Après le Covid, la Vivaldi se met sur le pied de guerre : De Croo (Open VLD) et Wilmès (MR) veulent une place sous les projecteurs, à la grande frustration de la ministre de la Défense

Après une pandémie, une vraie guerre : la coalition fédérale est à nouveau sous les feux de la rampe, maintenant que le conflit en Ukraine retient toute l’attention de l’Europe. Au sein du gouvernement fédéral, c’est également la lutte pour une place sous les projecteurs : le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) a pris l’initiative à plusieurs reprises, mais à côté de lui, Sophie Wilmès (MR) est désireuse de mettre à profit son profil de ministre des Affaires étrangères. La seule à soupirer semble être Ludivine Dedonder (PS) : en tant que ministre de la Défense, elle se heurte à la réalité de l’état de l’armée belge.

Dans l’actualité : Ce matin, le roi a visité l’état-major.

Les détails : Il a fallu se battre pour obtenir une place à côté du monarque.

  • À Evere, où l’armée belge a son état-major, à deux pas des bureaux de l’OTAN, on reçoit aujourd’hui une visite de haut vol. Presque comme s’il s’agissait d’une guerre, le roi est passé « pour être tenu informé de la situation en Ukraine ».
  • Apparemment, c’était une course aux projecteurs. Initialement, seule la ministre de la Défense, Ludivine Dedonder, était annoncée pour accompagner le roi. Mais à peine quelques heures plus tard, il s’est avéré que le Premier ministre De Croo et la ministre des Affaires étrangères Sophie Wilmès allaient également participer.
  • Ce n’est pas tout à fait une coïncidence : depuis plusieurs jours, le trio se dispute la première place pour mener la stratégie belge. Le Premier ministre a les meilleures cartes en main : après tout, c’est lui qui participe au Conseil européen, où les chefs de gouvernement de l’UE prennent des décisions. Et c’est lui qui appelle Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, pour répondre à ses demandes de fournitures d’armes.
  • Mais Wilmès est tout aussi active : pas illogique avec une UE qui a modifié son approche ce week-end, en devenant soudainement une entité politique qui achète des armes aux États membres pour les livrer ensuite à l’Ukraine. Cette décision a été suivie d’une série d’annonces de livraisons d’armes par les États membres eux-mêmes. Wilmès et De Croo ne voulaient manifestement pas être laissés pour compte, et la Belgique s’y est aussi employée, après de nombreuses tergiversations.
  • Cela a fortement frustré Dedonder : son propre état-major et ses syndicats avaient indiqué à plusieurs reprises qu’il n’y avait en fait pas de marges pour effectuer ces livraisons. Mais la diplomatie et le rayonnement international ont finalement pris le dessus : il s’agit bien d’une lutte pour savoir qui va jouer les premiers rôles.
  • Ces tensions rappellent un peu la crise en Afghanistan : là aussi, Wilmès et Dedonder se sont chamaillées sur l’approche et le droit d’initiative, sans qu’aucune des deux femmes ne prenne le dessus.
  • Le PS estime qu’il doit suivre et éponger toutes les promesses faites par le duo De Croo-Wilmès. Car les 200 armes antichars promises proviennent directement des stocks des unités de combat, particulièrement mécontentes de perdre leur propre matériel. Dans le même temps, la livraison des 3 millions de litres de carburant que De Croo a promis à l’Ukraine semble être un cauchemar logistique.
  • Et pire encore : les vieux fusils FNC de la Défense, les 5.000 mitrailleuses promises, seraient livrés sans munitions. C’est ce qu’affirme en tout cas le député de l’opposition Theo Francken (N-VA). Il réitère sa demande de faire appel à la FN Herstal, l’usine d’armement de Liège qui est détenue à 100% par le gouvernement wallon. « Les armes et les munitions y sont abondantes. Le Premier ministre devrait s’assoir avec Elio Di Rupo (PS) », a déclaré Francken, particulièrement concentré sur les questions de défense depuis le début de la législature.

Frappant : l’approche volontariste des pays européens et de l’UE fait grincer des dents certains analystes.

  • Il n’est pas rare que des pays fournissent des armes à l’une ou l’autre des parties durant un conflit. Le fait qu’ils l’annoncent en grande pompe et prennent si clairement parti est par contre sans précédent dans cette crise. Les déclarations pleuvent depuis quelques jours, certains pays promettant plus d’armes antichars et de mitrailleuses que d’autres.
  • Il y a également eu des annonces trop enthousiastes. Par exemple, un haut responsable de l’UE attaché au Parlement européen a déclaré ce week-end que les avions de combat MiG qui doivent être livrés à l’Ukraine seraient « opérationnels en quelques heures ». Cela s’est avéré être une absurdité : au final, c’est la Pologne, la Slovaquie et la Bulgarie qui doivent décider si elles veulent livrer leurs MiG, et pas l’UE.
  • Dans le même temps, l’Union va de l’avant : le haut représentant Josep Borrell, qui est de facto le ministre des Affaires étrangères de l’UE, a déclaré « qu’il est urgent d’améliorer la coordination et la coopération en matière de défense, et que l’UE est le cadre parfait pour cela ». Des ambitions militaires explicites pour l’UE, qui peuvent toutefois être considérées comme une compétition avec l’OTAN.
  • Mais il y a plus : les États baltes soutiennent très explicitement l’Ukraine. Là-bas, le Parlement letton a voté à l’unanimité une loi autorisant les Lettons à aller combattre au front en Ukraine, mais pas sous le drapeau letton.
  • Pendant ce temps, le ministre lituanien de la Défense tweete des mises à jour quotidiennes sur la bataille, partageant triomphalement comme un fait les pertes russes, alors qu’elles proviennent des affirmations de Kiev.
  • Hier, la Finlande, voisine directe de la Russie, est allée plus loin en annonçant ouvertement et publiquement une énorme livraison d’équipements : 2.500 mitrailleuses, 150.000 caisses de munitions, 1.500 armes antichars et 70.000 rations. La Finlande n’est pas membre de l’OTAN, pour des raisons historiques, mais elle s’en rapproche de plus en plus. La Suisse, qui n’est membre ni de l’UE ni de l’OTAN, a également décidé ouvertement hier de fournir des armes, brisant symboliquement sa neutralité séculaire.
  • Divers analystes militaires mettent en garde contre une escalade inutile avec la Russie. Le Kremlin a également utilisé un langage fort hier : « Tous ceux qui fournissent des armes à l’Ukraine seront tenus pour responsables (en cas de pertes russes) », a déclaré Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères. Il a également menacé de contre-mesures pour répondre aux sanctions imposées par l’UE.
  • La Hongrie, qui est membre de l’UE et de l’OTAN, a alors annoncé qu’elle « n’autoriserait pas les livraisons d’armes létales à travers son territoire ». Le dirigeant Victor Orbán a toujours eu un faible pour la Russie, même s’il s’est montré remarquablement accommodant au sein de l’UE ces derniers jours. Mais les armes sont un pas trop loin pour lui. Même si ça n’a pas vraiment d’impact : cela ne concerne qu’une petite section de la frontière hongroise avec l’Ukraine, qui peut encore être facilement approvisionnée via la Pologne, la Slovaquie et la Roumanie.
  • Mais le fait que l’UE s’exprime depuis quelques jours en des termes très militaires met beaucoup de gens mal à l’aise : le paradigme du club européen en tant que « soft power ultime » n’est soudainement plus valable. Montrer un langage dur sans réels moyens militaires à portée de main est un grand risque, selon les analystes.
  • Ils soulignent la différence avec les États-Unis, le seul pays qui, comme la Russie, dispose d’un gros arsenal sur le plan militaire et peut vraiment faire mal, contrairement aux pays européens : Joe Biden garde remarquablement la tête froide et n’a pas réagi par une surenchère après que Vladimir Poutine a porté ses armes nucléaires à un niveau de préparation supérieur.
  • De plus, tout aussi symboliquement, les Américains gardent le silence sur les livraisons d’armes et le soutien sous forme d’informations et de renseignements militaires, qu’ils fournissent sans aucun doute à Zelensky.

Également à suivre : Pas de plafonnement des prix du gaz; l’Ukraine se rattache au réseau électrique européen.

  • Tinne Van der Straeten (Groen), la ministre fédérale de l’Énergie, avait commencé à l’annoncer dans presque tous les studios : elle allait tenter de faire geler les prix du gaz au niveau européen.
  • Pour l’instant, cette proposition n’a pas abouti, lorsqu’elle a été présentée par la Belgique à la réunion des ministres européens de l’Énergie hier. Van der Straeten a déclaré à Belga qu’elle avait néanmoins « reçu beaucoup de soutien ». La commissaire européenne à l’énergie, Kadri Simson, présentera des mesures pour lutter contre les prix la semaine prochaine.
  • Mais les ministres de l’UE avaient aussi d’autres chats à fouetter. Par exemple, il a fallu élaborer un plan pour s’assurer que l’Europe passerait l’hiver, si la Russie devait décider de couper complètement le gaz. Il y a certaines certitudes à ce sujet.
  • Et plus encore : L’Ukraine a obtenu l’accès au réseau électrique européen. La Russie les en avait déconnectés, les obligeant à dépendre entièrement de leurs propres centrales électriques pour éviter les pannes. En se connectant au réseau de l’UE, ils garantissent une plus grande stabilité et une sécurité d’approvisionnement. Une fois de plus, la Russie les pousse dans les bras de l’UE. Sans oublier que les ministres de l’UE ont également décidé de coordonner les livraisons de carburant à l’Ukraine.

À noter : la Vivaldi se rapproche un peu plus de la sortie nucléaire, mais est-elle prête politiquement ?

  • Après Manage, le site de Seraing a maintenant aussi reçu un permis du gouvernement wallon pour y développer une centrale au gaz. Cette décision a été prise hier. Par conséquent, le gouvernement fédéral dispose a priori de ce qu’il faut pour fermer toutes les centrales nucléaires.
  • La décision concernant la sortie du nucléaire a dû être reportée suite au fait que la centrale au gaz de Vilvorde, construite par Engie, n’ait pas reçu l’autorisation du gouvernement flamand. La ministre de l’Environnement Zuhal Demir, dont le parti, la N-VA, est farouchement opposé à la sortie du nucléaire, a refusé d’accorder l’autorisation.
  • Les deux centrales dans le sud du pays reviendraient à Luminus à Seraing et à Eneco à Manage. Même si tout n’est pas encore réglé, et qu’il y a encore de nombreuses protestations locales.
  • Mais en principe, le gouvernement fédéral peut aller de l’avant. La question est de savoir si c’est également le cas sur le plan politique. Car avec la guerre en Ukraine, la réalité géopolitique a profondément changé : la dépendance de l’Europe à l’égard du gaz russe, et des prix correspondants, a été douloureusement mise en évidence.
  • « Ecolo est-il prêt à débrancher le gouvernement dans une période aussi agitée, juste pour maintenir un dogme ? », a défié hier matin Georges-Louis Bouchez sur DH Radio.
  • Dans De Tijd, l’Open Vld tente une proposition consensuelle : la baisse de la TVA sur le gaz – une demande formulée par les Verts, mais aussi par les socialistes et le CD&V – en échange de l’abandon de la sortie du nucléaire.
  • La question de savoir si les Verts peuvent accepter est une tout autre question : la perte pour les Verts d’une prolongation du nucléaire sera énorme sur le plan politique. C’est sans doute ce qui explique les nombreuses sorties des écologistes qui persistent et signent ces derniers jours.
  • Comment les résumer ? « Le seul moyen d’être indépendant énergétiquement est de miser sur le renouvelable ». Certainement une vérité sur le long terme mais qui ne répond pas vraiment aux préoccupations sur le court terme.
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