Affaire Ihsane Haouach: Ecolo et le MR irréconciliables ?

L’affaire dite Ihsane Haouach secoue la politique belge depuis une dizaine de jours. Cette femme voilée promue commissaire du gouvernement à l’Institut pour l’égalité hommes-femmes, puis démissionnaire, est devenue le symbole d’une certaine gauche et d’une certaine droite à présent irréconciliables. Et d’une division de plus au sein de la Vivaldi. Le débat sur la neutralité supposée de l’État n’a pas fini de faire parler de lui.

Qui a raison ? Personne ou tout le monde. En tout cas, tant Ecolo, qui a nommé Ihsane Haouach à ce poste, que le MR, qui a contesté cette nomination face à la mise en danger de la neutralité de nos institutions, pourront se saisir du rapport de la Sureté de l’État, que la RTBF a finalement pu consulter. Ce rapport précise que:

  • « Ihsane Haouach est connue pour ses contacts étroits avec les Frères musulmans. »
  • « Nous pouvons également mentionner que, pour autant que nous le sachions, Ihsane Haouach elle-même n’est pas membre des Frères musulmans et n’a jamais attiré l’attention en raison de positions extrémistes concrètes. »
  • « Il ne peut être exclu qu’Ihsane Haouach elle-même ne soit pas (pleinement) consciente du fait qu’elle a des contacts étroits avec les Frères musulmans. »
  • En outre « Ihsane Haouach a fréquenté la Ligue islamique interculturelle de Bruxelles (LIIB), l’une des principales organisations belges liées aux Frères musulmans et elle est amie avec le chef de la branche belge des Frères musulmans ».

Chacun pourra donc trouver des éléments défendant sa cause.

Contexte. Ce rapport revient surtout sur le contexte général de l’influence du courant politique des Frères musulmans dans les sociétés occidentales:

  • « Ces contacts entre les Frères musulmans et Ihsane Haouach s’inscrivent dans une stratégie plus large des Frères musulmans, dans laquelle ils tentent d’influencer le débat public et l’élaboration des politiques en développant de bonnes relations avec des personnes influentes dans différents cercles de la société, dans laquelle ils essaient également d’occuper eux-mêmes des positions influentes (entrisme) et dans laquelle ils tentent de contrôler ou d’impliquer un large éventail d’organisations et d’organismes à but non lucratif – dans le but sous-jacent d’introduire et d’appliquer progressivement leurs points de vue. »
  • « Le droit de porter un foulard en tout temps est l’un des points de bataille classiques des Frères musulmans. »

Et maintenant ? Le MR en fait une question de principe qui va au-delà de la simple personne d’Ihsane Haouach. Pour les libéraux, Ecolo a commis une faute en nommant « cette militante » (dixit Georges-Louis Bouchez) au poste de commissaire à l’Institut pour l’égalité hommes-femmes, censée représenter le gouvernement et l’accord scellé par les partenaires en début de coalition, dont la neutralité de l’État fait implicitement partie.

Mais voilà, ce weekend une bonne partie de la presse francophone n’a fait fuiter qu’une partie du rapport, en allant jusqu’à établir un lien entre la démission d’Ishane Haouach et ses connexions supposées avec les Frères musulmans. Un démenti s’ensuit le lendemain. En l’espace de 24 heures, les deux camps triomphent chacun à leur tour. Une séquence là encore très symbolique des passions qui se déchaînent autour du voile, mais qui mettent en lumière des questions de société bien réelles.

L’échange musclé. Ce mardi matin, le co-président d’Ecolo est revenu sur ces quelques heures de confusion totale. Pour Jean-Marc Nollet, pas de doute, le MR a mis le feu aux poudres: « Je suis scandalisé de la manière dont certains, dont Georges-Louis Bouchez, ont poussé les journalistes à écrire des choses fausses. Et on le sait maintenant. Tout d’abord, Ihsane Haouach n’est pas membre des Frères musulmans. Ensuite, elle n’a pas eu de propos extrêmes. Enfin, la conclusion du rapport dit qu’il n’y a pas de risque avec Ihsane Haouach mais qu’il y a des risques contre Ihsane Haouach. Elle mérite donc une protection. Le rôle qu’a eu Georges-Louis Bouchez est vraiment problématique et interpelant. La vérité apparaît désormais au grand jour et je pense que certains ne seront pas fiers de se regarder dans le miroir. » Une tentative de diversion pour cacher les dissensions connues en interne chez Ecolo entre les ailes bruxelloises et wallonnes ?

Le président du MR, adepte des polémiques, a presque accueilli cette sortie à bras ouvert: « Quel respect pour la liberté de la presse. Selon le coprésident d’Ecolo les journalistes sont des personnes qui écrivent ce qu’on leur demande. Belle diversion. Scandalisé par la complaisance face aux atteintes à la neutralité de l’État. Écolo doit revenir à la raison. »

Les questions. Ecolo et la secrétaire d’Etat Sarah Schlitz ont-ils fait preuve de négligence voire de naïveté en nommant Ishane Haouach, en voulant faire de la Bruxelloise un symbole de réussite de la diversité, et en n’effectuant pas un screening plus sérieux ? Pour Jean-Marc Nollet, tout a été fait dans les règles: « Lorsque Sarah Schlitz désigne Ihsane Haouach comme commissaire, elle le fait comme le ferait le Premier ministre, elle a regardé son CV et a vu toutes ses compétences. L’ensemble des formations politiques a d’ailleurs approuvé cette désignation sauf le MR. » Des questions restent aussi en suspens sur le timing de la note de la Sûreté de l’État. La secrétaire d’État, mais aussi le Premier ministre, aurait-ils pu agir plus vite et éteindre la polémique naissante ?

MR et Ecolo s’accordent peut-être sur une seule chose: l’interview de l’intéressée dans Le Soir, le 3 juillet, dont les propos – « La discussion n’est pas : est-ce qu’on remet en cause la séparation de l’Église et de l’État ? C’est : comment la décline-t-on avec un changement démographique ? » – posent le plus gros problème. « Cette interview est un problème, c’est d’ailleurs ça le vrai problème. Le fait même d’avoir ce genre de propos (concernant la séparation entre l’Église et l’État) est ambigu. Il n’y a pas de place chez Ecolo pour des personnes qui refusent une séparation nette entre l’Église et l’État mais elle a corrigé ses propos et ce n’est pas ce qu’elle a voulu dire. Elle n’est pas experte en communication », a reconnu Jean-Marc Nollet.

Irréconciliables. Cette dernière sortie de Jean-Marc Nollet n’a pas convaincu les libéraux et leurs militants. On sait les relations personnelles tendues entre le coprésident d’Ecolo et le président du MR. Mais la division idéologique semble aller plus loin encore. Les échanges d’amabilités ont continué toute cette journée de mardi: « Malgré sa vision communautariste de la société, malgré ses propos au Soir et malgré la crise actuelle et les réticences des partenaires – même Groen signale qu’Ecolo aurait dû réagir plus vite – Ecolo ne tire jamais les conséquences de ses erreurs », écrit Étienne Dujardin, conseiller communal MR à Woluwe-Saint-Pierre, en réaction aux propos de Georges Gilkinet (Ecolo). Pour le vice-premier ministre écologiste, ministre dont dépend la secrétaire d’État à l’Égalité des genres et des chances, « Ishane Haouach avait sa place comme commissaire de gouvernement. Elle a démissionné, je le regrette, quel gachis. »

Du côté d’Ecolo, on tente d’apaiser la sortie musclée du président, un peu plus tard dans la journée. Le chef de groupe à la Chambre, Gilles Vanden Burre, explique sur BX1 que le problème, c’est la manière de faire de la politique de Georges-Louis Bouchez qui pose problème, et pas le MR en tant que tel. Sauf que cette position instransigeante sur le voile n’est pas défendue que par le président des libéraux.

La Vivaldi touchée. Est-ce que le port du voile brise la neutralité ou la laïcité de l’Etat ? Rappelons que la loi n’oblige pas une commissaire de gouvernement à se défaire de son voile, car pas en contact avec le public. Mais le MR estime que cette fonction précise ne peut pas être tenue par une personne voilée, synonyme, pour un certain nombre de femmes, d’obligation. Des questions de société de la sorte doivent pouvoir s’inscrire dans un débat constructif. Ce qu’il est impossible, au regard des événements des derniers jours, de mettre sur pied en Belgique.

En attendant, c’est la Vivaldi qui en ressort la première affectée. Les divisions idéologiques qui la traversent se voient maintenant sur chaque dossier ou presque : les accords sociaux, la loi « zéro-coti », la conductrice de la Stib, les sans-papiers, et bientôt, la réforme des retraites. Le Premier ministre et chef d’orchestre Alexander De Croo – qui a une position différente du MR sur le voile – devra user de toute son empathie, saluée par beaucoup, pour continuer à rendre audible cette symphonie.

Réagissant à la fuite du rapport complet dans la presse, Ihsane Haouach s’est dite profondément choquée et demande à la Sureté de l’État à être entendue. De leur côté, Sarah Schlitz et le Premier ministre sont tenus de venir à nouveau s’expliquer à la Chambre cette semaine.

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