réactivant de facto l’embargo sur le pétrole de Téhéran. Conséquence : il y a eu soudainement une demande croissante pour des pétroliers, et ce quelque soit leur état.
- Depuis, le Pablo naviguait et changeait de nom régulièrement. En juin 2021, le Pablo était connu sous le nom d’Adisa, et naviguait sous le pavillon du Cameroun. Quelques mois plus tard, il naviguait sous un nouveau nom – Helios – avec un nouveau pavillon – les îles Cook. En 2022, il était devenu tanzanien et s’appelait le Mockingbird. La suite on la connait : il a fini par être rattrapé par son grand âge, ce qui a probablement coûté la vie à trois personnes.
- Le désastre – qui aurait pu être bien plus dévastateur – date du 1er mai dernier. Depuis, le Pablo n’a pas bougé et reste amarré dans le détroit. Car le navire n’a pas d’assureur, qui en temps normal aurait la charge de le mettre au rebut. Il n’appartient plus à personne.
- Le nombre de pétroliers fantômes sur les eaux du globe a été estimé à environ 600 par l’assureur Allianz. Soit environ un cinquième de la flotte mondiale de pétroliers.
« Ces navires sont plus susceptibles d’être des navires plus anciens, avec des normes d’entretien plus basses. Les rapports indiquent qu’il y a eu au moins huit échouements, collisions ou quasi-accidents impliquant des pétroliers transportant des produits pétroliers sanctionnés en 2022. L’augmentation du nombre de pétroliers fantômes est un développement inquiétant, menaçant la flotte mondiale et l’environnement. »
Justus Heinrich, d’Allianz Global Corporate & Specialty, auprès de The Guardian
Un danger jusqu’en Europe
Outre le risque de marée noire, ces navires représentent aussi un danger pour l’économie mondiale, car ils empruntent des voies commerciales déjà très encombrées. Un désastre pétrolier dans le détroit de Malacca par exemple, entre la Malaisie et Singapour, paralyserait le trafic maritime pour une longue période et aurait des conséquences sur l’économie mondiale.
- Un danger qui pèse jusqu’en Europe : en Baltique, des centaines de navires à la provenance douteuse et à la destination inconnue étaient déjà signalés entre la Finlande et l’Estonie en mars 2023. La logique voudrait qu’ils se chargent de pétrole à Saint-Pétersbourg avant de partir, on ne sait où.
- C’est en Europe qu’on tente de prendre le problème en main avant un drame : la Grande-Bretagne et la Norvège ont mis en place une force navale pour patrouiller dans les eaux internationales et identifier ces navires, avec la collaboration des USA et du Canada. Mais face à 600 pirates, cette Task Force Phantom aura du pain sur la planche. Cinq pétroliers ont déjà été saisis.